Cette brochure est une compilation de traductions de deux textes issus du livre Men doing feminism (hommes faisant du féminisme).
Le premier, Les hommes proféministes et leurs ami.e.s, essaye de comprendre pourquoi les hommes hétérosexuels ayant des réflexions féministes n’arrivent à entretenir, majoritairement, des relations amicales sincères, sensuelles, confiantes et intimes qu’avec des femmes.
Le second, A genoux : connaissance charnelle, dissolution masculine, faire du féminisme, parle d’hétéronormativité et de désir. Il utilise les concepts de déterritorialisation, puissance et pouvoir de Deleuze et Guattarri et les applique au corps des hommes. Pourquoi cherchons-nous si souvent à conquérir l’espace, prendre de la place, tout en nous protégeant constamment contre les attaques, en fermant notre corps ? Pourquoi avons-nous si peur de la pénétration ?
Sans toujours en parler explicitement, ces textes proposent tous les deux des pistes particulières par rapport à la place des hommes dans les luttes contre le patriarcat. Plutôt que de se demander si et comment un homme pourrait être féministe, ou si un oppresseur peut participer aux luttes des individus qu’il opprime (ce qui reste une bonne question), ils proposent que les hommes ne soient plus seulement des soutiens aux luttes féministes mais travaillent sur leurs relations au sein de leur classe de genre.
2016
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Sommaire :
– Introduction, par sionsetouchait[at]riseup.net
– Les hommes proféministes et leurs ami.e.s, par Richard Schmitt
– A genoux : connaissance charnelle, dissolution masculine, faire du féminisme, par Brian Pronger
Introduction
(par sionsetouchait[at]riseup.net)
La brochure que vous tenez dans vos mains est le résultat de quelques mois de travail en 2014. Les deux textes qui s’y trouvent sont issus du livre Men doing feminism (Hommes faisant du féminisme), publié aux éditions Routledge en 1998.
C’est un recueil d’articles universitaires écrits par des hommes, des femmes et des trans américain.e.s et collectés par Tom Digby. On y parle principalement de la place des hommes et des trans dans la recherche universitaire féministe et les luttes féministes au sens large, de la place des hommes noirs dans le féminisme noir, de l’impact des théories féministes dans les vies des hommes, de paternité, de womanism …
Jusqu’à maintenant, seul l’article Male feminism as oxymoron (Le féminisme mâle comme oxymore), de David J. Kahane, était trouvable gratuitement, mais dans sa version originale anglaise. Et aucun des articles du bouquin n’était trouvable en français, gratuitement ou pas.
En lisant Men doing feminism, deux articles m’ont particulièrement interpellé. Au fur et à mesure de leur lecture, je me suis retrouvé à en traduire des extraits à un pote, lançant de bonnes discussions sur notre relation et celles que nous entretenons avec les autres hommes. Et puis je me suis dit que c’était quand même con de pas pouvoir les utiliser comme bases de discussion avec plus de copains (surtout ceux qui ne comprennent pas l’anglais). Alors je me suis lancé dans la traduction complète de On your knees : carnal knowledge, masculine dissolution, doing feminism et Profeminist men and their friends.
Je suis un homme cissexuel [1], blanc, avec des papiers français, presque la trentaine, hétérosexuel, valide, avec une formation universitaire relativement élevée, issu d’une famille bourgeoise de gauche et qui joue parfois avec son apparence de genre.
Si ces deux textes m’ont touché c’est parce qu’ils portent sur deux thèmes de réflexion qui m’accompagnent beaucoup ces derniers temps.
Le premier, Les hommes proféministes et leurs ami.e.s, essaye de comprendre pourquoi les hommes hétérosexuels ayant des réflexions féministes n’arrivent à entretenir, majoritairement, des relations amicales sincères, sensuelles, confiantes et intimes qu’avec des femmes. Je me retrouve beaucoup là-dedans, même si je ne me définis pas comme proféministe. Il m’est rarement arrivé dans ma vie de vivre des relations d’amitié intense avec d’autres garçons et je cherche toujours à comprendre pourquoi (même si je sais en partie) et surtout comment changer cela.
Le second, A genoux : connaissance charnelle, dissolution masculine, faire du féminisme, parle d’hétéronormativité et de désir. Il utilise les concepts de déterritorialisation, puissance et pouvoir de Deleuze et Guattarri et les applique au corps des hommes. Pourquoi cherchons-nous si souvent à conquérir l’espace, prendre de la place, tout en nous protégeant constamment contre les attaques, en fermant notre corps ? Pourquoi avons-nous si peur de la pénétration ? Pourquoi ai-je vécu l’extrême majorité de ma vie sexuelle hétéro sans même imaginer que je pouvais être attiré par d’autres hommes ? Comment atteindre le désir féministe ?
Sans toujours en parler explicitement, ces textes proposent tous les deux des pistes particulières par rapport à la place des hommes dans les luttes contre le patriarcat. Plutôt que de se demander si et comment un homme pourrait être féministe, ou si un oppresseur peut participer aux luttes des individus qu’il opprime (ce qui reste une bonne question), ils proposent que les hommes ne soient plus seulement des soutiens aux luttes féministes mais travaillent sur leurs relations au sein de leur classe de genre. En dehors des propositions de déconstruction de l’éducation genrée masculine, peu de mecs prônent aussi ça. J’ai moi-même longtemps plus travaillé sur mon rapport aux femmes, sur comment je peux prendre de la place, comment je rabaisse mes copines, comment je fais pas toujours gaffe au consentement, comment je profite parfois de mes privilèges sans m’en rendre compte, etc., sans réfléchir à pourquoi je trainais surtout avec des non-hommes et me sentais plus à l’aise en leur compagnie. C’est sûr qu’il ne faut pas arrêter de se poser ces questions. Mais j’ai de plus en plus le sentiment que de soutenir les copines dans leurs luttes (quotidiennes ou non) en participant à des groupes de réflexion et d’action en mixité, est nécessaire mais pas suffisant. Il faut aussi qu’entre personnes construites comme oppresseurs (par exemple par la non-mixité), on arrive à faire un travail que seuls nous pouvons faire, et qui va dans le sens de l’abolition du patriarcat. Sans tomber dans la solidarité masculine, il faut qu’on arrive à casser cette froideur souvent ressentie face aux autres hommes, qu’on bosse sur nos amitiés, nos intimités, nos sexualités… qu’on supprime notre homophobie et les relations de pouvoir entre hommes. Cela permettra peut être, comme le dit Pronger, d’incarner le désir féministe et comme le dit Schmitt, de rééquilibrer le rapport genré à la prise en charge affective.
Une précision importante par rapport au titre de la brochure et à certaines thèses de Pronger : quand je propose en titre qu’on se touche, émotionnellement et physiquement, cela reste évidemment dans les limites nécessaires du consentement ! Pronger dit que « ceux qui sont les plus réticents à ouvrir leurs bouches et anus à d’autres hommes sont ceux qui ont le plus besoin de le faire ». Une pote m’a dit que ça sonnait beaucoup comme une obligation à sucer et se faire enculer. En relisant l’article en entier, j’ai l’impression qu’il essaye plutôt de pousser les hommes à réfléchir sur ces questions dans le but de faire taire leur homophobie et d’en avoir envie, pas de se forcer à avoir des relations homosexuelles avec pénétration. Si je n’interprétais pas son texte comme ça, j’aurais abandonné cette traduction.
Ces textes ne sont pas dans le même ordre dans le livre et dans la brochure. J’ai choisi de partir du moins au plus intime. Aussi, parce que j’ai l’impression qu’il est parfois plus facile de d’abord créer des relations affectives et intimes avec des hommes, avant de faire du sexe avec eux.
Bon, c’est clair, parfois, les deux textes que j’ai traduits sont chiants à lire ! C’est écrit par et pour des universitaires. J’ai pas envie de vous dire de faire un effort (ce serait trop facile de ma place d’ex étudiant universitaire) mais je pense que ça vaut le coup d’essayer. J’ai moi-même pas compris tous les concepts utilisés. Après, je pense que c’est possible de sauter des passages et de quand même comprendre le fond.
Pendant la traduction, je me suis posé pas mal de questions sur la féminisation. J’ai l’habitude, en français, de tout féminiser. Mais c’est facile quand c’est moi qui écrit à propos d’un sujet étudié. Si je sais que je parle d’hommes et de femmes et de trans, j’utiliserais des mots comme illes (ils et elles), squatteureuses, travailleureuses, manifestant.e.s, etc. Mais en traduisant depuis une langue comme l’anglais, dans laquelle le neutre est extrêmement courant, cela devient plus compliqué. En effet, je n’ai pas pris contact avec les auteurs des textes et je ne sais pas si chacune de leur utilisation du neutre anglais désignait des hommes et/ou des femmes et/ou des trans… J’ai donc interprété en fonction de comment je comprenais leur texte. En fait, je crois qu’à chaque fois que j’avais un doute j’ai féminisé.
Finalement, j’ai eu des problèmes avec la traduction des termes male et man. Traduire man par homme est simple. Mais j’ai l’impression que le terme male (qui se traduit littéralement par mâle) est parfois utilisé en anglais, en tout cas dans ces deux textes, comme synonyme de man. Alors peut être que ma traduction manque de subtilité, mais bon…
Bref, c’est quand même les textes qui suivent qui sont les plus intéressants dans cette brochure alors bonne lecture !
Bisous.
PS : … et surtout n’hésitez pas à faire tourner gratuitement et à m’écrire : sionsetouchait@@@riseup.net !
PS2 : et merci aux copin.e.s pour les relectures critiques, la mise en page, le massicot, la photocopieuse, la sérigraphie et la couverture !
Les hommes proféministes et leurs ami.e.s
(par Richard Schmitt)
J’ai passé la dernière année en Equateur. Parce que le courrier entre les Etats-Unis et l’Equateur était rare et précaire, ma partenaire et moi-même avons entretenu nos relations avec nos ami.e.s par e-mail. Mais alors que j’envoyais et recevais quelques courts messages de mes ami.e.s, beaucoup ayant affaire au travail d’une sorte ou d’une autre, Lucy entretint un ensemble élargi et complexe de correspondances avec un réseau étendu de ses ami.e.s hommes et femmes. Certain.e.s de mes ami.e.s ne m’écrivirent pas du tout ; d’autres écrivirent rarement et de manière impersonnelle. Je les blâmais pour leur position non-éclairée jusqu’à ce que je me rende compte que j’avais moi aussi manqué de nombreuses opportunités d’entretenir des connexions avec mes ami.e.s. J’étais un ami aussi apathique et non-éclairé qu’elleux.
Cela m’a perturbé et laissé perplexe. Je me suis demandé pourquoi les hommes hétérosexuels [2] avons les amitiés que nous avons et pourquoi elles ont tendance à jouer un rôle relativement périphérique dans nos vies. Cherchant des réponses à ces questions, j’ai commencé à lire une partie de la volumineuse littérature au sujet des hommes et des femmes hétérosexuel.le.s dans leurs relations, à propos de leur manière de parler (ou de ne pas parler) les un.e.s aux autres. Cette littérature décrit les hommes hétérosexuels comme impassibles, ignorants de leurs propres émotions, et réticents à examiner leurs sentiments ou écouter d’autres personnes exprimer leurs émotions. Les explications de pourquoi ces hommes sont comme cela allaient de théories psychanalytiques sur la manière de grandir des petits garçons à des discours quasi-darwinistes plus ou moins bidons sur l’Homme-Chasseur et la Femme-Mère.
