Cette brochure rassemble des textes qui ont été écrits par trois personnes. Ces textes, sauf celui sur l’activisme, avaient été écrits individuellement et chacun a son histoire. En tout cas, à l’origine ce n’était pas prévu qu’ils soient diffusés ensemble dans un même projet.
Des lectures collectives, des discussions et des moments de vie passés ensemble nous ont pourtant fait apercevoir qu’il y avait un fil commun qui reliait ces textes, qu’ils allaient dans la même direction et surtout qu’ils exprimaient un même malaise dans notre vie… le malaise de se vivre en tant que trans, pédé ou femme dans un milieu squat-libertaire-activiste trop souvent « masculin » et hétéronormé.
Parce qu’il n’y a pas que l’Etat, le capitalisme et la police qui nous oppressent dans la vie de tous les jours… mais bien d’autres choses encore.
On a donc décidé de publier les textes dans une même brochure. Et aussi d’écrire un dernier texte (le seul collectif) sur l’activisme, afin d’élargir le champ de notre critique. Notre envie est donc d’apporter, à partir de notre vécu, une voix différente sur ce milieu par rapport à plusieurs domaines : le relationnel, l’activisme, le discours et la rhétorique politiques…
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Quelques mots pour présenter un peu cette brochure et son origine.
C’est un recueil de textes qui ont été écrits ces derniers mois par trois personnes. Ces textes, sauf celui sur l’activisme, avaient été écrits individuellement et chacun a son histoire. En tout cas, à l’origine ce n’était pas prévu qu’ils soient diffusés ensemble dans un même projet.
Des lectures collectives, des discussions et des moments de vie passés ensemble nous ont pourtant fait apercevoir qu’il y avait un fil commun qui reliait ces textes, qu’ils allaient dans la même direction et surtout qu’ils exprimaient un même malaise dans notre vie… le malaise de se vivre en tant que trans, pédé ou femme dans un milieu squat-libertaire-activiste trop souvent « masculin » et hétéronormé.
Parce qu’il n’y a pas que l’Etat, le capitalisme et la police qui nous oppressent dans la vie de tous les jours… mais bien d’autres choses encore.
On a donc décidé de publier les textes dans une même brochure. Et aussi d’écrire un dernier texte (le seul collectif) sur l’activisme, afin d’élargir le champ de notre critique. Notre envie est donc d’apporter, à partir de notre vécu, une voix différente sur ce milieu par rapport à plusieurs domaines : le relationnel, l’activisme, le discours et la rhétorique politiques…
Si vous avez des réactions ou des choses à nous dire, n’hésitez pas à nous écrire à tpgboulets (AT) boum (POINT) org.
Sommaire :
Pourquoi les pédés sont souvent des hommes ou De (mon) l’incapacité (difficulté) relationnelle (affective)
De l’irresponsabilité affective… à la prise en charge de l’affectif
À celles et ceux qui ne savent pas… suivi de À ceux qui n’ont rien compris…
Le malaise dans l’activisme
POURQUOI LES PEDES SONT SOUVENT DES HOMMES ou DE (MON) L’INCAPACITE (DIFFICULTE) RELATIONNELLE (AFFECTIVE)
Quand j’ai eu pour la première fois l’idée d’écrire ce texte, le titre, ou mieux, la première partie du titre actuel, m’est venue à la tête tout de suite. Plus qu’une allusion explicite au fameux texte de Monique Wittig « La pensée straight », qui se conclue avec la phrase « les lesbiennes ne sont pas des femmes », c’était une réaction à un autre texte, moins connu, qui est apparu sur Bang Bang n.8, un fanzine pédé-libertaire, qui essaie de traduire en langage pédé deux propos de Wittig ; ce qui donne : « les pédés ne sont pas des hommes » et « je n’ai pas de pénis ». Je trouvais pas trop satisfaisante pour moi l’utilisation qui était faite des termes liés au genre, comme « homme » ou « femme », mais surtout ça ne correspondait pas trop à la réalité que je voyais/vivais, où pleins de pédés/gays que je rencontrais avaient pour moi des comportements masculins, d’homme. Je me disais que pour moi le genre n’était pas ce dont ielles parlaient dans leurs textes, trop théoriques et donc, comme souvent, trop loin du vécu. Même si je comprenais, dans un certain sens, pourquoi ielles disaient ça, la valeur politique et symbolique, ça me dérangeait et remuait à cause du décalage avec ce que moi je ressentais tous les jours. Donc c’était moi qui avais raison ! Maintenant je me dis que les deux utilisations ne sont pas forcément contradictoires : une se réfère au genre en général dans la société, au système d’oppression hétéro-patriarcale et à comment les gentes se positionnent par rapport à ça. Moi j’ai envie plutôt de parler du genre à un niveau plus réduit, presque individuel, de comment il se manifeste dans les rapports interpersonnels, dans les relations/intéractions/échanges entre deux ou plusieurs personnes. C’est peut-être moins politique (quoi que…), mais ça correspond plus à comment moi je le vis au quotidien.
Ce texte s’adresse surtout aux garçons, hommes, tapettes, mecs, gays, pédés, folles, etc.., et il est écrit par une personne qui pendant les dernières années s’est définie comme pédé, mais qui maintenant a un peu du mal avec cette identité.
Je me considérais comme un garçon, en opposition à homme/mec, qui pour moi renvoyait à une dimension virile, mais me définir comme pédé était pour moi une façon d’affirmer politiquement mon identité sexuelle hors de la norme hétérosexuelle, mais aussi de me différencier de l’identité gay et donc me situer hors de la norme homosexuelle. Le Marais, quartier gay parisien, n’était pas mon monde : rempli de « monstres » de la société contemporaine, où il faut être beau, riche et musclé ou fashion pour pas en être exclu irrémédiablement… Ce qui en dit pas mal sur les rapports qui règnent entre les gentes. Donc c’est pas trop de ces personnes-là que je parlerai, vu que pour moi c’est comme si elles n’existaient pas, ou mieux, moi je n’existe pas pour elles.
Mes réflexions seront donc plutôt limitées aux milieux dans lesquels j’évolue en parallèle depuis trois ans (mais pas que…), c’est à dire le milieu transpédégouine parisien et le milieu squat libertaire (très hétéro).
Parler de genre signifie pour moi parler aussi d’une grande partie de mes difficultés relationnelles (comme quoi on a toujours un intérêt dans ce qu’on fait…). J’ai du mal à séparer les deux, même si elles ne correspondent pas exactement. C’est justement à partir de mon malaise, de ma difficulté à me sentir bien avec les gentes que j’ai commencé à me poser des questions sur moi, sur les autres, sur les relations.. et pour où j’en suis maintenant, pas mal de réponses me viennent justement de réflexions sur le genre. Mais c’est clair qu’il n’y a pas que ça. D’autres raisons sont liées à la famille dans laquelle j’ai grandi, et donc à des questions d’origine sociale. Mes parents sont toustes les deux d’origine paysanne et viennent de familles pauvres, et obligés de travailler dès petits, ielles n’ont pas eu le temps de cultiver des amitiés.. Si à ça on ajoute le catholicisme de ma mère et sa morale familialiste, on comprend bien comment ielles m’ont pas du tout appris à avoir des relations sociales, des amitiés. D’autant plus que eullex n’avaient pas d’amis, sauf quelques collègues de travail, mais qui n’avaient pas trop d’importance dans leurs vies. Mais c’était bien comme ça. L’important c’est la famille. Et rien d’autre.
Dans ma vie je ne me suis jamais senti trop à l’aise avec les garçons, mais je m’étais jamais posé trop de questions. Je me disais que c’était peut-être lié à mon homosexualité, qui m’avait mis dans une situation névrosée qui me faisait rechercher avec les garçons des histoires d’amour ou rien. J’étais hyperfrustré de ne pas trouver l’amour, mais pour le reste ça m’allait comme ça. Je me disais que c’était comme ça, et c’était pas grave. Ça me manquait pas des rapports d’amitié avec des garçons.
