“Je t’aime… Oui mais non, l’amour c’est mal”
…

l_amour_c_est_malon en est où, là ?

À propos de la non-exclusivité affective, de nos exigences politiques, de la jalousie, de nos limites, de nos contradictions et autres joyeusetés en amour et compagnie.

Emma
septembre 2006

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Introduction pour détendre l’ambiance

Il y a quatre ans, j’ai écrit un texte qui s’appelait « l’amour, oui comme je veux ». Il fût parfois la cause d’un déferlement de mails et de textes d’insultes et parfois, il fût l’occasion de discussions supers intéressantes et d’échanges forts en émotion. Alors, j’ai décidé de récidiver, quitte à ce que cela entraîne ma perte (ahhhhhh… ☺). J’ai donc « remanié », modifié, complété ce texte pour en faire un autre…puisque les années passées et les expériences vécues m’ont parfois fait changer d’avis, parfois m’ont confirmé ce que je pensais, bref, la vie quoi.

Prenons comme base de discussion que ce sujet est complexe (oui, bon d’accord).
Il est entendu que ce texte n’est ni un guide du « comment réussir sa vie amoureuse en 10 leçons », ni un texte de propagande pour la non-exclusivité (ou la polyfidélité ou le polyamour… appelons cela comme on veut…moi j’ai pas réussi à trouver un terme qui me convienne tout-à-fait). Il est vrai que j’expose (franchement et sans détours) les raisons qui me poussent à vivre des relations amoureuses/affectives non-exclusives… et que je dis pourquoi je trouve que c’est bien pour moi.
Mais il n’est nullement question de dire que tout le monde devrait faire comme moi ou de prétendre que c’est la meilleure façon de vivre ses relations…
Mon objectif, à travers ce texte, n’est pas de porter des jugements sur des individuEs, ni sur des visions personnelles de voir/vivre les choses, par contre, ce texte (c’est vrai) est plein d’affirmations, de critiques sur des institutions, des normes, des rapports de domination, des choix que je considère comme oppressants, enfermants, voir même contre-révolutionnaires (hihi… roh, ça va, on peut rigoler nan ?)

La réflexion qui suit est le fruit de nombreuses discussions collectives et de recherche personnelle sur un sujet peu souvent abordé dans nos luttes, nos débats. Pourtant, les choix de vie que nous faisons dans le cadre dit « privé » sont éminemment politiques, ça on en est touTEs persuadéEs, je sais… alors ? Partageons nos expériences, interrogeons nos idées préconçues, remettons en cause des modèles, engueulons-nous, émotionnons-nous… mais faisons quelque chose, viteuhhh !!!

Les contrats d’amour

Différents types de contrats semblent être établis, selon les cas et les histoires que nous vivons, en amour, en amitié, dans nos sexualités. Ces contrats sont parfois discutés, parfois juste implicites entre des personnes qui vivent une histoire commune. Parfois, des problèmes, des incompréhensions viennent de ce que des personnes ne vivent pas le même contrat et cela donne des asymétries douloureuses du type :

– « Bah ça me semblait évident que je pouvais être amoureux de ta soeur, tu avais dit que tu n’étais pas jalouse ! »
– « Moi je me prive, je n’ai jamais touché Jennifer en dix ans à cause de toi, alors que pourtant… Et voilà, toi tu couches avec Jonathan que tu connais à peine, c’est comme ça que tu me remercies ? »
– « Alors toi tu as le droit et pas moi ? »
– « Mais enfin, tu es une femme libérée, pourquoi tu n’as pas d’autres relations ? tu sais…il faut que tu te détaches de moi, je te sens dépendante, c’est pas bon pour toi »

Prenons donc comme base, sans en discuter davantage, qu’un contrat doit absolument être réciproque et choisi par touTEs les contractantEs, quel que soit le type de contrat. Mais, au delà des difficultés à discuter, établir, construire ou respecter un contrat quel qu’il soit, il faut d’abord savoir, pour soi, dans quel fonctionnement on a envie de vivre, sur quelle terre nous voulons que nos amourEs fleurissent. Rien n’est a-priori bon ou mauvais en soi, mais une fois l’a priori dépassé, nos différentes façons de penser l’/les amourEs peuvent faciliter ou mettre franchement en danger notre accès au bonheur !
Dans ce texte, il est surtout question de la non-exclusivité (de la polyfidélité, polyamour blabla) puisque c’est ma réalité, celle que je vis, avec toutes les joies, les chouettes moments, les merveilles émotionnelles, les doutes, les angoisses, les peurs que ce choix supposent.
En tous cas, au delà de nos choix propres, ce qui nous réuni touTEs, c’est qu’il n’y a pas de règles, il n’y a pas de frontières à notre imagination. Aimer se réinvente dans chacunE…

Fidélité, possession, jalousie, amourEs multiples et du pourquoi nous faisons les choses