Mais rien de tout ça ne semblait s’appliquer à moi et mes amis. Nous sommes tous des hommes proféministes hétérosexuels. Nous ne nous montrons pas de l’affection en nous frappant ou en nous appelant par des noms vulgaires et insultants. Nous ne passons pas tout notre temps ensemble à nous vanter de nos exploits sexuels (souvent fictifs) ou faire des blagues au détriment les uns des autres. Nous ne sommes pas en concurrence constante les uns avec les autres. Dans nos relations avec les femmes nous sommes ouverts à l’émotion : nous réfléchissons à nos sentiments et sommes préparés à en parler ; nous sommes conscients de ce que les autres ressentent et sommes prêts à aider, soutenir, encourager, ou stimuler. Nous avons appris à écouter et accorder une attention soigneuse et concentrée. Mais nos amitiés les uns avec les autres restent — à quelques exceptions près — distantes, émotionnellement froides, et apparemment non essentielles à nos vies. Il n’est pas clair, néanmoins, si les explications standards sur les amitiés des hommes s’appliquent à nous et par conséquent ces explications ne clarifient pas pourquoi nos amitiés sont ce qu’elles sont et pourquoi elles jouent un rôle relativement périphérique dans notre vie. Peu importe combien nos comportements et attitudes sont différents envers les femmes, en relation les uns aux autres nous agissons quand même vraiment comme la majorité des hommes plus ou moins misogynes. Seules les expressions externes des amitiés hétérosexuelles masculines ont changé, pas leur substance. En tant qu’hommes proféministes nous devons nous demander si le caractère de nos amitiés avec les hommes signifient que notre engagement envers la lutte contre le patriarcat est défectueux. Se pourrait-il que les amitiés entre hommes proféministes trahissent notre réticence à abandonner les moyens traditionnellement masculins qui sont oppressifs envers les femmes ?
Pour comprendre notre distance à nos amis (premièrement, mais pas seulement nos amis hommes) nous devons examiner le modèle standard des différences et relations entre hommes et femmes hétérosexuel.le.s. Nous verrons que ce compte-rendu standard est trop simple. Je décrirai ensuite une compréhension plus complexe des relations des hommes typiques aux femmes et aux autres hommes, ce qui nous permettra de voir que la réticence même des hommes proféministes à céder un rôle central dans leurs vies aux amitiés sert à maintenir les structures patriarcales. La conclusion est que les hommes proféministes hétérosexuels doivent transformer leurs amitiés avec les autres hommes pour continuer leur opposition au patriarcat.
La Vision Standard
A. La Vision Majoritaire
Dans la littérature vaste et sans cesse croissante à propos des hommes et des femmes hétérosexuel.le.s [3], leurs différences et similitudes, le rôle différent de l’amitié dans les vies des hommes et des femmes de même que le caractère différent de ces amitiés est documenté longuement. Voici un résumé de ces résultats souvent récurrents :
Le rapport Hite (1987) constata que, bien qu’à peu près un quart des interrogées avait eu une relation sexuelle avec une autre femme, la grande majorité des femmes mariées ou célibataires avaient eu leur relation émotionnelle la plus profonde avec une femme (15). « Les amitiés entre femmes … créaient un univers où les identités personnelles de la femme pouvaient être validées (21) … L’entraide est plus centrale aux amitiés féminines alors que les activités partagées et les intérêts similaires sont plus centrales aux hommes … les femmes utilisent plus d’expressions non-verbales d’affection (29). Les styles féminins … sont incompatibles avec le contrôle … les hommes [sont] … également capables d’interactions intimes, [mais] ils préfèrent interagir intimement moins souvent que les femmes … les définitions des hommes de l’intimité en terme de proximité et d’activités partagées les protège efficacement de situations de vulnérabilité émotionnelle et de perte potentielle de contrôle. L’intimité pour les femmes … implique typiquement d’admettre la dépendance, de partager les problèmes et d’être émotionnellement vulnérable (30). Le maintien d’un style intime de relation chez les femmes et d’un non-intime chez les hommes reflète et renforce finalement les relations de pouvoir entre les sexes (33).(O’Connor 1992 ; Block and Greenberg 1985)
Les relations des femmes sont d’importance centrale dans la vie des femmes. Avec leurs ami.e.s elles parlent, échangent des confidences, partagent des émotions, se soutiennent en paroles et en actes. Les hommes hétérosexuels, en revanche, travaillent ensemble, font du sport, ou plaisantent. S’ils parlent, le dialogue tend à être impersonnel. Leurs amitiés sont d’importance secondaire pour eux.
Les explications de ces différences sont aussi sans cesse répétées et divergent dans une certaine mesure en fonction des sources. Les hommes proféministes nous donnent une explication quelque peu différente de celle des hommes qui ne sont pas féministes. La position des femmes à propos des amitiés des hommes diffère de celle des hommes. Les hommes proféministes ont tendance à souligner que les hommes sont toujours en concurrence les uns avec les autres (Gilmore 1990 ; Kimmel 1994 ; Stoltenberg 1993). Par conséquent, ils ont tendance à être peu sûrs d’eux, leur virilité est toujours remise en cause et doit être démontrée encore et encore. La faiblesse est à craindre car elle invite l’agression des hommes plus forts. Les démonstrations publiques d’émotions sont des signes de faiblesse tout comme la dépendance aux autres. Ainsi, vivant dans un monde masculin très compétitif, les hommes cherchent l’indépendance et fuient les enchevêtrements émotionnels ; Ils veulent apparaître forts (Brittan 1989) et ont ainsi peur des exhibitions d’émotions (McGill 1985, 18). Par conséquent, leurs relations aux hommes et aux femmes sont distantes, impersonnelles, et sans émotions. Les liens affectifs sont évités ou, quand ils ne sont pas évités, sont transformés en affaires d’exclusivité sexuelle. Les hommes proféministes voient la lutte concurrentielle entre hommes — il n’est pas toujours clair à propos de quoi les hommes se battent — comme la source de la distance masculine aux émotions et aux autres personnes.
Les hommes hétérosexuels non-féministes nous donnent les mêmes descriptions des hommes mais ils trouvent des problèmes dans des endroits différents. Oui, les hommes valorisent la force et l’indépendance. Oui, leurs amitiés avec d’autres hommes sont souvent faibles, mais ce qui manque dans leurs vies n’est pas tant l’émotivité ouverte, la capacité à être dépendant, mais au contraire « les actions vigoureuses … sans cruauté » (Bly 1990, 8). Alors que les hommes proféministes déplorent la compétitivité des hommes qui les contraint dans une position défensive, auto-protectrice et émotionnellement stérile, les hommes qui ne sont pas féministes se plaignent que les hommes ont, ces dernières années, reconnu le coté féminin de leur nature au détriment de leur force et de leur capacité à agir vigoureusement. Ils ne souffrent pas d’un excès de compétition masculine, mais au contraire, d’un déficit de masculinité — compris ici comme étant puissante, contenue et indépendante. Par conséquent, ils ne peuvent former d’amitiés fortes, typiquement masculines, avec d’autres hommes puisque « seuls les hommes peuvent initier les hommes » (Bly 1990, 16) et nous, non initiés par les hommes, sommes ainsi incapables d’avoir des amitiés authentiques avec d’autres hommes.
Les femmes ont tendance à encore voir la condition des hommes différemment. Qu’elles insistent sur le fait que « les hommes et les femmes sont différent.e.s » (Tannen 1990) ou prennent une position plus critique qui voit la stérilité émotionnelle des hommes comme oppressive pour les femmes, elles décrivent toutes les hommes comme plus ou moins défectueux. La version la plus douce de cette description dit des hommes que dans leurs relations aux femmes et aux autres hommes, ils ne partagent pas leurs sentiments ou, s’ils essayent de les partager, ne sont pas très bons. Une version plus forte dit que les hommes ne peuvent pas partager leurs sentiments parce qu’ils en sont inconscients (McGill 1985, 13). Une autre version nous dit que les hommes ne partagent pas leurs sentiments parce qu’ils sont totalement égocentriques et ainsi inattentifs aux autres et aux sentiments et besoins de ces autres. D’une perspective de femme, les hommes sont soit incompétents dans l’une des compétences primaires des êtres humains soit moralement défectueux. Pour ce qui est d’être attentif, d’exprimer et de partager des émotions, les hommes sont soit des empotés pathétiques soit des tyrans aux besoins constants.
Dans ces différentes perspectives, les descriptions se recoupent : les hommes sont inexpressifs et sans réactions aux sentiments des femmes. Dans leurs relations aux autres hommes, la distance en vigueur explique l’importance secondaire de ces amitiés dans les vies des hommes. Ces faits sont expliqués différemment en fonction du genre de l’auteur.e et de si illes voient les hommes comme victimes de forces sociales, comme simplement différents des femmes, ou comme leurs oppresseurs.
B. La Vision Minoritaire
Si la vision majoritaire représente les hommes hétérosexuels comme handicapés émotionnellement par la situation compétitive dans laquelle ils se trouvent, avec peu d’amis hommes, et aussi souvent distants de leurs épouses, la vision minoritaire nous rappelle que dans de nombreuses cultures, dont la nôtre, ces hommes ont des liens forts les uns avec les autres qui sont pour eux—comme leurs amitiés sont aux femmes—parmi les connexions les plus fortes de leurs vies (Tiger 1970) [4]. Une des attractions de l’athlétisme pour les garçons est qu’ils y trouvent des connexions. Dans l’équipe, ils trouvent la maison émotionnelle qu’ils ne trouvent pas avec les parents ou les frères et sœurs (Messner 1992). De nombreux auteurs documentent les connexions proches que les hommes créent les uns avec les autres à la guerre (Gibson 1994 ; Gray1992 ; Theleweit 1988). La misogynie partagée est également puissante : des hommes qui peuvent à peine se connaître ont un fort lien commun autour des blagues sur les conductrices, des commentaires sexuels vulgaires à propos des femmes marchant dans la rue, ou une litanie familière de complaintes à propos des femmes. Il est vrai que les amitiés des hommes ne sont pas comme les amitiés des femmes et que leurs amitiés ne jouent pas le rôle dans la vie des hommes qu’elles jouent dans la vie des femmes. Mais il n’est pas vrai que les hommes hétérosexuels n’ont pas de connexions fortes les uns avec les autres (Cohen 1992 ; Wellman 1992).