Les dernières années j’ai vécu dans une espèce de vie schizophrène, à cheval entre deux milieux. Aucun ne me satisfaisait entièrement ; dans le milieu transpédégouine je retrouvais des réflexions sur des questions de genre et sexualité qui m’intéressaient. Je connaissais surtout des pédés, donc des gentes avec un vécu en partie similaire au mien. Mais je n’aimais pas les modes de relation entre les gentes, que je trouvais superficiels, et où on donnait trop d’importance pour moi aux apparences et à un certain savoir-faire social. Vu que la branchitude et la mondanité ne sont pas trop pour moi non plus, et que je ne suis ni cool ni fort sympathique, aussi ce monde-là m’ignorait assez et m’était en grande partie exclu. Et le fait d’avoir un mode de vie assez différent de la majorité des gentes n’aidait sûrement pas. Depuis deux ans, en fait, je vis dans le merveilleux monde des squats. C’est un milieu qui me correspond plus au niveau politique général, au niveau des modes de vie, et où je me sens mieux au niveau relationnel. J’ai l’impression que les valeurs humaines sont différentes et qu’on fait un peu plus gaffe aux rapports de domination, aussi dans la sphère relationnelle. Des réflexions sur le pouvoir, sur la place qu’on prend dans les discussions, etc. Mais la réalité est parfois assez différente, et comme c’est un monde fortement hétéro et masculin, je ne peux pas ne pas ressentir un sentiment de solitude, parfois d’incompréhension et de décalage de vécus.
Dans ce contexte, la différenciation genrée de mes rapports interpersonnels est réapparue avec violence. Pour le dire d’une façon assez simpliste : avec plus ou moins toutes les filles avec qui j’habitais ou je partageais des bouts de ma vie j’arrivais à avoir des rapports assez forts, j’arrivais à parler de moi et de comment je me sentais ; avec plus ou moins tous les garçons les rapports étaient soit tendus et conflictuels, soit, au mieux, presque nuls, avec un vrai manque de communication et de partage. Cette asymétrie correspondait exactement à celle de pas mal de garçons, qui montrent leurs faiblesses et sensibilité uniquement avec des filles (souvent leur copine), et qui fait que dans cette société c’est souvent elles qui portent le poids relationnel de l’écoute des autres, du réconfort, du soutien psychologique. Je me suis donc pendant longtemps demandé si ma situation était vraiment la même que celle des autres garçons et je pense que j’ai plutôt envie de dire que non, vu que moi j’ai quelques, bien que rares, relations proches avec des garçons, même si c’est très souvent pas des hétéros.
A un moment dans ma vie, qui correspondait aussi à une période où je commençais à avoir plus de confiance en moi-même et en ce que je pensais, j’ai commencé a avoir les idées un peu plus claires sur le pourquoi de tout ça, sur quel type de relations je voulais, sur les mécanismes genrés dans mes relations.. mais surtout, grâce au féminisme, je voyais les chose d’une autre façon. Et j’ai commencé à politiser tout ça. Ce n’était pas normal de me faire tout le temps écraser, de ne pas être considéré comme un individu, de me faire imposer des modes de discussion et de relation. Et alors, depuis quelques mois, j’ai développé une espèce de haine contre les hommes et tout comportement masculin.
Dans ce texte j’ai envie de parler surtout de relations et de sexualité.
Normalement on parle de ça de façon assez vague. C’est difficile de mettre des mots dessus. Mais j’ai envie d’essayer, de faire un effort de clarification, avec le risque de tomber dans le banal et dans des généralisations. Je trouve ça assez compliqué parce que la construction de la masculinité est bien ancrée en profondeur et, quand elle n’est pas affichée clairement et mise en avant par des attitudes virilistes et machos, c’est souvent difficile de la reconnaître et de la décrire.. mais elle ressort dans les détails, dans les nuances, dans le fond, dans la façon de faire et pas forcement dans le faire… Ça peut être une façon de parler, de se mettre en avant, d’afficher des choses de nous, de se relationner aux gentes et aux monde, etc.
Des fois, il y a les apparences et les discours des gentes qui contribuent à compliquer et à embrouiller encore plus tout ça, comme la catégorie des garçons hétéros qui se déclarent déconstruits et pro-féministes et qui parfois pensent que ça suffit de faire la cuisine, la vaisselle et le ménage et de critiquer les machos pour ne plus être des hommes (oppresseurs).. si en plus ils mettent des robes ou des jupes pendant des soirées ou des évènements publics, c’est vraiment le top de la déconstruction… et peu importe qu’ils se réapproprient des outils de lutte pédé en les vidant de sens. Ou, dans le milieu pédé, certaines « folles », qu’on pourrait dire tellement féminines, mais qui ont souvent une façon de s’imposer dans l’espace public, de prendre plein de place, de parler de sexualité qui est tout à fait masculin. Ces deux exemples sont un peu caricaturaux, mais c’était juste pour montrer que les comportements et les attitudes masculines vont bien au-delà des apparences, du superficiel.
Dans les rapports interpersonnels, ce que je trouve caractéristique chez les garçons (surtout hétéros) c’est l’asymétrie relationnelle genrée dont j’ai parlée plus haut : le fait de se montrer différemment selon le genre de la personne avec qui on relationne. Moi je parlerai surtout des intéractions « garçon/garçon », parce que c’est mon expérience et ce que je connais mieux. Ce que je retrouve régulièrement avec des garçons (souvent hétéros), c’est qu’on cherche à m’imposer une certaine forme de relation dans laquelle il faut montrer une certaine assurance en soi, même si elle n’est pas réelle, il faut pas montrer ses faiblesses et fragilités, on parle pas de soi, de son intime/émotions/sentiments, de comment on se sent, mais on parle de choses pratiques, techniques, on raconte des anecdotes marrantes, ou des histoires pour montrer comment notre vie est intéressante, riche et pleine d’aventures, ou, selon les milieux, on parle de politique et on sort alors nos grandes théories sur comment le monde marche, qu’ est-ce qu‘il faut faire et comment, parce que c‘est clair, on est trop intelligents et on a tout compris. Bien sûr, tout contact physique, tendresse et démonstration affective sont interdites. Il faut être drôle et cool, avoir plein de choses à raconter (mais pas n‘importe lesquelles..), avoir un savoir faire social. Devant tout ça, tu peux faire deux choses : accepter les règles du jeux, en espérant en être à la hauteur, ou ne pas les accepter, avec le risque d’être exclu de la « maison des hommes » et de ne pas être considéré comme un individu. Moi, j’ai décidé que ces bases relationnelles ne m’allaient pas, et c’est pour ça que je n’ai presque pas de relations avec des garçons hétéros.
Le milieu pédé je le connais un peu moins en profondeur ; comme je l’ai déjà dit, l’espèce des pédés anarchistes étant une espèce vraiment rare, le fait d’avoir un mode de vie assez différent de la majorité des pédés fait que c’est un monde que maintenant je croise que de temps en temps, plus ou moins souvent, mais avec qui je ne partage pas le quotidien, ce qui rend la connaissance plus difficile. Pour y avoir traîné pas mal dans le passé, pour ce que je connais, je trouve que les choses marchent un peu différemment : moins de virilité, plus de contacts physiques, plus d’intime, d’autres sujets de discussion (le sexe ?), une couche de « féminité », des voix plus aigues. Mais d’autres codes et d’autres normes apparaissent : il faut être jeune et mignon et donner beaucoup d‘importance à comment on s‘habille et on se montre, parce que c’est à travers ça qu’on exprime soi-même, il faut être, là aussi, drôle, cool et avoir le savoir faire social, mais surtout il faut avoir une vie sexuelle riche et épanouissante, et bien sûr, il faut aussi que les autres le sachent.
Au final, je ne me reconnais dans aucun des deux systèmes de valorisation. Ils ont en commun l’absence de choses que moi je trouve vraiment importantes, dont j’ai besoin pour me sentir bien et à l’aise dans une relation, comme l’attention aux autres, le fait de savoir être à l’écoute et la prise en compte des difficultés relationnelles. Ce qui, pour moi, donne une dimension humaine aux relations.
Jusqu’ici j’ai parlé surtout de relations « amicales ». Maintenant je parlerai de relations affectives et de sexualité. Dans ce domaine mon expérience se limite presque qu’aux pédés. Vu que les histoires sans espoir ne m’amusent plus trop, j’ai plutôt tendance à renoncer à l’avance de tomber amoureux d’hétéros ou pseudo-bi. Ça me fait un peu peur de parler de tout ça. Ça touche vraiment à mon intime et je ne suis pas tellement habitué à en parler. Je pense que c’est pour ça que ça fait plusieurs jours que j’essaie d’écrire sur ça et à chaque fois je trouve d’autres choses à faire pour repousser : relire ce que j’ai déjà écrit, corriger, relire, faire un tour sur internet, ou je me dis que je suis trop fatigué pour arriver à me concentrer, etc.. J’avais comme l’impression d’avoir mis une couche de protection et que pour l’enlever il fallait que je sois vraiment déterminé et que je fasse des efforts. C’est aussi parce que la sexualité dans ma vie c’est assez compliqué, ou du moins je ne la vis pas avec légèreté.