En général, l’exigence de la « monofidélité » ou de la fidélité classique, ne me semble, non seulement, pas souhaitable mais encore dangereuse, dans ce que cela créé entre des personnes. Je précise bien « l’exigence » car c’est souvent une exigence ou une obligation qui est posée comme principe de base, prétendument choisi de part et d’autre.
Pour moi, la fidélité est, sans équivoque, un des piliers du système patriarcal qui consiste à s’approprier les femmes, à en faire « la femme de »… y compris dans le cadre des relations non-hétéro (c’est bizarre ce que je dis là ?…).
Ainsi, le contrat de fidélité classique repose sur la promesse réciproque et à vie de ne pas éprouver de désir pour quiconque autre que l’éluE. La trahison de cette promesse implique la fin du couple dont l’exclusivité est la définition même. Dans la version « dure » de ce modèle, ce n’est pas seulement l’investissement amoureux ou sexuel à l’extérieur du couple qui est prohibé, mais aussi la pensée ou l’envie en elle-même.
Bien-sûr, devant les difficultés que suppose un tel contrat, le modèle de la fidélité classique cherche des aménagements « modernes ». Un des aménagements de la fidélité classique est d’accepter que soi-même ou l’autre puisse ressentir d’autres attirances, (puisqu’on ne peut pas faire autrement) tant que personne ne passe à l’acte. Cet aménagement est ressenti comme une fatalité douloureuse mais réaliste du contrat classique. Deux problèmes se posent alors : tout d’abord, l’aménagement est vécu comme un pis-aller par rapport au modèle toujours référentiel de fidélité stricte et cette frustration est traduite ou en culpabilité ou en reproches selon que la faute est portée par soi ou par l’autre. Dans ce cas, l’interdit du passage à l’acte demeure le socle même de la relation…
Un autre aménagement de la fidéfilité classique consiste à « faire mais pas dire » : la rupture étant évoquée lorsque « la trahison » finit par éclater au grand jour.

Le choix d’un modèle non-réaliste, non-assumable (qu’il soit celui de l’exclusivité ou pas) échoue très logiquement et amène la recherche de la faute, faute étant supposée responsable de l’échec.
Cette recherche de la faute amène le reproche pour l’autre et la culpabilité pour soi. Souvent, l’équation construite par ces contrats repose sur la négation pure et simple des envies que l’on n’est pas censéEs avoir ou le sacrifice revendiqué des envies que l’on reconnaît avoir. Si la négation et le sacrifice revendiqué ne sont pas sains en eux-mêmes, ils sont en plus utilisés dans une équation perverse du type souffrance/frustration/privation = preuve d’amour.
Aimer quelqu’unE ne peut se penser sainement comme une mutilation perpétuelle. Lorsque l’on commence à aimer une personne, sa liberté fait partie de l’admiration que nous avions pour elle, au nom de quoi serait-ce la privation de cette liberté qui deviendrait le garant de cet amour ?
Je veux dire, dans le cas d’une relation exclusive (ou monogame), pourquoi la notion de choix revient sans cesse comme une fatalité ou comme une preuve d’amour ? Sur quels critères dois-je choisir une personne plutôt qu’une autre ? Et pourquoi ? Pourquoi ai-je le « droit » d’avoir plusieurs amiEs et non pas plusieurEs amoureux/ses ? Mon affectivité peut parfois se focaliser sur une même personne, mais parfois elle peut aussi être sans limite…non, je ne prône pas la « libéralisation » des relations amoureuses, affectives (dans le sens capitaliste du terme hein) : je ne souhaite pas que l’on soit des consommateureuses en matière d’amour, de sexualité, comme ce qui peut être parfois le cas dans ce que des personnes appellent « l’amour libre ». D’après ce que j’ai vu, l’amour libre est souvent revendiqué par des garçons hétérosexuels, en grande majorité, et se réduit au fait de collectionner des « aventures » avec des filles (c’est très épanouissant pour eux n’est-ce-pas).
Personnellement, ce que je désire vivre se situe ailleurs…