Il n’est pas non plus universellement vrai que les hommes sont impassibles, ou inconscients de leurs sentiments, comme nous le dit la vision majoritaire. Les historien.ne.s documentent les amitiés intimes, expressives et sincères entre les hommes de la Nouvelle-Angleterre du 19ème siècle (Hansen 1992). Les hommes deviennent intensément émotifs à propos du sport ; Ils deviennent très émotifs à propos de la réputation de « leurs » femmes, ou leur pays, à propos de leur candidat ou enjeu politique. Les hommes deviennent aussi très émotifs à propos de l’avortement comme infanticide et d’autres déploient des émotions comparables concernant le futur glorieux de la classe ouvrière. Les hommes hétérosexuels nous ont toujours été présentés comme des amants passionnés ; les poètes, hommes pour la majorité, ont chanté leur passion pour une femme dans de nombreux modes. L’amour romantique est autant, si ce n’est plus, la province des hommes que des femmes et l’amour romantique est la quintessence de la passion. Il n’est pas vrai que les hommes ne sont pas émotifs. Les amitiés légendaires dépeintes dans la littérature sont aussi celles des hommes. L’Ancien Testament nous parle du Roi David et de son ami Jonathan, Homer, d’Achille et Patrocle ; nos enfants vibrent encore aux aventures des trois mousquetaires. Dans notre mythologie au moins, l’amitié est importante, et l’amitié est l’amitié des hommes. De plus, les hommes se confient à des ami.e.s — le plus souvent à des femmes. McGill a constaté que :
… approximativement un tiers des hommes dans la recherche ont déclaré qu’ils ont révélé des choses à propos d’eux à d’autres femmes qu’ils n’ont pas révélé à leur femme … ces hommes sont peut-être plus intimes avec d’autres femmes qu’ils peuvent l’être avec leur épouse … la défense commune des hommes sur l’ignorance (de leurs sentiments) ou l’incapacité à être intime est sans fondement … (78) Dans les domaines importants du moi privé et personnel, les hommes révèlent beaucoup à d’autres femmes, dans de nombreux cas autant et plus qu’ils ne révèlent à leur propre épouse. Il apparaît aussi que dans ces relations ils écoutent vraiment la femme et l’échange d’intimité est mutuel. (McGill 1985 ; Wellman 1992)
Le tableau dépeint par la vision majoritaire du manque d’émotivité ou de l’isolement des hommes est contredite par cette vision minoritaire. L’image des hommes comme manquant d’émotion est très unilatérale, partiale et, en gros, fictionnelle.
Une histoire alternative
Il y a de vraies contradictions dans le genre de choses que nous dit la littérature à propos des hommes et femmes hétérosexuel.le.s, leurs relations, et leur émotivité (Sherrod 1987). On peut prendre ces contradictions comme des indications qu’il y a quelque chose qui pose problème avec nos théories. Les hommes ne peuvent être impassibles et émotifs, réticents à parler et librement communicatifs. Il ne peut être vrai que les hommes n’ont pas d’ami.e.s—certainement pas parmi les autres hommes—et que leurs liens aux autres hommes sont les plus importants dans leurs vies. Si notre explication des hommes est pleine d’auto-contradiction, nous pouvons être tenté de dire, elle doit être rejetée et remplacée par une autre, cohérente en elle-même.
Mais, évidemment, les êtres humains ne sont pas tou.te.s d’un seul tenant. Alors que nos théories, on l’espère, sont consistantes en elles-mêmes, les personnes qui ont formulé ces théories le sont à peine. En conséquence, ces comptes-rendus de la vie émotionnelle des hommes montrent que les hommes, la plupart du temps, agissent en mode tout à fait contradictoire. Ce n’est pas notre explication des comportements des hommes qui est incohérente. Les actions des hommes sont souvent inconsistantes les unes avec les autres. La plupart du temps, les hommes hétérosexuels jouent un double jeu. Ils se présentent comme indépendants et forts mais sont dépendants et faibles. Ils nous font croire qu’ils sont solitaires et isolés mais leur pouvoir patriarcal est un pouvoir détenu collectivement et défendu par les hommes en association les uns avec les autres.
Dans La Promenade au Phare [5], Virginia Woolf documente de façon exhaustive cette duplicité. La majeure partie du roman décrit un jour d’été dans la maison de campagne des Ramsay. M. Ramsay est un philosophe d’Oxford pour qui son travail est l’intérêt central de sa vie, plus que sa femme, ses quatre enfants, ou ses amis. Ses relations à d’autres hommes ont toujours un coté compétitif. Sa conversation avec les étudiants admiratifs dont il s’entoure concerne :
… qui avait gagné ceci, qui avait gagné cela, qui était un “homme de premier ordre” aux versets latins, qui était “brilliant mais je pense fondamentalement peu constant,” qui était indubitablement le “compagnon le plus habile à Balliol.” … (Woolf 1927, 15)
A sa famille il montre un visage abstrait, absent. Il ne sait pas ce qu’il mange, il ne remarque pas que sa fille se transforme en une belle jeune femme. Il ne se soucie pas des déceptions de son plus jeune fils. Il se soucie de la vérité et de ses accomplissements de philosophe. Tout ce temps, Mme Ramsay doit travailler pour garder serré le tissu social : elle s’occupe des enfants, des repas ; elle s’assure que les différent.e.s invité.e.s sont à l’aise et apprécient leur séjour. Elle essaye d’encourager les relations entre jeunes hommes et femmes. Aux repas, alors que les hommes filent des conversations abstraites qui la frappent comme tout à fait stériles, elle s’assure que la conversation inclut tout le monde. C’est son travail de faire que les choses se passent bien.
Ramsay est « son propre chef ». Absorbé par ses propres préoccupations et intérêts, il est indépendant, compétitif, impassible — l’homme paradigmatique. Mais il y a une autre face à ce même homme paradigmatique : il dépend de Mme Ramsay pour organiser la maison, la nourriture et la famille. La journée d’été entière, avec ses complexités principalement internes, dépend du travail constant de Mme Ramsay. C’est uniquement grâce aux efforts constants de Mme Ramsay qu’il y a un monde social dans la maison d’été des Ramsay. Mais, qui plus est, M. Ramsay dépend personnellement de sa femme pour le soutien constant et la construction de l’ego. A certains moments, l’homme fort et indépendant demande du soutien, de l’attention, du réconfort, quand il craint que son dernier livre ne soit pas un succès. Mais, étant un homme typique qui est engagé, ou au moins le prétend, à être fort et indépendant, il ne peut lui demander ce dont il a besoin et elle doit deviner ce qu’il veut quand il le veut. S’il le veut, elle doit donner, et donner généreusement, qu’elle se sente de le faire ou non. Il arrive et se tient silencieux et misérable et :
… Mme Ramsay, qui avait été assise confortablement, pliant son fils dans son bras, s’arc-bouta … pour ériger dans l’air une pluie d’énergie … et dans cette … fontaine et vaporisateur de vie, la stérilité fatale du mâle se plongea comme un bec d’airain, aride et nu. Il voulait de la compassion. Il était un échec, disait-il … M. Ramsay répétait, ne quittant jamais son visage de ses yeux, qu’il était un échec. Elle lui souffla de nouveau les mots. “Charles Tansley [un étudiant diplômé admiratif] …, ” Dit-elle. Mais il lui en faut plus … Mais il lui en faut plus. (Woolf 1927, 58)
Il y a deux Ramsay — le manipulateur rationnel, intelligent, de concepts abstraits, le mentor admiré de brillants jeunes hommes, tout autant distraits et oublieux des aspects matériels et humains de leur vie ; et le Ramsay peureux, malheureux, incapable de s’exprimer, pour lequel sa femme doit non seulement maintenir l’ambiance pour que ses amis et lui puissent s’impressionner les uns les autres avec leur ingéniosité, mais doit aussi deviner quand ses humeurs noires s’abattent sur lui, quand il est impuissant face à ses propres sentiments. Maintenant, son dévouement pour la vérité le trahit — elle doit lui mentir à propos de ses accomplissements et il en veut toujours plus. Sa rationalité ne lui sert pas non plus car il ne peut réfléchir aux raisons de ses humeurs noires. Mme Ramsay doit l’aider : il est incompétent, dépendant et faible.
La contradiction apparente entre les différentes descriptions des hommes — isolés et impassibles, ou fermement liés aux autres hommes et ouverts sur leurs besoins émotionnels — se révèlent ne pas être des contradictions du tout : les hommes sont à la fois l’un et l’autre pour maintenir leur pouvoir patriarcal. Ils font en sorte que les femmes répondent à leurs besoins émotionnels mais sans demander : ainsi ils peuvent apparaître indépendants et être, en fait, dépendants. Comme l’a montré Jean Baker Miller en décrivant un certain homme :
Comme beaucoup de gens il voulait au moins deux choses. Il voulait, tout d’abord, naviguer à travers toute situation en se sentant « comme un homme, » qui est fort, autosuffisant, et pleinement compétent. … En même temps … il nourrissait le désir apparemment contradictoire que sa femme résolve en quelque sorte tout pour lui. … Elle ferait cela sans que cela lui soit demandé ; Il était essentiel qu’il n’ait jamais à penser ou parler de ses faiblesses. (Miller 1976, 33)
Les hommes hétérosexuels sont en concurrence les uns avec les autres pour le statut dans le monde du travail, mais se lient les uns aux autres de manière compacte pour maintenir les femmes soumises : la conversation abstraite à la table du diner des Ramsay exclut délibérément les femmes qui y sont aussi ; c’est juste une façon de plus par laquelle la meute mâle réaffirme sa supériorité dans une autre forme. Elle n’a pas besoin de veiller à ce que tout le monde soit inclus dans la conversation. Mme Ramsay et les autres femmes feront en sorte que les choses se passent bien. Les hommes, comme les seigneurs de la création, n’ont besoin que de se satisfaire dans leur jeux compétitifs les uns avec les autres. Mais cette indépendance et cette autosuffisance des hommes sont dans beaucoup, voir dans la plupart des cas, une imposture. C’est un faux-semblant. Le moment venu, les hommes seront aussi faibles, aussi dépendants que les femmes ou les enfants. Mais le pouvoir qu’ils ont leur permet de supprimer cette information. En privé, les femmes se plaignent des demandes excessives de soutien émotionnel (Cohen 1992). Ces demandes sont très pénibles, comme le rend amplement clair Virginia Woolf dans le passage cité plus haut. Mais aucune mention publique de faiblesse masculine n’est permise.
Il n’est ainsi pas vrai que les hommes hétérosexuels sont indépendants et autosuffisants. Ce qui est vrai est que les hommes prétendent être indépendants et autosuffisants. Mais cela ne les empêche pas de dépendre beaucoup des femmes pour répondre à leurs besoins émotionnels et de se plaindre avec véhémence quand ces besoins ne sont pas satisfaits quand et comme ils le désirent. Il n’est pas non plus vrai qu’ils n’ont pas de relations avec les autres hommes ; que les hommes n’ont pas d’amis. Cela semble souvent être le cas, même d’après les hommes (Levinson 1978), mais cela semble être le cas seulement dans la mesure où la solidarité omniprésente des hommes contre les femmes est ignorée ou supprimée. L’histoire souvent répétée de la « différence » entre les hommes et les femmes dans la façon dont illes parlent et utilisent la parole, et la façon dont illes façonnent leurs relations est vraie mais omet des choses importantes, à savoir que ces différences ne sont pas véritables mais sont utilisées pour maintenir les positions de pouvoir des hommes.