Pendant longtemps, depuis que ma vie sexuelle a commencé, j’ai cherché désespérément du sexe, un peu avec n’importe qui. J’étais pas trop exigeant. Mais comme j’étais aussi hyper timide, ça n’arrivait pas souvent. Mais au moins, après des années de frustration pendant toute mon adolescence, j’arrivais finalement à concrétiser mes désirs sexuels. C’était souvent des histoires sans lendemain, sans sentiment ni rien. Ce qui était important c’était de baiser le plus possible et avec le plus de monde possible.. sans faire gaffe à personne. Autour de moi, ce que le milieu gay me réfléchissait/renvoyait, c’était ça. Mais moi, je ne le vivais pas très bien. Petit à petit je me suis aperçu que la sexualité que j’avais, elle n’était pas du tout satisfaisante pour moi. J’avais du mal avec la sexualité classique pédé. Je préférais les câlins à la baise, je trouvais les mouvements des hanches pas spontanés et ridicules, la centralité de la bite et de la génitalité me dérangeait, je jouissais trop vite… Cette pression à la performance m’était insupportable. Je trouvais que la sexualité pédé n’était pas très différente de celle masculine. La pénétration anale remplaçait la pénétration vaginale, il y avait plus de réciprocité, mais les valeurs sur lesquels elle était construite étaient les mêmes.
Pour mettre en discussion cette construction masculine de la sexualité, mais surtout pour ne pas vivre une sexualité qui ne me convient pas, depuis un moment j’ai besoin d’avoir confiance dans la personne avec qui je vis quelque chose de sexuel. Ou du moins les limites que je pose sont différentes selon le degré de confiance que j’ai dans l’autre.
Pour avoir confiance j’ai donc besoin de connaître un peu l’autre personne, et alors c’est clair que la dimension relationnelle prend toute une autre importance. Mais là aussi je me suis confronté à un autre pilon de la construction masculine. J’ai déjà parlé de l’incapacité à parler de soi, de ses émotions et sentiments où en tout cas du manque de volonté de prendre du temps pour ça, mais en plus des difficultés de communication, il y a l’incapacité à gérer les relations. Incapacité à dire qu’est-ce qu’on veut, qu’est-ce qu’on attend d’une relation, à être clairs sur tout ça, à faire gaffe à l’autre personne et à ce qu’elle ressent et vit, à créer les conditions pour la discussion.. Une espèce de responsabilité (comme certain-e-s l’ont appelée) pour essayer de se faire le moins de mal possible dans ce monde qui nous a construit-e-s pour qu’on donne beaucoup d’importance aux relations, et surtout aux relations affectives, mais qui nous a pas appris à bien les gérer, admettant que ce soit possible.
Et alors, je me demande : est-ce que les pédés ne sont vraiment pas des hommes ?
Les rares personnes que j’ai rencontrées qui s’échappent assez à tout ça c’est souvent des personnes hyper compliquées, dépressives et en crise et alors je me rends compte une fois de plus de la puissance du système hétéro-patriarcal, de comment il opprime et détruit les gentes… la rage et le désespoir montent…
Et j’ai juste envie que ça finisse.
p. – novembre 2007
DE L’IRRESPONSABILITÉ AFFECTIVE …
À LA PRISE EN CHARGE DE L’AFFECTIF
Depuis plus d’un an, je me dis qu’il faut que j’écrive un texte sur les notions de prise en charge du relationnel dans les espaces collectifs et dans les rapports affectifs, ainsi que sur la notion de “responsabilité” dans les relations amoureuses et/ou sexuelles. En réalité, je me dis ça à chaque fois qu’une des personnes avec qui j’ai des relations amoureuses et/ou sexuelles se montre irresponsable (c’est a dire régulièrement), ET VOYANT QUE mes amIs font comme si la prise en charge du relationnel ne les concernent pas.
Contexte :
« Dans les couples amoureux hétérosexuels s’expriment encore les identités genrées typées. Les femmes sont conçues et se conçoivent comme compétentes dans la sphère des émotions, des relations, de l’entraide et de la sollicitude, des qualités très utiles aux hommes pour qu’ils puissent se percevoir et être perçus comme « autonomes ». » NICOLE-CLAUDE MATHIEU
Je ne pense pas que l’ « irresponsabilité affective » soit que le monopole des hommes, mais je pense que cette notion d’ir-responsabilité est « genrée » : qu’elle se situe dans un rapport de pouvoir social, de domination où le mot homme peut être remplacé par dominant et le mot femme peut être remplacé par dominée. Être sensible aux émotions des autres, se préoccuper de l’état de la relation n’est en rien de « l’intuition féminine ». De même, la logique, la rationalité, la spontanéité et la prise de risque ne sont pas les traits naturels du « bon mâle ». Tout ceci se retrouvent dans chaque rapport hiérarchisé : patron-ne/employé-e, colonisateur-trice/ descendant-e de colonisé-e, valide/handi, jeune, vieux et vieilles/ adulte… Lorsqu’on est dans une position où l’on dépend du dominant-e et qu’on nous a appris à se percevoir ainsi, on a de bonnes raisons de faire attention à l’autre, de se soucier de comment il/elle vit la relation, et de réfléchir à l’état des relations pour que tout le monde se sentent bien.
Je suis blanche, jeune adulte et mère de personne, hétérosexuelle, de milieu intellectuel et valide. Voulant écrire à partir de mon vécu en tant que personne dominée, ce texte porte essentiellement sur les rapports de domination homme/femme.
Dés toute petite, mon rôle dans la famille était de comprendre/ d’analyser/ d’expliquer à tout le monde – plus particulièrement à mon père et à mon frère – ce qui n’allait pas dans leur vie relationnelle. J’ai donc appris très tôt, comme une bonne petite femme, à prendre en charge le relationnel et à me préoccuper de l’état physique et affectif des personnes qui m’entourent. J’ai appris à ce que les gestes, les mimiques, les demi-mots aient du sens pour moi et à modifier ma pensée et mes actes en fonction. Ainsi, j’ai appris à me définir en fonction des hommes et à chercher le sens de ma vie en m’adaptant aux désirs masculins. Le fait que j’étais définie et me définissais (et me définis encore) par mes relations aux autres, fait que j’étais (je suis) dirigée par les autres plus que par moi-même. Ceci fait que je doute de moi, je recherche l’approbation des autres, mais aussi, absorbée dans les autres, ils ont le pouvoir de définir ma (la) réalité.
Cette prise en charge du relationnel et cette attention aux autres, ne sont pas pour autant des pensées/ attitudes/ comportements que je ne veux plus avoir. Je cherche à ce que tout le monde se sente responsable dans leurs relations aux autres, réfléchisse, agisse pour que tous et toutes on se sente bien et non que certain-e-s se laissent porter par le travail des dominé-e-s.
L’irresponsabilité affective dans les contextes collectifs :
J’entends dire que ce n’est pas vrai que le relationnel, la gestion de la vie collective est moins valorisée et visibilisée que des actions plus « masculines » (écriture de textes théoriques, actions spectaculaires …) dans les milieux anarchistes-squats.
EXPLIQUEZ MOI POURQUOI ALORS, c’est à plus de 80% des femmes/gouines/trans qui lâchent leur activités en cours, changent leur priorités pour gérer ces situations quand une personne « pète un câble » dans nos collectifs ? EXPLIQUEZ MOI POURQUOI ALORS, ce sont des femmes/gouines/trans qui se mobilisent pour trouver des solutions lors d’agressions sexuelles afin que des personnes ne se sentent pas oppressées et mal ; mais aussi pour que l’exclusion de l’agresseur-euse de certains espaces ne se transforme pas en sanction punitive ? EXPLIQUEZ MOI POURQUOI ALORS, on entend parler de comment une personne gère ses relations affectives qu’à partir du moment qu’il/elle a écrit un texte dessus (activité tout à fait masculine) et que plusieurs listes internet vont le/la refouler parce que c’est pas en rapport avec les squats ou l’anarchisme ? Je suis en colère contre les mecs de mon entourage qui ne sentent pas concernés par les situations de violences sexuelles que l’on subit par eux.