La non-exclusivité, pour moi, permet de tendre vers des relations plus égalitaires, au moins parce qu’elle impose d’accepter la personne aimée un peu plus pour ce qu’elle est réellement. Accepter l’autre avec ses envies, ses désirs, et surtout accepter que l’on n’apporte pas tout à une seule et unique personne…
Il me semble que le mythe sur lequel repose l’exclusivité est la source de nombreuses déceptions mais également de violences. En effet, la personne aimée prétendue être la seule et unique à « convenir » devient également la seule et unique source d’épanouissement affectif et sexuel : elle est donc « façonnable à souhait », tant qu’elle ne correspond pas à l’objet du désir de l’autre.
Ce mythe est un vrai problème à double dimension à mon avis, puisqu’il suppose une centralité de la personne aimée, désirée mais également une centralité de la relation amoureuse dans sa vie, au quotidien. Donc, c’est aussi sur ce truc en particuliers que je trouve la notion de non-exclusivité hyper intéressante, puisqu’elle peut créer un déplacement de la centralité de la relation amoureuse.
Et oui, la non-exclusivité ne permet pas seulement de remettre en question la centralité d’une seule et même personne dans sa vie amoureuse, elle peut permettre également de déplacer la centralité de la relation amoureuse dans sa vie (tout court). En tous cas, personnellement, l’expérience de la non-exclusivité m’a amenée à cela, et ça m’a fait découvrir d’autres horizons. Le fait de ne pas vouloir qu’une seule personne soit au centre de mes désirs et de mes envies m’a permis d’investir d’autres sphères d’épanouissements multiples, hors du contexte amoureux.
Je veux dire, c’est aussi dans nos projets collectifs, nos luttes, nos espaces autonomes de vie, nos créations, tout ça, que l’on se réalise…(et je ne parle pas seulement de nos trucs d’activistes hein, je parle bien de toutes les sphères, les choses importantes qui font nos vies).
Ça peut paraître banal ce que je dis là, mais je le dis parce que pour moi ça a été très important comme « déclic » dans ma vie.

Nos difficultés, nos doutes, nos peurs, nos angoisses, rohlala, c’est pas facile !

Quel que soit les choix que l’on fait, relationner avec les autres, c’est toujours complexe, ça veut dire des questionnements en permanence, des prises de tête (comme on dit), mais c’est formidable, nan ? Par exemple, la non-exclusivité, c’est loin d’être simple et facile à vivre, c’est sûr. Il y a le regard des autres, leur jugement et tout ce qui les accompagne. Dans certains contextes que je qualifierai comme « non-favorables », une femme qui vit ses désirs, sans se cacher est une « salope », ou chépakoi. Dans d’autres contextes, il n’y a pas de jugement négatif a priori, mais c’est la loi du silence, alors tout le monde fait comme si c’était « cool » (ne parlons pas de nos relations, comme ça tout va bien).
De mon côté, j’éprouve le besoin d’en parler avec d’autres, parce que c’est comme le reste quoi, on réfléchit souvent mieux à plusieurs, que toutE seulE. Alors, j’ai encore plein de question par rapport à la non-exclusivité : comme celle de la hiérarchisation des relations amoureuses, affectives par exemple.
Avant (quand j’étais jeune, hihi) je pensais que je pouvais donner autant d’énergie, d’importance à toutes mes relations (amoureuses, affectives…) mais le fait est que dans la « réalité », c’est pas si simple. Concrètement, la hiérarchisation s’impose presque d’elle-même, notamment par le facteur-temps. J’ai personnellement tendance à accorder plus « d’importance » aux relations qui « durent », ou alors je « choisis » de consacrer plus ou moins de temps à telle relation parce que j’ai d’autres « priorités » à certains moments (comme occuper le chantier d’une future prison pour mineurEs par exemple, oups).
Il y a aussi le facteur-émotion : celui qui retourne le bide quand une relation « nouvelle » et super forte démarre… et hop-là, on s’enflamme et (presque) plus rien n’occupe autant l’esprit, les émotions. Et là aussi la hiérarchisation s’installe : je veux dire, même si on ne le veut pas, dès fois, ça arrive quoi, et picétout.
D’autres questionnements tourneraient autours de la visibilisation de nos relations amoureuses, affectives et de comment on lutte contre l’hétéronormalité sans condamner les personnes à cacher leurs émotions, leurs gestes d’affection, qu’elles soient hétéro, lesbiennes, gays, queer, trans, bi…bref, faut écrire un autre texte ?

Rien n’est définitif, tout est à réinventer en permanence (youpiii !)

Rien n’est définitif : certains choix ont un sens à un moment T dans la vie, et à un autre moment (X par exemple) ils n’en ont plus du tout. ChacunE peut et doit pouvoir s’y retrouver dans ses choix : l’important est justement de faire des vrais choix, en connaissances de causes. Choisissons de vivre des relations exclusives, non-exclusives, uniques, multiples parce que cela nous convient vraiment, et non pas parce que c’est « comme ça », ou parce que c’est politiquement « correct » (j’ai vu parfois des personnes « s’imposer » la non-exclusivité parce que c’est « comme ça » dans nos « milieux », c’est pas vraiment génialement subversif dans ces cas là ☹).
Ayons le courage de sortir de nos systèmes de pensée dominants, voir parfois religieux pour progresser un peu. Apprenons à nous parler, à construire des rapports de confiance, à élargir nos éventails de choix, nos horizons des possibles…bref, allons-y quoi !

Ça ressemble à une conclusion, ça ? bof, tant pis ☺

Emma, septembre 2006. emma-g at boum point org

emma