Il est clair que cette duplicité des hommes hétérosexuels est oppressive pour les femmes :
Dans toutes les relations interpersonnelles significatives, à part celles les uns avec les autres, les hommes reçoivent plus qu’ils ne donnent en amour et intimité (212). Par la rétention d’information de notre relation, je ne retiens pas seulement le pouvoir sur mes actions, je gagne aussi du pouvoir sur tes actions…. le mystère présenté par les hommes est un chemin vers la maîtrise des autres (231/2/3). (McGill 1985)
Une histoire plus complexe que l’explication standard à propos des hommes, des femmes et leurs relations aux autres hommes et femmes, émerge ici. La conception dominante de la masculinité (hétérosexuelle) demande des hommes qu’ils soient forts, qu’ils soient aptes à dominer les autres, qu’ils soient aptes à obtenir des autres ce qu’ils veulent sans réciprocité. Le fort prend au faible ; ils n’échangent pas de biens ou services. Les hommes hétérosexuels prouvent leur force dans des compétitions avec n’importe quel adversaire : dans les sports, dans le fait de chasser des animaux, en dominant d’autres hommes. Mais, comme le suggère Stoltenberg, les compétitions entre hommes sont souvent mises de côté pour que les hommes puissent dominer conjointement les femmes (Stoltenberg 1993). L’arène favorisée dans laquelle les hommes prouvent leur force est en relation aux femmes. La domination des femmes est le projet commun des hommes hétérosexuels, pour lequel ils forment des liens forts les uns avec les autres. La force nécessite d’être indépendant, de répondre à ses propres besoins. La force dans ce contexte signifie de ne pas être à la merci d’émotions mais d’être stoïque face à la douleur et la perte. D’où l’apparition des hommes comme impassibles. En même temps, beaucoup d’hommes utilisent leurs besoins émotionnels comme l’arène dans laquelle ils dominent les femmes. Les femmes sont là pour servir leurs besoins émotionnels et corporels. Sans besoins il ne peut y avoir de services. L’indigence des hommes, de manière paradoxale, sert leur ambition de pouvoir et domination. On affirme sa force précisément en obtenant des services sans demander. Le plus faible est constamment en assistance, désireux de deviner ce que l’autre pourrait vouloir et essayant de le rendre heureux. Ici, l’homme reste en charge. Les hommes ne donnent pas cette sorte d’attention inlassable aux femmes. Les apparentes incohérences du comportement masculin cessent d’être déroutantes si elle sont comprises dans le contexte de la domination masculine des femmes.
Puisque l’affichage émotionnel, le fait d’avoir des besoins émotionnels, et le fait d’avoir ces besoins satisfaits, sont tous au service de la domination — principalement des femmes — les liens que les hommes hétérosexuels établissent les uns avec les autres sont relativement impassibles et sont, dans la majorité des cas, des liens cimentés par des compétitions jointes dans la guerre, les sports, l’utilisation des femmes. Les amitiés masculines reposent sur l’effort commun pour gagner ou pour survivre. Les amitiés masculines sont des efforts partagés pour être fort et dominant. Les amitiés entre hommes sont ainsi relativement impassibles et impersonnelles — après tout, les émotions sont entretenues par les femmes et en se permettant d’être émotionnel dans les relations hétérosexuelles on continue de maintenir sa position dominante.
Mais cette histoire ne semble pas s’appliquer aux hommes proféministes hétérosexuels qui ont renoncé à la conception traditionnelle de la masculinité. Nous ne nous affirmons pas comme hommes en traitant les femmes de haut ; nous ne nous regardons pas de haut les uns les autres [6]. Par conséquent, l’histoire la plus complexe que j’aie raconté à propos des hommes et de pourquoi leurs amitiés ont cet air particulier de distance à eux n’expliquent pas pourquoi les amitiés des hommes proféministes, aussi, ont rarement l’étendue, l’intensité et l’importance possédées par les amitiés des femmes. La question posée au début du papier reste : qu’est-ce qui rend même les amitiés des hommes proféministes si distantes, et qu’est-ce que cela nous dit de notre position proféministe ?
Pour répondre à ces questions, nous devons examiner comment les amitiés des femmes diffèrent de celles communes entre les hommes.
Séparé ou en-relation ?
C’est un fait familier que les relations des femmes sont différentes de celles des hommes. Mais ces différences ne sont pas toujours définies aussi clairement qu’elles le devraient. Les différences entre les hommes et les femmes en ce qui concerne les relations ont été populairement exprimées en disant que « les hommes sont séparés ; les femmes sont en relation. » Dans la littérature c’est souvent répété en disant que les femmes sont « connectées » et que les hommes ne le sont pas (Eichenbaum & Orbach 1988 ; Lyons 1983 ; Radden 1996). Mais ce n’est pas tout à fait adéquat : les hommes, comme nous l’avons vu, sont connectés et ont aussi des relations—aux autres hommes, à la famille, à leurs femmes et enfants, à leurs amis. Dans la même veine, il est souvent dit, suivant Carol Gilligan, que le « care » [7] joue un rôle plus important dans les vies, actions et pensées des femmes, alors que les hommes sont plus influencés par ou dédiés à des considérations à propos des règles de justice. Mais nous faisons ici face au même problème : certainement les hommes se préoccupent aussi de leurs enfants dans une variété de sens du care. Un compte rendu plus détaillé des différentes manières qu’ont les hommes d’être en relation aux autres personnes et des manières qu’ont les femmes de l’être est nécessaire. De façon correspondante, une discussion bien plus détaillée du care est nécessaire pour mettre en évidence les différences que ce mot était destiné à indiquer.
J’utiliserai les termes « séparé » et « en-relation » pour me référer aux différents types de relations. Dans la littérature ceux-ci sont utilisés comme des termes techniques ; ils n’ont pas les mêmes sens qu’en français ordinaire (Gilligan 1987). A moins qu’on insiste sur le sens technique de ces termes, la distinction entre les relations masculines typiques qui sont très séparées et les relations typiques des femmes qui ne le sont pas semble faire face à des objections évidentes de sens commun, telles que les hommes ont aussi des relations et les hommes se soucient aussi de leurs parents, partenaires, ami.e.s ou enfants. Mais cette objection manque sa cible car la différence entre les relations qui sont séparées et celles qui sont en-relation a un sens spécial ici qui reste à définir.
La séparativité et le fait d’être en-relation sont des attributs des relations, non des personnes. Nos relations peuvent être séparées ; On peut avoir des ami.e.s ou être marié.e de manière séparée. Ce qui différencie les relations séparées de celles qui sont en-relation est que ces dernières sont des projets communs et les premières ne le sont pas. Dans un projet commun, les acteurices constituent un « nous »—illes deviennent un sujet social qui n’est ni tout à moi ni tout à toi (Gilbert 1989). Un projet commun est partagé. Les participant.e.s partagent une certaine compréhension de ce qui est en train d’être fait, ce qui est planifié, ce qu’est le but et ce que sont les résultats attendus. D’un autre coté, tant qu’on maintient nos positions séparées on peut s’engager dans des projets communs, mais ceux-ci consistent simplement en ce que tu fasses ta part et moi la mienne. Un bus public a un nombre de passager.e.s qui vont tou.te.s dans la même direction. Certain.e.s d’entre elleux vont même peut être jusqu’à la même destination finale. Mais le fait qu’illes aillent là-bas est un projet séparé pour chacun.e, bien que quand illes sortent au même arrêt ou appuient sur la sonnette de la même maison illes puissent dire « on est allé au même endroit. » Mais illes y sont allé séparément. Si un groupe d’ami.e.s, en revanche, fait une sortie, illes vont tou.te.s dans le même bus, au même endroit, mais le leur est un projet commun. Illes partagent une compréhension de ce qu’il se passe et de ce qu’illes font. Illes ont décidé de faire cette sortie conjointement.
Les passager.e.s qui se trouvent tou.te.s aller au même endroit de manière séparée l’ont décidé de manière séparée. Illes ont tou.te.s décidé par elleux-mêmes. Joe a décidé par lui-même et Mary a décidé par elle-même et les deux y sont allé.e.s. Le groupe qui fait une sortie ensemble décide peut être aussi de manière séparée ; Chacun.e décide par lui ou elle-même et ensuite illes comptent les résultats. S’illes acceptent de sortir, illes disent qu’« on » a décidé de faire cette sortie. Ensuite illes répartissent le travail : tu fais cette partie, je fais celle-là et nous nous en allons sur des chemins séparés pour faire ce que chacun.e a promis de faire. Une décision faite en-relation, au contraire, émerge d’une conversation que nous avons : à un certain moment ce que nous ferons est clair. Alors que nous nous mettons à faire ce que nous avons décidé, nous pouvons diviser le travail, mais cette division du travail est fluide et est constamment sujette au changement et à la discussion. Ce que chacun.e de nous fait n’est pas seulement le nôtre mais est fait sous les yeux de, avec la connaissance de et souvent avec les commentaires des autres. Aucun.e de nous ne pense à ce que nous faisons comme le nôtre propre mais plutôt comme le fait de mettre en action une partie d’un projet commun. Dans un tel projet commun personne ne peut dire, honnêtement, que « j’ai décidé ». Nous avons décidé ; La décision n’appartient à aucune personne ; elle est faite conjointement. Dans cette mesure un tel groupe forme un « nous. »
D’actions séparées nous prétendons qu’elles sont toutes « les nôtres ». Si le produit de ton activité est assemblée, c’est-à-dire entre les couvertures d’un même livre, avec le résultat de mon activité, alors on peut dire qu’on a travaillé sur ce livre ensemble. Mais on l’a fait séparément. Evidemment, il doit y avoir un projet commun dans la plupart de ces cas : il doit y avoir une compréhension partagée d’à propos de quoi sera le livre, à quel type d’audience il s’adresse et d’autres telles caractéristiques générales du projet. Avant que chacun.e de nous n’aille à ses études séparées pour faire son travail nous devons partager une compréhension minimale—qu’elle soit totalement explicite ou pas—de ce sur quoi nous allons travailler. Ici aussi il y a une tendance au faux-semblant : la séparativité complète est difficile à atteindre quand plus d’une personne travaille sur quelque chose. Mais si on est déterminé et qu’on tient à être aussi séparé que possible on peut certainement réduire l’élément d’être en-relation à un minimum et ignorer ce minimum dans le but de prétendre que son travail est entièrement le sien [8].
On peut maintenant voir comment les amitiés des hommes typiques sont différentes de celles des femmes typiques. Les hommes hétérosexuels restent largement séparés dans leurs amitiés. Quand on travaille ensemble, nous travaillons les uns à côté des autres. Les plaisanteries constantes maintiennent la distance. L’indépendance est préservée, ou au moins son faux-semblant. Lors d’occasions spéciales nous romprons cette distance et nous nous confierons à un autre homme ; lors d’occasions spéciales nous demanderons du soutien à des femmes. Mais quand la conversation est finie nous devenons de nouveau un homme séparé. Il y a des épisodes émotionnels lors desquels nous sommes ouverts à nos propres sentiments et, au mieux, aussi aux émotions de l’autre, mais ensuite nous abaissons de nouveau les volets métalliques sur notre entrepôt émotionnel et nous retirons derrière une façade enjouée, impassible, qui n’affiche pas nos propres émotions ni ne prend en compte les sentiments des autres. Pour la plupart, les amitiés des hommes sont émotionnellement modérées [9]. Nous pouvons considérablement ignorer l’autre car nous n’avons pas de projets communs mais faisons les choses ensemble, en tant que personnes séparées où chacun fait attention à sa partie de l’entreprise commune. Les amis masculins sont facilement remplacés—les amis sont échangeables.