Je parle ici de mes amIs qui ne se sont jamais posés la question de ce qu’ils pourraient mettre en place pour que ce ne soit pas que des femmes/gouines/trans (ou presque) qui gèrent collectivement les situations d’agressions visibilisées ; de mes amIs qui ne se posent aucune question (ou de façon très brève) sur leurs propre comportements lorsque des situations d’agressions sont visibilisées (c’est plus facile d’avoir un bouc émissaire) ; de mes amIs qui disent qu’ils ne savent pas ce qu’ils pourraient faire parce qu’ils ne font pas partie du collectif où une situation d’agression a été visibilisée et de mes autres amIs qui disent être trop proche de la personne agressée pour pouvoir se positionner et agir (alors qui va le faire ? : si tu es loin, tu ne vois pas ce que tu peux faire / si tu es proche, t’es trop impliqué dedans !) ; de mes amIs qui disent que sûr dans leurs collectifs tout baigne (comme si toute situation de violence est forcément visibilisée dans les collectifs et qu’il n’est pas nécessaire de réfléchir collectivement à ces situations quand elles ne sont pas visibilisées) ; de mes amIs qui font attention à leur paroles et leurs actes que s’ils pensent que l’on va réagir face à des comportements relous, mais qui vont pas se gêner de nous faire subir des violences s’ils sentent qu’ils n’y aura aucune réaction ; de mes amIs qui vont se bouger qu’à partir du moment que leur amitié avec nous est en jeu (il faut croire que travailler sur comment on oppresse les autres n’a pas de sens en soi) …
Ceci m’amène soit à éviter toute discussion sur ces thèmes avec mes amIs car en continuant je n’arriverais plus à être amie avec eux, soit de pousser des coups de gueule en croyant qu’un autre monde est possible.
L’irresponsabilité affective dans les relations amoureuses et/ou sexuelles :
Se conduire de façon « responsable » dans les relations amoureuses et/ou sexuelles – que ce soit d’un soir, quand l’on se croise, ou régulièrement – demande de l’énergie et donc du temps, et n’est pas toujours facile. Être « responsable », c’est se questionner sur comment l’autre vie la relation, est-ce qu’elle satisfait tout le monde, si non : qu’est ce qui peut être changé ou pas, quelles décisions prendre en fonction de cela ; c’est assumer que des choix feront souffrir l’autre ; c’est parler du type de relation qu’on a envie d’avoir avec l’autre dès le début ; c’est être clair sur le type de relation qu’on a avec l’autre, parler lorsque nos envies changent ; c’est respecter les règles de la relation que l’on a posées avec l’autre et en parler lorsqu’on ne les respecte pas…
Je me suis rendue compte récemment, que dans une relation amoureuse avec une personne responsable qui se soucie de l’état de la relation et y investit un minimum de réflexion (malheureusement cet effort n’a duré qu’un temps), je consacre moins de temps et d’énergie à essayer de comprendre l’état de la relation, à aborder certains sujets qu’avec des personnes irresponsables. De plus, je me sens plus indépendante de la relation car confiante. Ayant opté pour parler de l’état de la relation, notamment lorsque les désirs et envies changent – et faisant confiance à mon partenaire pour assumer cet engagement – ça m’avait permis d’être dans un état de confiance sans sentiment d’insécurité dû à la distance ou la présence d’autres relations privilégiées.
Petit formulaire « d’irresponsabilités affectives » :
l’appréciation de la technique est marquée sous forme de ❤
NB : la plus part des exemples sortent de vécu personnel de relations amoureuses et sexuelles, mais aussi de relations amicales, familiales, ou de vie collective .Certains des exemples, sont aussi des histoires d’amies dans des relations hétéros ou lesbiennes.
les pseudo-théories pour ne pas assumer la relation :
• « tu sais on peut mourir demain, alors je sais pas ce que je veux vivre avec toi, je sais même pas si je serais encore vivant la semaine prochaine » ou « il faut arrêter de tout compliquer, il faut vivre le jour le jour » ❤❤❤
Ok, tu veux vivre le jour le jour, alors reste dans des relations sans lendemain. Mais dans tout les cas, une relation affective et/ou sexuelle, ça implique de s’assurer qu’on est sur la même longueur d’ondes, que tout se passe bien, et de prendre du temps quand il y a des problèmes. Par ailleurs, ce genre de discours dans des relations amoureuses sont parfaits pour rendre l’autre dépendant-e ! Tu prends en charge la relation et tu ne sais jamais, si du jour au lendemain, il/elle ne va pas te dire que c’est fini suivi d’un joli « carpé diem ». Alors tu passes ton temps à chercher des signes annexes pour te rassurer.
• Suite à une demande d’être rassurée sur ce que tu vis avec l’autre, il/elle te sort : « je ne vois pas de différence entre les relations amicales et amoureuses, aucune relation n’est comparable » ou encore « mais si, si tu meurs je serais triste » suivi de « je suis triste à chaque fois que j’entends que des personnes meurent dans le monde » (celle-ci à l’avantage de faire rire tellement c’est absurde… du moins la première fois) ❤❤❤
Tu viens pour être rassurée et la personne flippant d’être un minimum engagée dans une relation ou d’exprimer qu’elle a des sentiments particuliers pour toi au bout de 3 ans de relation régulière, te théorise « non à l’amour », ou je ne sais quoi. Alors à toi de faire le choix pour gérer ton flippe entre : croire ce qu’elle te dit et d’arrêter alors la relation, ou, comme précédemment, passer ton temps à chercher des signes annexes pour te rassurer. En face, la personne, elle, elle est tranquille de recevoir plein de marques d’affection de ta part vu que tu flippes de la perdre.
• En posant la question « on en est où dans notre relation », on te répond (si on te répond) : « en te posant toutes ces questions sur notre relation, tu me fais peur ! J’ai l’impression que tu es dépendante de moi. Tu es trop attachée à moi. » (avec un « léger » sous entendu que tu n’arrives pas à sortir de ta construction de femme soumise et dépendante)❤❤❤
Mais qu’est ce que tu crois, si on pose ces questions, c’est parce que toi, tu n’es pas prêt de les aborder ! Si tu prenais un peu plus en charge la relation, je paraîtrai beaucoup moins dépendante. Au lieu de te préoccuper de ma « construction féminine » , préoccupe toi de ta « construction masculine » : ne jamais se poser aucune question sur la relation, ne jamais parler d’affect, mais toujours de « liberté », si ça ce n’est pas genré !
les tactiques et les discours pour ne pas gérer « les relations libres » :
• « ha, je t’avais pas dit ? » ou « mais je pensais que tu avais compris. » ou encore « je pensais que toi aussi tu avais envie de ce type de relation ! »❤❤❤
C’est un peu facile de supposer que le concept d’amour libre était implicitement entendu. C’est vrai c’est pas toujours évident d’en parler direct, surtout qu’on sait pas toujours quel type de relation on veut avoir avec l’autre, mais s’engager dans ce type de relation c’est aussi assumer la complexité que ça engage et le fait que toute personne n’a pas forcément envie de ce genre de relation. Puis en en parlant dès le début, on risque d’avoir beaucoup plus de refus. C’est sûr que lorsque ça fait 3 mois qu’on est dans une relation, c’est plus difficile de dire qu’on n’accepte pas ce genre de relation car on a déjà vécu des trucs chouettes. Alors on accepte ce qu’on ne voulait pas accepter.
• « c’est comme ça » ou « je suis comme ça, alors si ça te va pas, tu n’as qu’à partir » ❤❤❤
Tu oublies un peu vite qu’une relation c’est à deux et non la dictature de l’un-e sur l’autre/ les autres. L’instinct a souvent bon dos pour ne rien remettre en question et ne pas assumer que ses choix font souffrir d’autres personnes.
• « t’as qu’à avoir d’autres relations » « tu fais aucun effort pour avoir d’autres relations » ❤❤❤
C’est vrai qu’avoir plusieurs relations change la donne. A partir du moment où j’ai eu deux relations simultanées, je me sentais moins dépendante d’une de mes relations, j’avais moins peur de ne pas être aimée par l’autre car je m’apercevais qu’avoir une relation avec une deuxième personne n’influençait pas beaucoup mes envies et mes sentiments pour la première personne. J’ai aussi mieux compris comment c’était compliqué d’être responsable dans les relations multiples et du temps que ça me prenait (surtout si on se retrouve quasiment le/la seul-e à se conduire de façon responsable !). Pour autant, le fait d’avoir d’autres relations ne règle pas toutes les souffrances et si pour l’instant j’en ai pas, j’ai qu’à souffrir dans mon coin en fermant ma gueule ? C’est justement parce qu’avoir d’autres relations change la donne, qu’elle instaure une situation dissymétrique, qu’en face, la souffrance de l’autre doit être doublement prise en compte. En plus, c’est pas n’importe qui, qui a facilement des relations avec plusieurs personnes : plus les hommes que les femmes, les personnes centrales dans les collectifs que les personnes périphériques, les personnes valides que les handis, …
• « c’est toi qui arrive pas à gérer tes sentiments, moi ça va, alors c’est ton problème » ❤❤❤
Ben voyons, pose toi aucune question, c’est sûr tout-e-s tes partenaires doivent s’adapter à tes désirs et vivre la relation comme t’as envie qu’il/elle la vive. Puis, si c’est pas le cas, c’est sûrement parce qu’il/elles ont un problème ! C’est vrai une relation ça se gère pas à deux. Puis la relation libre (surtout quand c’est que dans un sens) est tellement le modèle parfait, qu’il n’y a rien à remettre en question.
• Ton amoureux/se vient te voir tout-e gêné-e en te disant : « heu, là Y, elle a envie que j’aille la voir, alors je sais pas quoi faire… On devait se voir, mais elle aussi a besoin de moi… » ou « je vais voir Y mais j’avais peur que tu le vives mal, alors je viens te le dire pour que tu te sentes pas abandonnée. Ca va aller ? » ❤❤❤
Tu veux qu’on dise quoi en face ? ben vas-y ! Et oui, on va pas bien le vivre, mais on va pas te retenir de force car en réalité ton choix tu l’as fait ! T’attends quoi, qu’on soit heureux/se que tu nous plantes ? Tu cherches seulement à te rassurer, car tu assumes pas que ton acte va nous rendre triste, car tu te retrouves à faire des actes que tu n’aimerais pas qu’on te fasse. Prend tes décisions tout-e seul-e et assume qu’en décidant de faire passer une relation avant l’autre, tu crées de la souffrance.
la hiérarchisation des relations :
• « mon temps est compté, tu sais, j’ai 3 autres relations à gérer, elles comptent sur moi elles aussi » : ❤❤❤
Parce que ça va être ma faute si elles te reprochent que tu passes pas assez de temps avec elles ! Il suffit que tu nous dises ça à toutes, nous on culpabilise et toi tu t’en sors indemne. Si t’arrives pas à consacrer du temps à toutes tes relations, pose toi plutôt des questions sur ta capacité d’avoir 4 relations en même temps et sur pourquoi tu as décidé de collectionner les relations amoureuses.
• « Écoute, on a fait l’amour ensemble qu’une fois » ou « si tu l’as mal vécu je peux pas faire grand chose, j’ai déjà ma relation avec X à gérer et c’est déjà pas facile ! » ❤❤❤
Ben voyons, c’est déjà tellement dur pour toi de te remettre en question dans une relation que tu ne veux pas perdre, alors celles dont tu en as rien à faire, tu peux les envoyer balader ! Puis c’est vrai que les violences sexuelles ça n’arrive que dans une relation centrale !
l’évitement des discussions et des explications :
• « j’ai pas le temps de discuter, j’ai plein d’autres choses à faire, ou alors que ce soit bref. » (tu comprends, je suis un-e super activiste ) : ❤❤❤
Tu crois quoi : que nous on a rien d’autre à faire que de réfléchir à cette relation, de vivre mal des trucs et de nous batailler pour amener les discussions ! Si tu as tant de choses à faire et si peu de temps à consacrer à tes relations affectives quand c’est pas au plus beau fixe, alors décide de ne pas avoir de relation privilégiée. Mais quand tu en as, assume.
• Suite à une « pause » dans une relation amoureuse, au moment où vous deviez en rediscuter, tu te rends compte que X à changé d’adresse et que tu n’as aucun moyen de le contacter, alors que lui si. 5 mois plus tard, le croisant (après avoir insisté pour qu’il te voit, alors que t’étais à 3 mètres devant lui) : « Salut ! Tu vas bien ! Je n’ai pas pu passer te voir, je me disais justement que je passerais demain, tu habites toujours à la même adresse ? » (sûrement est-il mort entre temps car tu ne l’as jamais revu.) ❤❤❤
Difficile de ne pas avoir l’impression qu’on se fout de ta gueule ! L’excuse de « je pensais justement te contacter, te parler de ça, etc. » peut être très habile. Il suffit de tenir ce discours jusqu’au bout (de toute façon ça ne pourra jamais être vérifié), de nous faire culpabiliser d’avoir des mauvaises idées sur ton compte et tu arriveras à ce que ce soit nous qui nous nous excusons !
• Dans la même veine : tu vois Y, et tu restes à la fin du séjour sur les phrases « qu’il faut peut être plus trop donner de l’importance à cette relation. Enfin non c’est quand même chouette, je sais pas. » Bref, c’est un peu flou, vous vous dîtes que vous en rediscutez la prochaine fois que vous vous verrez et que d’ici là vous y réfléchissez. Mais la prochaine fois, elle arrive pas parce que tu es obligé-e de changer ton programme. Tu commences à faire de la place dans ton programme pour la période où vous pourrez vous voir, tout en te posant des questions sur la continuité de cette relation pour l’autre personne. Il répond pas aux mails : peut être qu’il ne peut pas aller sur internet ; tu l’as au téléphone : vous parlez de banalité ; tu lui écris une lettre pour lui poser le problème d’où en est cette relation car tu sens que sinon c’est sûr elle va foirer quand vous vous recroiserez : pas de réponse, mais tu te dis que c’est normal il est impliqué dans une « action spectaculaire et médiatique » ; tu l’appelles à la fin de « l’action spectaculaire et médiatique » : il te dit qu’il avait l’intention de la lire dans l’après-midi (voir paragraphe précédent) ; tu lui laisses un message sur son répondeur 5 jours après pour lui dire que t’attends et que tu stresses. Il te rappelle le lendemain où il t’explique que « le téléphone c’est compliqué, c’est flou dans ma tête, puis avec la distance je sais pas…., j’ai qu’à réfléchir à ce que je veux et te rappeler ce soir. » Cela faisait deux mois que Y savait qu’il voulait arrêter la relation. ❤❤❤
C’est facile de t’investir dans une relation tant qu’elle a une importance pour toi ou tant qu’elle se passe bien et la zapper complètement lorsqu’elle ne t’ intéresse plus. Tu ne stresses pas trop car tu es au clair avec ce que cette relation va devenir : plus rien. Pose toi surtout pas trop de questions sur comment se sent la personne en face. De toute façon, ça tu n’y penses plus, maintenant que t’as plus envie de cette relation. En plus, t’as d’autres préoccupations, des actions spectaculaires t’attendent. Puis c’est dur à assumer que t’as envie de mettre fin à cette relation… avec un peu de chance la personne en face va oublier que vous avez une relation ! Ou alors, la prochaine fois que vous vous verrez, ça se passera mal et ça deviendra aussi évident pour l’autre que cette relation ne pouvait finir que comme ça. De notre côté, nous, on fait le point sur l’importance que l’on veut donner à la relation, les choses que l’on a envie de modifier… Dans la tête ça cogite, ça se retient d’avoir peur, et on dépense du temps et de l’énergie pour rien.
Les pseudo-excuses pour ne rien remettre en question :
• « je suis désolé, faire ça c’est plus fort que moi ! » ❤❤❤
l’instinct à souvent bon dos pour ne pas se remettre en question et surtout ne pas perdre ses avantages de dominant-e.
• « je suis désolé, vraiment. Heu là, je suis pas d’accord quand tu dis que j’ai déjà eu des comportements similaires. Je pense que les situations ne se comparent pas. » ❤❤❤
Souvent combiné avec la passivité plus ou moins total (voir technique suivante), lorsqu’on dépasse un certain seuil d’analyse : quand l’on fait entendre que leur comportement de dominant-e n’est pas que le fruit des circonstances ou qu’on ne pense pas qu’après les excuses tout va changer par miracle. Car il y a des avantages à perdre dans la remise en question.
• « Sur le moment, je ne voyais pas comment faire autrement, puis maintenant c’est trop tard, alors je m’excuse pas, ça sert à rien. » ❤❤❤
Ben voyons prend même pas la peine de t’excuser, alors une remise en question plus profonde n’en parlons pas. C’est sûr que des excuses pour te donner bonne conscience et recommencer la prochaine fois, tes excuses je ne les accepte pas. Mais, maintenant c’est trop tard de rien, surtout pas de réfléchir comment tu pourrais faire autrement une prochaine fois avec moi ou un-e autre.
La passivité totale :
• « ha bon, il y a un problème » puis « je sais pas ce que j’en pense, j’ai jamais réfléchi à ça » ou « ha bon, on devait rediscuter de ça ? On en a déjà discuté ? On s’est dit quoi déjà ? (souvent transformé en : tu as dis quoi déjà ?) » ❤❤❤
En face, on fait l’animation : on amène les sujets, pose des questions, explique comment on vit les choses, demande ce qu’en pense la personne en face (blanc ou re – « j’ai jamais réfléchi à ça »), propose des solutions pouvant aller à tout le monde… bref passe une énergie de dingue, avec en plus le doute constant d’exagérer dans ce qu’on dit, vu qu’on pourrait dire un peu n’importe quoi, on recevra un « tu crois ? Si tu le dis ». Pendant ce temps, l’autre fait l’économie de s’investir dans la relation, de passer du temps et de l’énergie pour que cette relation aille bien. Cette technique permet aussi de te rendre dépendant-e car tu n’as aucun repère sur comment la personne en face vit la relation, sur ce qu’elle a vraiment envie : tu restes dans l’insécurité, le doute. De plus, ça permet à la personne de se désengager facilement des accords que vous avez conclus ensemble car en réalité tu n’as discuté qu’avec toi-même (on saura te le rappeler en temps utile).