Au contraire, les amitiés entre les femmes typiques tendent à être en-relation, elles forment un « Nous » et cela demande d’être harmonisée à l’autre personne. Cela requiert, pour commencer, beaucoup plus de conversation qu’en ont besoin les hommes pour être amis. Cela requiert aussi d’écouter clairement pas seulement ce qui est dit, mais aussi comment cela est dit et ce qui n’est pas dit. Cela requiert d’être finalement harmonisé.e aux communications non-verbales de l’autre (Hall 1984). Les actions entreprises par une personne sont complétées par l’autre, comme le fait remarquer Nell Noddings, (Noddings 1984, 4) requérant de faire très attention l’un.e à l’autre. La caractéristique des amitiés des femmes typiques, qu’elles sont rattachées par un ton émotionnel beaucoup plus fort que les amitiés des hommes hétérosexuels typiques, est une manifestation importante du fait que les amitiés des femmes tendent à être beaucoup plus en-relation. L’amitié elle-même est un projet qui est entrepris conjointement, exploré soigneusement, développé et maintenu par changement sur le long terme. En conséquence, les ami.e.s des femmes ne sont pas remplaçables. Chaque projet est unique ; l’amitié que les femmes ont les unes avec les autres est différente des amitiés que la même femme a avec d’autres (McGill 1985, 21) [10].
Les hommes, particulièrement les philosophes, parlent avec volubilité et enthousiasme de comment ils sont autonomes et comment tout le monde devrait l’être. Par autonomie, ils signifient qu’ils vivent un projet de vie choisi par eux-mêmes, ou même qu’ils vivent selon des règles morales de leur choix. Leur vie, leur personne, disent-ils, est « tout à eux ». Ils sont les propriétaires exclusifs d’eux-mêmes (Dworkin 1988). Mais le portrait de M. Ramsay par Virginia Woolf nous a préparé à être sceptique quant aux éloges de l’autonomie comme auto-détermination séparée. Dans leurs plaisanteries académiques, abstraites et paroissiales, les hommes à la table du dîner de Mme Ramsay sont engagés dans un projet commun. Ils constituent conjointement leurs identités de membres exceptionnellement intelligents (et légitimes) d’une élite intellectuelle. Le rôle de Ramsay dans la famille comme érudit distrait et distant n’est pas uniquement le sien. Si sa famille refusait d’accepter cette identité pour lui, s’illes refusaient de jouer le jeu, il ne pourrait pas être mari et père et le professeur abstrait de philosophie. Il est possible d’être vraiment séparé, c’est-à-dire, séparé sans faux-semblant et dépendances cachées, bien que cela requiert beaucoup d’effort, mais il n’est pas possible d’être mari et père et d’être vraiment séparé. Les maris et pères peuvent seulement prétendre d’être séparés si le reste de la famille leur permet ce faux-semblant.
Il est donc vrai que les hommes hétérosexuels sont plus séparés que les femmes. Mais il est aussi vrai qu’une grande partie de cette séparativité est un faux-semblant. Les hommes, comme les femmes, construisent leurs identités conjointement avec d’autres personnes alors qu’ils prétendent que ces identités sont « tout à eux ». Cela impose des fardeaux complexes et onéreux pour les femmes. Elles ne peuvent choisir d’être séparées ou en relation concernant l’homme de leur vie. Elles doivent être disponibles pour être ouvertement en-relation quand cela est demandé. Par conséquent il n’existe pour elles aucun choix d’autonomie tel que les hommes le définissent. De plus, elles doivent prétendre que l’homme est autonome quand elles sont plus avisées que cela et qu’il devrait l’être aussi. Au préjudice d’être incapable de choisir d’être en-relation ou séparé se rajoute le préjudice de jouer une mascarade continue. Le faux-semblant de la séparativité masculine est oppressive envers les femmes.
L’amitié des hommes — Un refuge ?
Dans nos relations aux femmes, nous, les hommes proféministes, hétérosexuels, ne sommes pas exploiteurs en prétendant être des hommes séparés à la manière des M. Ramsay de ce monde. Nous savons que notre identité est, en partie, construite dans cette relation et nous savons que notre partenaire construit la sienne, en partie, en-relation avec nous. Ainsi, nous n’exigeons pas de faux-semblant élaborés pour sauver nos revendications fallacieuses à l’autonomie, nous n’exigeons pas que nos besoins soient remplis sans rien demander, nous ne nous attendons pas non plus à recevoir du soutien et du soin alors quand nous en donnons peu. Mais en relation aux autres hommes, peu a changé. Les hommes hétérosexuels proféministes ont soit peu de relations aux hommes parce qu’ils n’aiment vraiment pas les hommes, soit leurs amitiés envers des hommes ne sont peut-être plus ouvertement misogynes, mais elles restent distantes, impersonnelles, modérées et sans importance.
Il est évident que nous, les hommes proféministes, sommes perdants à cause de notre capacité limitée à ce niveau. Mais, puisque nous faisons de notre mieux dans nos relations aux femmes, amies et amoureuses, et que nous n’essayons pas de dominer en contrôlant la conversation ou le niveau d’émotion dans les relations, puisque nous nous efforçons d’être sensibles et ouverts à nos amies et partenaires femmes, puisqu’on ne les ridiculise pas parce qu’elles sont « émotionnelles » ou veulent parler tout le temps, n’avons-nous pas gagné le droit de préserver l’oasis de neutralité émotionnelle que nos amitiés masculines représentent ? S’écarter des stéréotypes masculins traditionnels est un effort, et de temps en temps on a besoin de repos pour simplement parler sans « communiquer » quoi que ce soit de plus lourd que des faits, ou une bonne histoire. Pourquoi donc ne pouvons-nous pas nous reposer occasionnellement en jouant au ballon avec nos amis hommes ou parler « du travail, de la voiture, de la famille » aussi impersonnellement que nous sommes habitués à le faire. Les hommes et les femmes sont différent.e.s à ce niveau. Pourquoi ne pouvons-nous pas en rester là ?
Mais si le compte-rendu précédent des différences entre les relations entre hommes hétérosexuels typiques et les relations entre femmes typiques est un tant soit peu correct, nos amitiés masculines, avec leur manque d’émotivité, ne sont pas aussi innocentes que je les ai décrites dans le paragraphe précédent. Dans les pages précédentes j’ai expliqué comment une forme de l’oppression des femmes est liée à la duplicité des hommes qui prétendent être forts et indépendants et exigent des femmes qu’elles maintiennent cette fiction dans le but de les maintenir dans leur dépendance secrète. Tant que nous, hommes proféministes, maintenons des relations à d’autres hommes dans lesquelles le faux-semblant de la séparativité est maintenu, nous ne nous battons pas activement contre un aspect important de la masculinité typique — le faux-semblant de la séparativité. À la place, nous maintenons comme légitimes les images et pratiques de l’autonomie des hommes. C’est comme si nous disions : il est bon pour les femmes d’être en-relation et quand tu es avec elles tu dois essayer d’être comme elles. Mais les hommes sont différents. Ils sont autonomes, auto-suffisants. Nous répétons l’ancienne mythologie selon laquelle les hommes et les femmes sont différent.e.s. Nous rejouons encore cette mythologie en ayant des relations importantes seulement avec des femmes, en étant ouvertement en-relation seulement à elles. Ainsi, les femmes de nos vies continuent de porter le fardeau de notre bien-être, construisant et validant notre identité. À ce moment seulement elle reçoit quelque chose en retour. Cela a certainement de la valeur, mais tant que nous avons des types de relations très différents avec les hommes, nous maintenons l’idéologie en vigueur selon laquelle les hommes et les femmes sont différent.e.s — une idéologie oppressive envers les femmes.
Nous ne pouvons être des hommes proféministes et maintenir la vieille idéologie misogyne [11]. Nous sommes confrontés à un choix. Nous pouvons abandonner toute forme d’être en-relation et maintenir ainsi la séparativité avec les hommes et avec les femmes. Mais c’est un projet ardu. Si nous ne voulons pas nous isoler de cette manière, si nous voulons construire et valider notre identité en-relation aux autres, alors ces autres ne peuvent être seulement des femmes. Nous devons nous efforcer d’être en-relation avec tou.te.s nos ami.e.s.
Comment pouvons-nous changer ?
Il est facile de confondre un vœu pieux et la mise en place dramatique de nos rêves avec le changement réel pour bouger dans la direction de notre idéal. Il est facile de passer un weekend avec d’autres hommes hétérosexuels et de faire beaucoup de câlins, des larmes et quelques baisers prudents. Il est probablement très drôle de jouer avec un groupe d’hommes et de battre des tambours, ou de démolir des voitures à la masse. Mais cela ne change rien. Les hommes n’ont pas appris à être ouvertement en-relation. Nous n’avons pas appris que c’est ce que nous devons faire, et comment le faire. Nous n’avons pas encore appris qu’être séparé dans nos relations aux autres hommes est humainement inacceptable.
Quand j’étais petit garçon et que j’habitais en pensionnat, je remarquais et étais surpris par les amitiés changeantes et les inimitiés chez les filles de mon groupe d’âge. Leur vie émotionnelle était turbulente et active. Mes amis et moi-même étions occupés à construire des forts, faire du sport, et à tourmenter les nouveaux garçons de notre chambre. Les relations n’étaient pas un problème. Il ne nous est jamais apparu que nous avions des relations. À ce moment nous apprenions à être des hommes alors que les filles se préparaient à être des femmes. Maintenant, presque soixante ans plus tard, il ne sera pas facile de compenser ces longues années pendant lesquelles mes relations aux autres, spécialement les hommes, étaient bien séparées. Je manque de pratique dans les amitiés qui sont en-relation. Je dois parfaire le bel art de la conversation que beaucoup de femmes ont pratiqué dès le début de leur vie [12]. Mais c’est ce que nous devons apprendre.
Il n’est pas difficile de voir comment nous devons faire cela. Nous avons commencé à être en relation dans la mesure où nous avons des relations étroites aux femmes qui l’exigent de nous. Mais la plupart d’entre nous ne l’avons pas exigé les uns des autres [13]. Après tout, même en relation aux femmes, nous avons surtout fait ce qui était nécessaire pour « rester hors de danger ». Mais nous prenons rarement l’initiative de plus de prise en charge du travail émotionnel dans la famille, de nous rappeler des anniversaires et les organiser, de maintenir les réseaux d’ami.e.s et de famille en écrivant et passant des coups de téléphone. Nous nous tournons encore moins vers nos amis hommes, plutôt que vers les femmes, quand nous ressentons le besoin de parler à quelqu’un.e. Nous défions rarement, sinon jamais, notre propre évitement des relations ouvertes aux hommes. Mais nos convictions proféministes exigent un effort plus actif pour apprendre à être de manière complexe et riche en-relation même quand personne ne nous le demande. Nous savons que c’est difficile, mais nous devons le faire.