• Tu es face à ton amoureu-se-x, tu sens qu’il/elle a qu’une envie c’est de te prendre dans ses bras, ou que vous dormiez ensemble, il/elle dit des banalités, tourne autour du pot et finit par dire : « si t’as envie, on peut dormir ensemble » et là tu te rends compte qu’il/elle n’a jamais formulé ses envies en terme de « J’AI envie de dormir avec toi et toi ? ». Soit il/elle attend que toi tu dises tes envies, soit il/elle te fait « comprendre » tes envies : alors que tu n’as strictement rien exprimé (n’ayant pas envie de le/la voir ce soir là), il/elle te sort « là, je sens que tu as envie qu’on se voit, alors il faut que je change un ou deux trucs dans mon programme, on se retrouve dans une heure ? » ❤❤❤
C’est sûr c’est impliquant d’exprimer ses émotions et ses envies, ça pourrait vouloir dire que cette relation t’apporte quelque chose ! Tu as raison, il vaut mieux rester dans ton rôle d’humble serviteur-euse, de chevalier-e servant-e, car, bien sûr, tu es dans cette relation que parce que nous avons besoin d’un-e prince-sse charmant-e pour nous rassurer et nous sentir moins seules. Dans ces conditions pourquoi te demanderait-on de prendre en charge la relation, si déjà vivre cette relation est un acte altruiste ! Pas mal aussi pour rendre l’autre dépendant-e : on passe tout notre temps à essayer de décrypter si tu as envie de nous voir ou pas, on a l’impression de demander tout le temps et qu’on nous accorde une faveur, puis on culpabilise d’être si demandeuse et dépendante…
l’autoflagélation :
• « je suis nul, je suis trop nul, je suis nul, nul nul… » parfois suivi de « pourras-tu me pardonner un jour ? »❤❤❤
A force de t’entendre t’accuser, on te rassure, te console : « c’est pas grave, ça arrive… ». Alors t’as réussi à inverser les rôles ! Bravo ! On te dit que des actes que t’as eu craignent, ça te rend tellement triste qu’on doit te consoler…et le sujet de base est évincé ! Bref, on te console de notre affront de visibiliser tes comportements craignos envers nous.
• « j’arrive si peu à réfléchir à notre relation, je suis vraiment trop nul, je me suis construit comme ça et j’arrive pas à changer. Puis je trouve si peu de garçons avec qui en discuter. » ❤❤❤
J’ai dans mon entourage 5 hommes (se connaissant) qui me disent qu’ils ne savent pas avec quels autres hommes discuter pour avancer leurs réflexions sur les relations affectives, pour être moins pris en charge par les femmes… Peut être que vous n’êtes pas les meilleurs amis du monde, peut être qu’il vous faut chercher d’autres pistes que les pratiques féministes, et sûrement qu’il vous faut plus d’efforts que nous pour parler car on a cette habitude de parler et de réfléchir sur nos relations et nos affects avec les autres depuis longtemps ; mais parfois j’ai l’impression que vous oubliez que ça demande d’investir du temps et de l’énergie et que les premières personnes qui en pâtissent de ce non-changement ce sont les femmes de votre entourage !
la flatterie :
• « tu comprends tellement bien les choses, tu sais ! Vraiment, je t’admire ! » ou « Heureusement que tu es là pour m’aider ! , qu’est ce que je ferais sans toi. » ou encore « tu es vraiment super courageuse de vouloir continuer une relation avec moi. Comment tu peux encore avoir envie d’une relation avec moi. » ❤❤❤
Tactique du renforcement positif, très subtile. On se sent valorisé-e, aimé-e, mais concrètement, en face, tu es bien content-e qu’on passe toute notre énergie à résoudre les problèmes relationnels et qu’on te libère du temps pour des activités plus valorisées socialement et dans des sphères de pouvoir. Bref, vous n’êtes pas prêts d’avoir réellement envie de changer les rôles. Tactique souvent complétée par l’autoflagélation ou la passivité totale.
Ces différentes techniques se retrouvent souvent combinées ensemble, avec certaines plus utilisées dans une relation et d’autres dans une autre … et un petit mélange dans les contextes collectifs !
NB : J’ai fini par mettre le même nombre de ❤ partout, parce que dans telle situation, un comportement peut te toucher énormément, alors que dans une autre situation, tu te dis juste que la personne est un bout de tofu pourri.
NB 2 : peut être que vous vous dites que je vais un peu loin et que vous ne pensez pas tout ça quand vous avez tel ou tel comportement irresponsable. Je ne pense pas que vous vous dites tout ça consciemment, de façon calculée, pour autant, je refuse l’idée que c’est fait de manière inconsciente ce qui vous enlèverait toute part de responsabilité (« c’est pas ma faute, c’est ma construction masculine »). Je pense que vous en avez une certaine conscience parce que vos comportements vous amènent des avantages que vous ne lâchez pas comme ça.
Ca fait trois jours que j’écris ce texte, alors je commence vraiment à saturer. Je veux juste finir en vous disant que si j’ai écrit tout ça, c’est parce que je suis en colère. Pour autant, mon but c’est pas (que) de me défouler et de faire du rentre dedans, mais que certain-e-s (et surtout certains) réfléchissent un peu plus à leurs comportements et pourquoi il/elles ont tels comportements : dans leur relations amoureuses et sexuelles, amicales, d’activités, de vie quotidienne…
Colaire en colère
texte écrit en mai 2006 et un peu réactualisé en avril 2008
Les deux textes qui suivent vont ensemble et je ne trouve pas de sens à diffuser le second sans le premier, car À ceux qui n’ont rien compris est un détournement de À celles et ceux qui ne savent pas.
L’idée de ce détournement était de mettre en lumière et de critiquer une rhétorique et une forme d’écriture que je trouve élitiste et méprisante. Pour moi cette réthorique induit qu’il y aurait une sorte de pureté de la radicalité politique à atteindre, que les personnes qui l’utilisent l’ont atteinte et que le reste des gen-te-s sont tou-s-te des flics. D’une part ça me renvoie à l’idée de vérité, comme s’il y avait une à trouver, et d’autre part la radicalité mise en avant par ce genre de texte est une radicalité anti-étatique, anti-capitaliste mais qui ne prend pas en rapport tous les autres rapports d’oppression qui ne relèvent pas uniquement d’institutions ou d’éléments extérieurs mais aussi de soi et de sa position sociale.
J’avais envie de montrer que la radicalité, c’est-à-dire prendre les problèmes à la racine, ne résidait pas uniquement dans la volonté de détruire l’Etat, lecapitalisme etc… mais également dans détruire le patriarcat, le racisme, la binarité des genres et des sexes… c’est-à-dire de remettre en cause ses privilèges de blanc-he, de mec, d’hétéro-a…
Après je n’ai pas envie que le détournement soit diffusé sans la version originale, car je ne trouve pas très intéressant d’aborder des sujets politiques, quels qu’ils soient, de manière aussi méprisante, de s’adresser à des gen-te-s en leur disant en gros « vous êtes des merdes et moi j’ai tout compris » parce que c’est le sentiment que j’ai quand je lis des textes contenant cette rhétorique.
À CELLES ET CEUX QUI NE SAVENT PAS…
Sur la fac de Grenoble on se replonge dans l’exercice fastidieux des Assemblées Générales et déjà refont surface les mêmes vieilles situations moisies. Dans l’immense troupeau étudiant, dont on se demande parfois ce qu’il « étudie » réellement à part ses chances d’intégrer le monde puant de « l’entreprise », on recroise immanquablement le lobby de cellzéceux qui ne « savent pas », ou qui en appellent à la défense de leur congénères, pauvres ignorants qui ne « comprennent pas » la mobilisation. C’est le moment savoureux où l’on a la confirmation que la majorité de ces rejetons aisés (disons « issus pour la plupart des classes moyennes » pour rester poli et ne pas évoquer le fait que le confort matériel les a réduits à limiter leur esprit critique à l’analyse du catalogue Ikea) se vautrent dans une insouciance crasse et moelleuse, à quelques centimètres de l’inconscience totale. Ceux-là ne veulent pas savoir. Dehors c’est la guerre, mais ils ne veulent ni la voir, ni la comprendre, et surtout pas y participer. Nous n’avons pas besoin d’elleux et leur expliquer la situation parait être une pure perte de temps et d’énergie. Même si certains se risqueront à venir frissonner dans la rue le temps d’une manif encadrée, ils auront tôt fait de retourner avec délectation à leur morne quotidien en se réclamant de la « génération CPE », comme leur aînés de la « génération 68 » ont couru monter des agences de publicité.
Parmi ces jeunes en état de mort cérébrale, on entend déjà certain-e-s crier aux « casseurs » comme on crie au loup. On peut alors dire que le travail médiatique a porté ses fruits en instaurant la division là où il n’y en avait pas. En face, ces étudiant-e-s citoyen-ne-s ont tout simplement bien appris leur leçon et c’est bien tout ce qu’on leur demande à l’université. Rappelons-leur à titre indicatif que cellzéceux qu’ils nomment les « casseurs », c’est-à-dire celles et ceux qui ont choisi de ne pas réduire leurs modes d’actions à ceux décidés par les flics de tous poils, sont celleux qui ont permis le retrait du CPE. En effet, qui peut encore croire que l’Etat aurait reculé devant un énième mouvement moutonnier et docile ?
Les chiens de ce troupeau, qu’ils se nomment UNEF, FSE, Fac Verte, la Cé ou l’UNI, achèvent de pourrir la situation. Ils pourrissent les AG, ils pourrissent les manifs, ils pourrissent le mouvement à chaque fois qu’ils en ont l’occasion, en particulier devant une caméra ou derrière un service d’ordre. Pour eux ce n’est jamais le bon moment, ni le bon mode d’action. Il n’y a pas d’actes valables hors de leurs logiques bureaucratiques. Leur volonté de « massifier » le mouvement cache mal leurs désirs de politicards en herbe. On sait bien comment ils fonctionnent pour tenir le crachoir en AG, tenir le cortège en manif, en bref nous tenir en laisse. Ils ne sont rien d’autre que des flics et comme leurs collègues en uniforme, ils n’ont pas leur place dans le monde que nous souhaitons. Non seulement nous n’avons pas besoin d’eux mais en plus, à Grenoble comme ailleurs, il serait vraiment souhaitable de nous rendre indociles, incontrôlables au point de les dégoûter de leur rôle de gardes-chiourmes.
Il faut maintenant assumer le fait que ce mouvement social, qui s’inscrit pleinement dans les flambées émeutières de ces derniers mois (mouvement lycéen, émeutes de novembre 2005, CPE, émeutes des élections présidentielles) va bien plus loin que l’horizon étouffant de nos facs. Nous avons appris à transposer notre rage dans la rue et désormais nous ne nous laisserons plus enfermer dans de pâles revendications.
À celles et ceux qui ne savent pas :
C’est ce monde de flics, de patrons et de robots citoyens que nous ne voulons plus.
À CEUX QUI N’ONT RIEN COMPRIS …
Sur la fac de Grenoble, on se replonge dans l’exercice fastidieux des Assemblées générales et déjà refont surface les mêmes vieilles situations moisies. Dans l’immense troupeau de petits mecs bios blancs hétéros dont on se demande parfois contre quoi ils luttent réellement à part pour conserver leurs privilèges de classe, on recroise immanquablement le lobby de ceux qui n’ont rien compris, ou qui en appellent à la défense de leurs congénères, pauvres ignorants qui ne « comprennent pas » notre rage. C’est le moment savoureux où l’on a la confirmation que la majorité de ces rejetons aisés (car la plupart, en plus d’être des mâles blancs et hétéros, sont « issus de classes moyennes et ont fait un petit ou un grand tour par la case études supérieures » pour rester poli et ne pas évoquer le fait que leur statut les a réduits à limiter leur esprit critique à l’analyse des mouvements sociaux) se vautrent dans une insouciance crasse et moelleuse, à quelques centimètres de l’inconscience totale. Ceux-là ne veulent pas comprendre. Partout règne l’ordre blanc valide hétéropatriarcal binaire, mais ils ne veulent ni le voir, ni le comprendre, et surtout pas le subvertir. Nous n’avons pas besoin d’eux et leur expliquer la situation est une pure perte de temps et d’énergie. Même si certains se risqueront à mettre une jupe le temps d’une soirée, ils auront tôt fait de retourner avec délectation dans leur morne quotidien en se réclamant « antisexistes », comme leurs aînés de la « libération sexuelle » se sont mariés et ont mis les pieds sous la table.
Parmi ces jeunes hommes en état de mort cérébrale, on entend déjà certains crier aux « féministes hystériques et violent-e-s » comme on crie au loup. On peut alors dire que la société genrée a bien fait son travail éducatif de formatage des cerveaux en « homme » et en « femme » en créant ainsi une division binaire là où il y avait un continuum. Ces garçons bien construits ont tout simplement bien appris leur leçon et c’est bien tout ce qu’on leur demande à l’université comme ailleurs. Rappelons-leur à titre indicatif que celleux qu’ils nomment les « extrémistes », c’est-à-dire celleux qui ont choisi de ne pas réduire leur lutte à celle contre l‘Etat et ses flics, sont celles qui ont permis certaines avancées (bien que minimes) dans cette société conservatrice et réactionnaire.
Les chiens de ce troupeau, qu’ils se nomment antisexistes, proféministes, ou machistes, achèvent de pourrir la situation. Ils pourrissent les AG, ils pourrissent nos luttes, ils nous divisent à chaque fois qu’ils en ont l’occasion, en particulier devant un micro ou derrière un texte. Pour eux ce n’est jamais le bon moment, ni le bon mode d’action qu’ils jugent toujours trop violent. Il n’y a pas de lutte valable hors de leur logique de guerre civile anti-étatique. Leur volonté de désigner des ennemis communs « l’Etat, les flics, les patrons » comme seuls ennemis à combattre ensemble cache mal leur désir de garder leur statut de privilégiés sociaux sans jamais remettre en question leur position de pouvoir. On sait bien comment ils fonctionnent pour tenir le crachoir en AG, tenir le monopole de la « radicalité », bref nous tenir en laisse. Ils ne sont rien d’autres que des flics et comme nos ennemis en uniforme, ils n’ont pas leur place dans le monde que nous souhaitons. Non seulement nous n’avons pas besoin d’eux mais en plus, à Grenoble comme ailleurs, il serait vraiment souhaitable de nous rendre indociles, incontrôlables au point de les dégoûter de leur rôle de flics de genre.
Il faut maintenant assumer le fait que nos luttes, qui s’inscrivent pleinement dans les mouvances féministes, queer et anticolonialistes de ces dernières années (queeruptions, ladyfests, événements trans, pédé, gouines, manifs non-mixtes, appel des indigènes de la République, appel des féministes indigènes…), vont bien plus loin que leur horizon étriqué et réducteur de leur combat contre l’Etat. Nous sommes en train d’apprendre à nous visibiliser dans l’espace public, à faire sortir notre rage et désormais nous ne nous laisserons plus enfermer dans de pâles revendications.
À ceux qui n’ont rien compris :
C’est ce monde blanc, binaire (homme/femme), hétérosexiste, validiste, de flics, de patrons et de robots citoyens que nous voulons détruire.
LE MALAISE DANS L’ACTIVISME
Ce texte se veut comme une réflexion critique sur l’activisme à partir de notre vécu. Mais différemment des textes critiques déjà existants, le point d’énonciation, c’est-à-dire d’où ce texte est écrit, ne sera pas le même. On ne posera pas ici la question de savoir si l’activisme c’est bien ou mal dans une stratégie révolutionnaire…bien d’autres l’ont déjà fait… Mais on écrira à partir de notre position dans la société de personnes pas hétéros et féministes. Ce qui change pas mal la perspective, au moins dans notre cas. Ce texte n’est pas une analyse globale de l’activisme, ce qu’on va évoquer se base sur nos expériences et les fonctionnements qu’on a observés, vécus.
Dans le contexte de répression actuelle, de propagande anti-anarchiste et anti-autonome, on a un peu hésité à écrire ce texte. Alors on tenait à préciser que même si on le diffuse maintenant, ce n’était pas du tout dans l’optique de séparer, diviser les bons des méchants, ni d’en rajouter une couche sur celleux qui, en ce moment, s’en prennent déjà plein la gueule. On sera toujours solidaires des gen-te-s qui luttent contre ce monde de merde…
On avait juste envie de rendre visible des questions et des perplexités qui nous paraissent importantes et qui font qu’on se sent souvent pas trop à l’aise et en syntonie avec les autres dans des « contextes » d’activisme.