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A genoux : connaissance charnelle, dissolution masculine, faire du féminisme
(par Brian Pronger)
Brian Pronger
Lorsque la question de savoir si les hommes peuvent faire du féminisme ou peuvent même en fait être féministes se pose, la réponse est souvent construite comme s’il s’agissait de décider ce qu’il faut, personnellement, politiquement, philosophiquement ou biologiquement, pour rentrer dans la catégorie « féministe ». J’aimerais m’abstenir de décider qui peut être quoi et parler à la place d’états de désir qui empêchent les hommes d’incarner la clairvoyance féministe, et de manière alternative, je veux explorer des formes de désir qui pourraient aider les hommes à devenir féministes. Quelle sorte de désir rendrait plus facile aux hommes l’appréciation de la clairvoyance féministe ? Je ne parle pas ici d’un accomplissement qui, une fois reconnu par les autorités, pourrait qualifier l’un à être féministe, comme le passage d’une série d’examens qui qualifierait l’un à être docteur, prêtre, psychothérapeute, comptable ou entraîneur de hockey professionnel. Je pense plutôt à des pratiques réflexives qui pourraient aider les hommes à ressentir le désir féministe.
Je me concentre sur le désir parce qu’il me semble que l’énergie du désir est implicite à la question des hommes faisant du féminisme : les hommes ne désirant pas seulement le statut de « féministe » mais, davantage, le désir d’actualiser [14] la vie dans des formes plus féministes que masculinistes. Cet article, par conséquent, sera à propos de la nature de la masculinité, un discours socio-culturel qui est (re)produit dans les corps, actualisé par le désir. Je commencerai en décrivant ce que j’entends par le corps et le désir, en esquissant une théorie de la relation entre désir et discours et en spécifiant ce que j’entends par le discours de la masculinité. Je décrirai ensuite la tension entre les formes masculines et féministes de désir, et conclurai en suggérant des mouvements corporels pratiques que les hommes qui ressentent le désir masculin peuvent faire pour ouvrir leurs corps aux possibilités du féminisme.
Ce court essai n’est certainement pas destiné à être un compte-rendu exhaustif du corps, du désir et du genre, mais il est guidé par le but bien plus modeste de suggérer des stratégies pratiques pour les hommes qui désirent des modes de vie féministes. Pour explorer ces possibilités j’emprunterai, abondamment mais sélectivement, au travail collaboratif de Gilles Deleuze et Félix Guattari (Deleuze and Guattari 1983 ; Deleuze and Guattari 1987), qui analyse les intersections du désir et du discours comme cruciales à l’organisation de la vie (post)moderne et qui suggère des stratégies émancipatrices pour traiter avec cette organisation. Brian Massumi, dans son User’s guide to capitalism and schizophrenia : deviations from Deleuze and Guattari, fait remarquer que Deleuze imagine les concepts philosophiques non en tant que composants de grands édifices philosophiques, mais comme offrant des outils qui aident à démanteler les divers édifices oppressifs [comme le genre]. Deleuze « appelle son type de philosophie « pragmatique » ; parce que son but est l’invention de concepts qui ne s’ajoutent pas à un système de croyances ou une architecture de propositions dans laquelle soit vous entrez soit vous n’entrez pas, mais plutôt qui emballe un potentiel de la même manière qu’un pied de biche dans une main disposée évoque une énergie de levier » (1992, 8). De même, je propose des outils qui pourraient créer l’énergie pour décortiquer le désir masculin.
Pour Deleuze et Guattari, le corps n’est pas fondamentalement un organisme biologique, une forme d’existence physiologique qui est d’une certaine façon sujette aux discours socio-culturels. Le corps est une forme d’énergie qui est produite par les discours historiques ; le comprendre comme un organisme biologique est une manière particulièrement moderne d’organiser ses énergies, de définir l’orientation du désir. Le corps n’est pas un objet qui expérimente le désir ; c’est le pouvoir du désir, que Deleuze et Guattari comprennent non pas comme manque (le désir de ce que l’on n’a pas), mais comme la circulation libre d’énergie productive, le pouvoir de l’être/du devenant/de l’actualité humain-e. Le désir, disent-ils, est « un processus de production sans référence à une quelconque agentivité extérieure » (Deleuze and Guattari 1987, 154). Le désir est un pouvoir en soi, précédant ontologiquement la fonction physiologique, la moralité, ou tout autre référence culturelle, bien que le désir soit une ressource pour n’importe laquelle de ces constructions. Tout comme l’eau coulant d’une rivière précède ontologiquement le développement hydro-électrique et le tourisme, le désir peut être déterminé par les impératifs culturels. Alors que le désir est opératoire dans la reproduction sexuelle, il n’est confiné ni à la reproduction ni à la sexualité génitale. Pour Deleuze et Guattari, le désir s’étend bien au delà de ce qui est génériquement connu comme sexe (faire l’amour, les rencontres génitales occasionnelles, les scènes sado-masochistes, et autres). Le désir est la force vitale par laquelle nous bougeons, par laquelle nous sommes engagé.e.s à être ou devenir.
Le désir (le corps) est produit historiquement dans la tension entre deux formes de pouvoir [15] : la puissance et le pouvoir. Massumi les définit succinctement comme suit :
La puissance se réfère à une gamme de potentiel. Elle a été définie par Deleuze comme une « capacité d’existence », « une capacité d’affecter ou être affecté » [qui ne se réfère pas à l’émotion, mais à l’augmentation ou la diminution de la capacité du corps à agir], une capacité à multiplier les connexions qui peuvent être réalisées par un « corps » donné à divers degrés dans différentes situations. … Elle est utilisée dans la traduction française de la « volonté de puissance » de Nietzsche. … Les auteurs utilisent le pouvoir dans un sens très proche de celui de Foucault, comme une relation de force instituée et reproductible, une concrétisation sélective de potentiel. (Massumi 1992, XVII)
La puissance du corps est son pouvoir à connecter, à être connecté, à faire des connexions. Le pouvoir est une forme de pouvoir qui « territorialise » la puissance, notre capacité à faire des connexions, gouvernant ainsi le potentiel connectif de l’existence humaine. Par exemple, Deleuze et Guattari parlent du désir oedipialisé comme d’une gouvernance particulière du corps qui canalise le flux du désir dans la structure basique de ce qu’ils appellent la « sainte famille » : Maman, Papa, et Moi. Territorialisé par cette structure sociale, le désir reproduit le pouvoir du complexe oedipien dans un éventail de relations humaines. Il y a beaucoup d’autres formes de pouvoir. Foucault en a exploré certaines d’entre elles en tant que « biopouvoir », la production active de la vie à travers le discours : (i) le discours du corps comme machine, c’est-à-dire, « l’anatomo-politique du corps humain », et (ii) le discours qui fait de la population un ensemble de processus biologiques contrôlables, c’est-à-dire, « la bio-politique de la population » (Foucault 1980, 140). De manière similaire, je pense, le désir est produit dans le discours du genre. Notre libre capacité à exister, à connecter, à affecter et être affecté, c’est-à-dire notre puissance est canalisée par le pouvoir de la gouvernance genrée de la vie. Le désir est façonné par le discours du genre. Le corps est territorialisé par le genre.
Les discours du genre sont actualisés dans les corps des hommes et des femmes, bien que ce soit ces derniers qui aient reçu plus d’attention dans la théorie féministe. Un certain nombre d’auteures féministes ont décrit les moyens par lesquels les processus socio-culturels patriarcaux ont formé les corps des femmes (Bordo 1993 ; Cole 1993 ; Cole et Hribar 1995 ; MacNeill 1994 ; Markula 1995 ; Wolf 1990). Susan Bordo (1993), particulièrement, a montré le moyen par lequel beaucoup de femmes, sujettes au discours misogyne, incarnent le désir culturellement fondé de la disparition des femmes — c’est le culte de la minceur qui trouve son expression ultime dans la mort par anorexie mentale. Le désir des femmes est territorialisé par le discours misogyne, repensé comme le désir de prendre le moins de place possible. Lorsque les individus et les collectifs performent le genre (Butler 1990), la puissance de l’existence est donnée au pouvoir de cette gouvernance. Dans une ironie décidément sombre, on peut dire que les femmes anorexiques performent l’acte de disparition de la féminité, donnant ainsi au pouvoir de la misogynie la puissance de diminuer l’existence dans le corps des femmes.
Le genre, évidemment, est un discours immensément riche. Je ne vais examiner qu’un seul de ses flux, qui, je crois, rend impossible pour les hommes qui rencontrent ce pouvoir particulier de désir de jouir de l’émancipation du désir féministe. C’est le désir particulièrement masculin pour la territorialisation de l’espace : c’est le désir de conquérir et de clôturer l’espace de manière protectrice, le désir d’établir des connexions selon les lois de la domination spatiale. Ici la capacité d’exister est circonscrite par la volonté de contrôler l’espace et par la peur de la violabilité du même espace. C’est une forme névrotique et fétichisée de désir qui ne valorise sa propre existence que tant qu’il en contrôle l’espace. La perte du contrôle de l’espace est la mort de la masculinité.
Pour l’intérêt de cet argument, je définirai les hommes comme des paquets-de-désir-avec-pénis. Mon argument n’est pas que la masculinité est confinée aux hommes, ou leur est en quelque sorte essentiellement reliée. Dans les cultures dominantes nord-américaines, toutefois, la masculinité est très encouragée pour les paquets-de-désir-avec-pénis et découragée pour les paquets-de-désir-avec-clitoris. Je parle de discours de désir, de territorialisations du corps, qui circulent de manière inégale et discontinue à travers ces cultures. Parfois ces discours sont incarnés par les hommes, parfois par les femmes, parfois par les personnes noires, parfois par les personnes blanches, riches, pauvres, et ainsi de suite. Je ne parle pas d’identités individuelles fixées, mais d’une organisation de l’énergie du désir humain qui est plus ou moins opérante à divers moments, à des intensités diverses, dans diverses vies. Puisque cette anthologie est à propos des hommes faisant du féminisme, je ne considère pas les implications de mon analyse pour les femmes qui s’actualisent par le désir masculin — bien que cela serait certainement très intéressant à faire à un autre moment.
La masculinité commence avec le fait plutôt mineur qu’il y a des paquets-de-désir-avec-pénis, et ensuite produit et canalise ces désirs en fonction d’impératifs spatiaux de territorialisation. La masculinité engorge les petits pénis avec le pouvoir conquérant du phallus. C’est le but de la masculinité : s’agrandir, prendre plus d’espace, et en laisser moins. Il est l’opposé du désir anorexique féminin. La transformation du pénis mou en phallus grand, dur, est l’épanouissement du désir masculin. Le phallus en expansion est protégé par l’autre côté de ce désir : l’anus fermé. Tout comme le phallus réalise sa masculinité en prenant de la place, l’anus serré protège l’espace masculin en repoussant l’invasion. Le désir masculin protège sa propre production phallique en fermant les orifices, à la fois l’anus et la bouche, à l’expansion phallique des autres. Rendu impénétrable, le corps masculin se différencie, se produit comme distinct et non connecté. Il est conquérant et inviolable. Le désir masculin est exprimé à la fois métaphoriquement et littéralement dans la volonté de pouvoir (puissance) du pouvoir du phallus en constante expansion et de l’anus en constante contraction. Le discours du genre territorialise les corps des hommes en construisant cette forme de désir, le canalisant et l’endiguant simultanément. Ce pouvoir territorialisant est actualisé, se voit donné de la puissance, là où les connexions humaines sont soit fabriquées soit niées à travers des expansions phalliques et des contractions anales métaphoriquement généralisées ou sexuellement spécifiques. Plus le désir est canalisé par le pouvoir de la production masculine d’espace plus il est masculin.