Pour commencer on va essayer de définir qu’est ce qu’on entend par activisme. L’activisme est une forme particulière de militantisme ou, en tout cas, se différencie de celui-ci par le fait de se développer en dehors des partis, orgas, syndicats et d’utiliser souvent d’autres moyens de lutte que ceux traditionnels. Les activistes se mettent en jeu physiquement, dans une confrontation plus directe, c’est de l’action directe au sens large du terme. On va ici parler de l’activisme anarcho-libertaire qui lutte contre le capitalisme, l’État, les flics…
Une des formes dans lesquelles l’activisme peut se concrétiser c’est l’organisation de rencontres, journées d’actions ou actions ponctuelles.
La plupart du temps, ces événements se font dans l’urgence. Dans les réunions ne sont abordées que les points logistiques, techniques, organisationnels qui prennent déjà beaucoup de temps et dans ces moments là celui-ci est compté. L’urgence est parfois nécessaire parce que c’est vrai qu’il y a des moments plus pertinents que d’autres pour faire telle ou telle action. Mais c’est vrai aussi que dans nos expériences d’activiste on a rarement eu des discussions de fond formelles, même sur les thématiques spécifiques soulevées par la/les cibles de l’action avec les personnes y participant. Sûrement pour une question de temps, déjà que dans ces moments là on ne dort pas beaucoup, on écrit des tracts, on règle les problèmes techniques, on parle de stratégies, on repère…mais aussi peut-être parce qu’on aimerait croire qu’il y a un consensus politique entre nous qui en réalité reste non-dit et qui n’est pas si évident.
Ces rencontres sont souvent des « événements » où il faut être quand on est activiste, certains sont même incontournables, on a l’impression parfois que le fond du sujet n’est pas si important, ce qui compte c’est l’action en elle-même ; ce qui, en soi, peut être intéressant puisque c’est contre un système qu’on lutte et non contre une partie de celui-ci. Le problème c’est que cet aspect ne fait que renforcer les pseudos évidences politiques et les manques de discussion de fond. Cela crée également une course à l’événement, une course à l’action, un-e bon-ne activiste est efficace.
Ça nous est arrivé de croiser des personnes pendant plusieurs années, à chaque fois pour des actions, et de nous rendre compte que finalement on ne les connaissait pas, qu’ on ne savait même pas quelles étaient nos bases politiques communes, alors que ce qui nous réunissait était éminemment politique.
Les événements activistes sont courts, ponctuels, ils ne durent pas plus de quelques semaines au maximum. Ce sont souvent des « coups », des moments ponctuels « spectaculaires » (c’est-à-dire que l’action en elle-même est très visible, impressionnante visuellement) parfois médiatiques. L’intérêt est de toucher, sensibiliser le plus de monde possible, d’essayer d’amener un rapport de force pour obtenir quelque chose, soutenir des gen-te-s ou pour visibiliser une position politique. Ensuite il n’y a pas de suivi ou très peu, parfois une réunion « bilan et perspectives » où sont notamment abordés les problèmes survenus lors de l’action. En général dans ce type de réunion on parle de comment on a vécu l’action, on fait un bilan politique personnel, on évoque la suite qu’on a envie de donner à cette action, de comment on est prêt-e à s’investir à l’avenir. On discute des erreurs stratégiques faites durant le moment clé, de comment on pourrait faire autrement une prochaine fois. On aborde parfois les problèmes de spécialisation, de répartition des rôles genrée mais on survole assez vite ces questions pour en revenir aux vraies préoccupations pour la révolution, aux stratégies face aux flics, …
Dans ces moments activistes, on fait souvent face à la répression de l’Etat, des flics de manière frontale, physique, ce qui renforce le groupe, la solidarité entre les individu-e-s. Dans ces moments là on est toustes uni-e-s contre le même ennemi qui nous oppresse toustes, ce qui créé une forte intensité relationnelle. C’est comme si on était à égalité face à cet ennemi alors que nos différentes positions sociales font que nous sommes plus ou moins discriminé-e-s, exclu-e-s… Celles-ci peuvent entretenir plus ou moins fortement des rapports de pouvoir, d’oppression, de dominant-e-s/dominé-e-s (sexisme, racisme, homo/lesbophobie, transphobie, âgisme, classisme…on ne dira pas validisme car l’activisme comme on l’a pratiqué/le pratique est validiste en soi, il n’y a donc que des personnes valides) au sein du groupe si on n’y fait pas ou peu attention. Mais se poser trop de questions sur les rapports sociaux, genrés, de domination qui ont pu exister entre nous pendant la rencontre reviendrait à nous fragiliser, à nous diviser, à remettre en cause notre union contre le grand Ennemi, le vrai, et donc à ce que la forte intensité relationnelle soit remise en question.
On peut apporter plusieurs exemples de comment les rapports d’oppression entrent en jeu dans des contextes d’activisme :
les actions nécessitent souvent une mise en jeu du corps où celui-ci doit être le plus « fonctionnel » possible. Il faut être valide en bonne santé pour être activiste et si on est jeune et plutôt sportif c’est encore mieux.
souvent on est exposé à des situations de confrontation physique, de prise de risques, et dans ces moments là il faut être courageux-se, ne pas avoir peur. Le courage et le contrôle de la peur et des émotions font partie de la construction masculine, ce qui ne signifie pas qu’on ne peut pas travailler dessus mais qu’au départ tout le monde n’est pas à égalité face à ces aptitudes.
l’activisme nécessite parfois des savoirs faire techniques (exemple : escalade). Ceux-ci sont détenus par quelques-un-e-s, les plus « aptes », cette spécialisation est souvent très genrée, c’est-à-dire que ce sont souvent des hommes qui maîtrisent le mieux ces techniques même s’il y a des échanges de savoirs qui tendent à faire changer les choses.
au cours des rencontres, actions, on a besoin de manger, de dormir… ce qui nécessitent de faire des courses, la récup, la bouffe, le ménage… Et malheureusement il arrive souvent que, même si ces tâches peu ou même pas valorisées dans ces moments là soient formalisées, ce soit les mêmes personnes qui se retrouvent à les faire, à s’en soucier… Et ce n’est pas anodin que ça soit ces personnes plutôt que d’autres.
l’intensité relationnelle crée des relations interindividuelles fortes et les moments activistes sont propices à la séduction, au fait que des gen-te-s dorment ensemble, commencent des relations « privilégiées » (on utilise ce terme parce que l’amour c’est pas bien, c’est aliénant et tout, alors plutôt que d’avoir des relations « amoureuses », on a des relations « privilégiées »)… Les intéractions d’ordre affectives, sexuelles… sont majoritairement hétérosexuelles, en tout cas dans les milieux activistes libertaires au sein desquels on évolue. En tant que personnes non hétérosexuelles, on est très souvent mis à l’écart de ce jeu de séduction. Même s’il y a également d’autres gen-te-s qui en sont mis-e-s à l’écart pour d’autres raisons, ça nous renvoie quand même à l’oppression hétéro, à la norme et au fait qu’on en soit exclu.
Plus en général, l’activisme est un peu aussi une façon particulière d’appréhender le/la politique et la place et la forme que ça prend dans nos vies. En évoluant dans un milieu squat-libertaire-anti-autoritaire, on se retrouve souvent à vivre collectivement. Là aussi, au sein du groupe, on retrouve un peu les mêmes dynamiques dont on a parlé avant.
On a souvent ressenti qu’il y avait clairement une hiérarchisation des luttes et que lutter contre l’hétéropatriarcat et se questionner sur les genres passait au second plan. Être activiste contre l’État, les flics, etc …, est plus valorisé que d’être activiste féministe et/ou queer. Le fait que les questions politiques qui nous intéressent/touchent soient considérées, en général et dans les faits pas en théorie, comme secondaires entraîne qu’on est aussi moins valorisé-e-s, moins intéressant-e-s que les gen-te-s avec qui on lutte contre l’État, la prison, les flics… Cela crée des rapports inégalitaires dans les relations parce qu’on n’est pas considéré-e-s au même niveau par et avec les gen-te-s avec qui on lutte.
En plus, le fait d’être tout le temps tourné-e-s vers l’actualité, vers l’ « extérieur », ça veut dire qu’on ne fait pas attention à comment ça se passe à l’ « intérieur » du groupe, au relationnel, et ça ne fait que reproduire et invisibiliser ces rapports inégalitaires et d’oppression.
Et comme on a besoin de se sentir bien et à l’aise avec les gen-te-s avec qui on lutte/on fait des choses, ça nous fait donc poser la question de « avec qui on lutte ? ».
Bon voilà… c’est la fin. Comme on l’a déjà un peu dit au début, le but de ce texte n’était pas de dire que l’activisme c’est nul… nous aussi on y trouve des choses intéressantes. On avait juste envie de lancer quelques pistes de réflexion sur des sujets pas trop souvent abordés.
collectif, mai 2008