Alors que ce désir masculin n’est pas restreint aux hommes (paquets-de-désir-avec-pénis), il est attendu d’eux, et les femmes sont largement découragées à produire leurs désirs de manière si affirmée et protectrice. Le pouvoir est toujours une création historique — il n’y existe aucune essence historiquement transcendante propre aux paquets-de-désir-avec-pénis qui les rend masculins de la manière que je décris. Comme l’ont argumenté Robert Connel (1987) et d’autres, les masculinités sont produites par des processus de socialisation historique complexes. En effet, puisqu’aucun pénis ne pourrait être à la hauteur de l’espoir phallique de son maître et de la société patriarcale, une multitude de stratégies et pratiques sont promues pour encourager les hommes et les garçons à prendre et clôturer plus d’espace, à se différencier du tourbillon d’écoulement libre du désir. Tous les paquets-de-désir-avec-pénis ne sont également territoriaux, bien sûr. Par conséquent il existe de vastes systèmes d’endoctrinement au désir masculin et de nombreuses récompenses pour son succès. Un des terrains d’entraînement les plus influents pour la spatialisation masculine est le sport, au moins pour les hommes occidentaux de classes moyenne et supérieure ces 150 dernières années. Comme l’ont argumenté David Whiston (1990 ; 1994), Bruce Kidd (1987), Don Sabo (1995 ; 1980), Brian Messner (1992 ; 1994), moi-même (Pronger 1990), le sport est masculinisant ; ce qui explique pourquoi les femmes dans les sociétés patriarcales ont été la plupart du temps découragées à y participer. Les garçons élevés au sport apprennent à désirer et à faire des connexions en fonction de l’impératif de prendre de l’espace aux autres et de le garder jalousement pour eux-mêmes.
Le sport forme le désir de conquérir et de protéger l’espace. Les sports les plus masculins sont ceux qui sont les plus explicitement spatialement dominants : le football américain, le football, le hockey. Dans ces sports les joueurs envahissent l’espace des autres et se gardent vigoureusement que cela leur arrive. La seule forme honorable de désir dans ces sports est dominateur et protecteur ; c’est l’anathème de l’accueil d’autres hommes dans son espace. L’équipe dont le désir produit le phallus le plus invasif et l’anus le plus serré gagne la partie. Les garçons et les hommes gagnent plus que des compétences de jeux masculines phalliques et anales à travers leur entraînement athlétique. Ils apprennent aussi à bouger et maintenir leurs corps dans et hors du terrain de jeu. Ils apprennent les manières musculaires puissantes qui incarnent le désir masculin : l’occupation inflexible de l’espace qui communique le pouvoir latent à dominer. Le désir masculin de conquérir et de protéger est construit de manière similaire dans d’autres domaines. L’accumulation de capital et de propriété, par exemple, dépend d’un désir similaire d’acquisition et de rétention. Une grande partie du débat académique est certainement phalliquement agressif et analement fermé. Et toute personne qui a eu affaire à des paquets-de-désir-avec-pénis masculins dans des affaires personnelles au jour le jour a ressenti la force de la dominance phallique et de l’invulnérabilité anale qui rend ces hommes difficiles à gérer.
Le problème, évidemment, avec le désir masculin, est qu’il est essentiellement dominateur, cherchant à dominer les autres dans des espaces phalliques en constante expansion, et le soi en serrant les trous qui pourraient être la ruine des espaces égoïstes. Tourné vers l’extérieur en proéminence phallique, le désir masculin domine l’espace environnant en se l’appropriant comme le sien. Tourné vers l’intérieur comme clôture anale, il reste imperméable aux influences externes explorantes, dominant ainsi l’espace interne avec l’insistance de l’« intégrité » phallique auto-centrée. Les orifices clos du désir masculin territorialisent la liberté du désir en clôturant l’individu différencié masculin. C’est le désir dirigé par les impératifs de dominance et de contrôle. Plus le désir est masculin, plus la puissance de la connexion humaine est rigoureusement canalisée comme pouvoir. Le désir, territorialisé par la spatialisation masculine, atteint le pouvoir de l’existence (puissance) par cet impératif territorial.
Le désir masculin est un obstacle au désir féministe. Au minimum, le désir féministe est opposé à la domination, au projet territorial qui cherche à gouverner le désir selon des lignes phallogocentriques [16]. Je pense qu’il est sûr de dire que tous les féminismes sont alimentés par l’énergie de produire des modes de désir émancipateurs. Et bien sûr, comme les arguments à propos de la prostitution, de la pornographie, Madonna, et d’autres questions l’attestent, il y a beaucoup de visions de ce à quoi pourrait ressembler un tel désir émancipé. Dans cet article je ne vais suggérer aucune vision particulière du désir féministe. Ce que je veux suggérer est que les paquets-de-désir-avec-pénis qui manifestent le désir dans la forme masculine que j’ai décrite sont mal disposés à éprouver ou promulguer le moindre potentiel émancipateur des visions féministes. Tant que le désir est produit dans la logique de la domination territoriale et de la protection, il est antiféministe.
Comme le montrent clairement d’autres articles de ce volume, de nombreuses questions se posent quant aux hommes devenant féministes. L’argument que je m’apprête à donner ne prétend pas couvrir tout ce qui doit être fait pour que les homme soient féministes. Ce que je vais suggérer ici est une condition nécessaire, mais pas suffisante, pour que les hommes deviennent féministes, pour que les hommes apprécient les bénéfices du désir féministe. Je ferai valoir que pour que les hommes se lancent dans un parcours féministe, ils doivent dissoudre leur désir masculin, en surmontant leur homophobie. Le désir masculin est essentiellement homophobe et je montrerai que l’homophobie est un obstacle à l’incarnation du féminisme.
Selon une définition commune de l’homophobie, c’est une peur ignorante et irrationnelle de l’homosexualité. L’idée est qu’une connaissance « plus exacte » de l’homosexualité rend diffuse cette peur irrationnelle : l’homosexualité n’est pas contagieuse ; on peut être en présence d’homosexuel.le.s et maintenir sa propre identité sexuelle. Et une appréciation pleinement informée de l’homosexualité montre qu’elle n’est pas si différente de l’hétérosexualité ; elle est simplement, et de manière non-problématique, une préférence pour les rencontres intimes avec des membres du même sexe. Ce qui est souligné ici est un respect libéral pour l’humanité des personnes homosexuelles ainsi qu’une tolérance et acceptation de différents modes de vie. Parce que le libéralisme est une force puissante dans les cultures occidentales aujourd’hui, cette vision acceptante et tolérante est devenue assez influente. Ce n’est pas du tout rare pour des personnes libérales et instruites d’apprécier les hommes homosexuels, d’être ami avec eux, d’aller dans des clubs où les homosexuels boivent et dansent, d’assurer leur représentation dans les comités, d’argumenter pour leurs droits, et ainsi de suite. En grande partie, cependant, cette acceptation libérale s’arrête net pour ce qui est d’avoir des relations sexuelles homosexuelles. Ce manque d’engagement homosexuel est souvent expliqué dans le langage poli et consommateur de la « préférence » ; ces hommes ne sont pas « irrationnellement craintifs » des hommes homosexuels, Ils « préfèrent » simplement les relations sexuelles avec des femmes et ne « préfèreraient » pas les avoir avec des hommes : « il faut de tout pour faire un monde. » « Le monde est un marché ouvert. »
Je suggère que le manque d’intérêt que certains hommes, probablement la majorité d’entre eux, ont par rapport aux relations sexuelles explicites avec les hommes reste une peur de l’homosexualité, mais pas une peur irrationnelle. C’est une peur fondée sur l’appréciation parfaitement rationnelle des dommages que les relations sexuelles homosexuelles peuvent infliger à la construction territorialisante du désir masculin. Pour les hommes libéraux, l’homosexualité est acceptable tant qu’elle ne pénètre pas leur propre désir. Leo Bersani soutient, de manière très éloquente, dans son livre Homos (1995) que ce qui est laissé de côté dans cette acceptation libérale de l’homosexualité est la portée tout à fait problématique de l’homosexualité. Cette portée réside dans le dommage que le sexe homosexuel, spécifiquement, le désir d’être un « bottom » [17] (d’être du côté de la réception) fait à la masculinité. Bersani, dans un précédent article bien connu (1987), répondait à la question « le rectum est-il une tombe ? » en disant : oui, c’est la tombe du pouvoir masculin. Quand le rectum reçoit les poussées d’un autre homme, un coup mortel est pour ainsi dire porté à la masculinité.
J’ai affirmé que le désir masculin est le désir de conquérir et protéger l’espace ; c’est un désir façonné dans le pouvoir du phallus en expansion et de l’anus fermé. Etre un homosexuel passif inverse ce désir. L’espace est cédé. Un passif enthousiaste ouvre son anus, accueille d’autres forces, déterritorialisant la revendication selon laquelle la masculinité repose à la fois sur cet orifice et sur son pénis. Faire une fellation fonctionne de façon similaire, peut être même plus efficacement. Pénétré analement, un homme peut maintenir au moins un semblant de désir masculin dans la croyance qu’il est en train d’être violé, que son espace est en train d’être ouvert contre son gré, que s’il avait eu la possibilité, ce serait sa force masculine qui ferait le pénétrant. Dans le sport, c’est l’honneur qui demeure dans la défaite : le perdant a au moins essayé de préserver son espace. Dans la fellation il ne peut y avoir telle excuse ; une bouche, après tout, a des dents qui peuvent faire des dommages considérables à un « envahisseur » phallique. Mais avec la fellation on caresse la présence insinuante d’un autre homme, l’accueillant voluptueusement dans son espace, en protégeant ses dents avec ses lèvres. Plutôt que de repousser l’entrée d’un autre homme, on fait tout ce qu’on peut pour qu’il se sente bienvenu. Céder de l’espace à un autre homme, particulièrement les espaces les plus intimes de l’anus et de la bouche, est l’opposé du désir masculin. Quand les hommes érotisent l’entrée d’autres hommes dans leur espace, analement ou oralement, ils donnent de la puissance à la déterritorialisation de leur désir masculin. L’évènement érotique d’être volontairement, effectivement joyeusement, pénétré oralement ou analement, déterritorialise les corps des paquets-de-désir-avec-pénis et ouvre littéralement les portes de la liberté du désir démasculinisé.
L’homophobie est la réticence à céder de l’espace masculin ; c’est la peur qu’ont les hommes de l’inversion du phallus en expansion et de l’anus fermé en un phallus respectueux et un anus ouvert. La peur est évidente, au delà de l’espace physique du corps, dans la réticence qu’ont certains hommes à céder dans le sport, le commerce, le débat académique, ou les relations interpersonnelles. Physiquement, ou plus précisément, érotiquement, l’homophobie trouve son expression la plus profonde et peut être la plus intraitable dans la réticence de nombreux hommes à ouvrir leur bouche et anus à d’autres hommes. C’est, évidemment, une réticence érotique profonde à céder leur propre volonté à la domination masculine sur leur propre corps. L’homophobie est la peur de céder le contrôle, la peur de devenir un récipient ouvert qui peut être rempli librement par le désir des autres, spécialement des autres hommes. La réticence à céder un tel contrôle masculin est un obstacle à l’expérience du désir féministe, qui est au minimum le désir de libérer l’être humain du joug du désir masculin, de la masculinisation de l’espace.
Les hommes qui désirent des modes de vie féministes pourraient bénéficier d’une réflexion sur la nature de leur désir, d’une considération de la question de leur homophobie, du degré auquel ils sont prêts ou réticents à inverser leur masculinité. Certainement, beaucoup d’hommes qui désirent le féminisme ont travaillé très dur à examiner la manière selon laquelle leur désir masculin les a façonnés sur un mode anti-féministe et ont ainsi travaillé très dur à refaçonner leurs méthodes de traiter avec les gens et les situations de manière moins dominatrice, plus douce. Et manifestement, une des méthodes les plus importante pour cela est de reconstruire les relations patriarcales traditionnelles avec les femmes selon des lignes plus féministes. Sans aucun doute, les hommes qui ont ainsi reconfiguré leur désir pour les femmes ont pris des mesures importantes vers la transformation des relations genrées. La majorité de la reconfiguration de ce désir masculin a été préoccupé par la diminution des tendances agressives et dominatrices du phallus en expansion. Cette reconfiguration rend clairement la masculinité moins violente. Et aucun homme, quoi qu’il fasse avec ses orifices, ne peut éprouver le désir féministe à moins qu’il soit capable et très disposé à entrer dans des relations dé-phallusisées avec les femmes [18]. Mais aussi longtemps que leurs orifices resteront fermés, les hommes perpétueront la territorialisation masculine de l’espace.
Je ne suis pas en train de dire que les hommes doivent prendre des identités homosexuelles pour être féministes. En effet, l’identité homosexuelle n’est pas garante d’une perspicacité féministe. En fait j’argumenterai qu’une vie de relations exclusivement homosexuelles, parce qu’elle exclut les femmes de contacts intimes, est une vie profondément sexiste, et donc antiféministe—c’est encore une autre forme de fermeture anale qui canalise le désir, assez grossièrement, selon les rubriques de la différence de genre. Ce que je suggère est que les hommes doivent être libres d’éprouver l’intensité érotique de la déterritorialisation de leur espace masculin. Ceux qui sont les plus réticents à ouvrir leurs bouches et anus à d’autres hommes sont ceux qui ont le plus besoin de le faire.
Une condition importante doit être rattachée à ma proposition que les hommes déterritorialisent leur désir masculin en s’engageant dans des actes érotiques ouvrants. Peu, sinon rien, ne sera acquis dans le projet d’ouverture des hommes aux possibilités du désir féministe si cette déterritorialisation ne s’étend pas au delà des intimités de parties du corps particulières. Il est crucial que ces pragmatismes érotiques soient des moments de réflexion qui aident à l’inversion du désir masculin dans d’autres sphères aussi. Deleuze et Guattari ont des conseils utiles à ce propos. La déterritorialisation, selon eux, se produit quand le désir n’est pas limité par des forces extérieures. Ils suggèrent que cela peut arriver dans l’expérience de plateaux d’intensité puissants qui brisent le pouvoir organisationnel du pouvoir et laissent une image rémanente de leur dynamisme (Massumi 1992, 7) qui peut être réactivée dans d’autres activités. Cela implique que les hommes développent des intensités érotiques dans l’ouverture de leurs bouches et anus qui leur donnent le pouvoir de voir et de réfléchir sur les dynamiques de puissance (le pouvoir de l’existence) et pouvoir (le pouvoir de la masculinité) dans leurs propres vies, et d’ensuite faire quelque chose à propos de leur construction future. Ce serait bien sûr une question d’hommes reconfigurant leurs productions de désir de façons inspirées par la liberté de la puissance, plutôt que contrôlées par le gouvernement du pouvoir masculin. Nous devons étendre la joie de l’érotisation des espaces s’ouvrant et du désir masculin déterritorialisant dans l’anus et la bouche, à la joie d’ouvrir érotiquement de tels espaces dans la conversation, les relations interpersonnelles, les jeux, le discours académique, l’économie, etc.
Il n’est pas nécessaire dans tous les cas pour les hommes de trouver d’autres paquets-de-désir-avec-pénis pour les aider dans leur déterritorialisation. Evidemment, les femmes peuvent aussi ouvrir de tels trous bloqués. Je dirais, néanmoins, que les hommes qui sont prêts à laisser les femmes dans ces espaces mais maintiennent une réticence inhospitalière effectivement masculine à admettre d’autres hommes, auront probablement besoin de demander à d’autres hommes de les aider à forcer l’ouverture des territoires homophobes de leur désir. Idéalement, puisque le genre est une forme de pouvoir, une territorialisation du corps, le genre d’un.e assistant.e ne devrait pas importer. Mais tant que le genre importe dans la forme d’une préférence à ouvrir des trous avec les femmes et une réticence à faire de même avec d’autres hommes, les hommes continuent à produire le pouvoir du genre dans la construction de leur désir. Dans ce cas, la transcendance puissante de la masculinité dépendra de l’éradication de la territorialisation homophobe des corps des hommes par l’embrassement de son opposé : l’amour homo-érotique. Avec suffisamment de pratique érotique attentionnée et ouverte, les restrictions du genre pourraient céder à la libre circulation du désir déterritorialisé, un avant-goût de la liberté du féminisme.
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,
[1] Selon Julia Serano, les personnes cissexuelles sont “les personnes qui ne sont pas transsexuelles et qui ont toujours seulement ressenti leurs sexes physique et subconscient comme étant alignés”. En ce qui me concerne, je ne me suis jamais senti être une femme piégée dans un corps d’homme.
[2] Les hommes dont je parle dans ce papier sont hétérosexuels. J’en sais peu sur les relations entre hommes homosexuels et il est fort probable que ce que j’ai à dire ne s’applique pas à eux.
[3] Il doit être clair tout au long du texte que nous ne parlons pas de tous les hommes ni de toutes les femmes, mais des différentes relations qui, à des degrés et fréquences différentes, sont éprouvées par ou observées chez les hommes, ou les femmes (Spelman 1991). De plus, les généralisations grossières à propos des hommes et des femmes dans ce papier ne présupposent ou n’impliquent pas l’existence d’essences masculine ou féminine. Les allégations d’essences masculine ou féminine sont des allégations selon lesquelles quiconque qui doit être considéré comme homme ou femme doit posséder les propriétés qui sont dites constituantes de leur essence. Je ne sais pas s’il existe une telle essence masculine ou féminine. Mais je sais que les différentes tendances à conduire ses relations humaines ne font pas partie d’une telle essence, même si elle s’avère exister.
[4] Il est important de se rappeler, cependant, que dans la plupart des situations, les hommes blancs ne se lient pas avec des hommes noirs contre des femmes, mais que plus souvent les hommes blancs se lient avec des femmes blanches contres des hommes noirs.
[5] Note de traduction : To the Lighthouse.
[6] Je ne sais pas à quel point les hommes proféministes restent dévoués au sport. La relation entre le proféminisme et le sport devra être étudiée ailleurs.
[7] Note de traduction : Le care désigne le centre d’une réflexion sur la place du souci pour autrui (sollicitude, soin, cœur, attentions, prévenance sont autant de termes rendant imparfaitement la polysémie du mot care) dans l’éthique.
[8] J’ai développé ces distinctions dans beaucoup plus de détails dans mon ouvrage Beyond Separateness : The Relational Nature of Human Beings—Their Autonomy, Knowledge, and Power (Boulder : Westview, 1995).
[9] Et cela, pour être honnête, les rend très reposantes et attrayantes.
[10] Les différences entre les amitiés des hommes et des femmes sont même plus complexes. Les hommes peuvent aussi être très démonstratifs et affectueux ; les femmes, en revanche, peuvent être très réservées quand il s’agit d’exprimer leurs sentiments. Mais les amitiés des femmes sont des projets conjoints et ainsi les amies doivent être harmonisées l’une à l’autre, ce que les hommes ne font pas, avec leurs entreprises séparées, côte à côte. J’ai développé certaines de ces complexités dans le chapitre « Love and Anger » de Beyond Separateness.
[11] Le cas est ici analogue à celui de la peur de l’impuissance masculine. De nombreux hommes ont profondément peur de l’impotence. Les sources de cette peur sont les croyances patriarcales à propos de la sexualité comme moyen de dominer les femmes. Même les hommes qui s’opposent au patriarcat soutiennent involontairement et de diverses manières cette forme d’oppression des femmes tant qu’ils pensent que le pénis fonctionnant dans la pénétration vaginale est un élément important de leur virilité. C’est un autre cas où les hommes proféministes se retrouvent à soutenir le patriarcat en maintenant certaines croyances et attitudes qui sont la précondition de certaines formes d’oppression des femmes, bien qu’en tant qu’hommes proféministes, ils n’exercent pas cette oppression (Candib & Schmitt 1996).
[12] « Les femmes parlent de presque tout…mais le quotidien est susceptible d’être assez ordinaire. C’est ce qui en fait un art. » (Gouldner and Strong 1987).
[13] Clairement, une raison de ne pas entreprendre cette tâche est la peur omniprésente de l’homosexualité. Mais c’est un sujet complexe et déroutant. La peur masculine de l’homosexualité est d’une ambivalence flagrante. Les relations masculines dans les institutions les plus masculinistes comme l’armée, le sport, ou les confréries sont souvent érotiquement liantes pour le bien de la domination des femmes. Tout ceci doit être discuté ailleurs.
[14] Note de traduction : l’actualisation est un concept particulier utilisé par Deleuze, synonyme pour lui de résolution et d’intégration, mais différent de réalisation, selon le dictionnaire philosophique de l’université de Stanford. J’avoue ne pas avoir pour l’instant cherché plus loin son sens spécifique.
[15] Note de traduction : l’auteur parle de deux formes de « power » et cite ensuite en français les concepts de puissance et pouvoir utilisés par Deleuze et Guattari. Ceux-ci sont en italique dans la traduction.
[16] Note du traducteur : voir Derrida.
[17] Note de traduction : d’être « passif ».
[18] Ce qui ne veut pas dire que les relations ne doivent jamais être phalliques — il y a des leçons et des plaisirs qui valent la peine dans l’utilisation considérée et consensuelle de la domination — mais le contexte des relations phalliques doit inclure le potentiel d’inversion, autrement c’est simplement la reproduction de relations de domination fixées et donc non émancipatrices.