Ce récit a pour but de montrer comment une fille peut être programmée à la soumission sexuelle, la culpabilité, la honte et le silence. Et comment un garçon peut se croire permis de forcer sa partenaire, la harceler et la manipuler pour la garder sous son emprise, sous couvert de l’amour.
Ou du devoir conjugal.
Le devoir conjugal est un des outils patriarcaux historiques les plus extrêmes d’assujettissement de la femme par l’homme.
Jusqu’en 1980, les relations sexuelles font partie du devoir conjugal et peuvent être exigées par la contrainte.
Avant 1990, la cour de cassation ne reconnaît toujours pas le viol entre époux.
Jusqu’en 2010, existait la présomption de consentement des époux à l’acte sexuel jusqu’à « preuve du contraire ».
février 2010
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Le devoir conjugal est un des outils patriarcaux historiques les plus extrêmes d’assujettissement de la femme par l’homme.
Jusqu’en 1980, les relations sexuelles font partie du devoir conjugal et peuvent être exigées par la contrainte.
Avant 1990, la cour de cassation ne reconnaît toujours pas le viol entre époux.
Jusqu’en 2010, existait la présomption de consentement des époux à l’acte sexuel jusqu’à « preuve du contraire ».
On avait dix-sept ans, il était grand, blond comme le Petit Prince et vierge comme un ange. Pas moi. J’attendais qu’il ose enfin me toucher, mais notre relation amoureuse restait extrêmement romantique, et platonique. Un jour je lui ai dit, alors que j’avais pris de la distance, m’impatientant, que je le voyais comme un ange asexué. Il était outré. Il s’est dit « tu vas voir », et a enfin libéré toutes les pulsions qu’il contenait depuis trop longtemps en se donnant à moi.
Je l’ai donc dépucelé. J’étais fascinée par sa personnalité si étrange, si poétique, et par l’amour démesuré qu’il me portait. Je ne lui disais jamais non, j’avais toujours envie.
L’année suivante, un soir, j’ai voulu essayer de dire non. Pour voir. On était sur le canapé du salon, il me caressait les cheveux, je l’embrassais, il a voulu dégrafer mon soutien gorge. Avec un sourire narquois, je lui ai dis non, puis j’ai ris. Il a sourit puis m’a attiré vers lui, je l’ai poussé en disant « non, non, non, je ne veux pas », toujours en riant. On a joué un moment à se débattre puis j’ai sauté du canapé, je me suis rhabillée et suis allée m’asseoir plus loin sur une chaise de la salle à manger, en lui jetant un regard vainqueur. Il faisait d’un coup une drôle de tête, seul et bredouille sur son canapé. Je lui ai piqué une cigarette. Alors il s’est brusquement levé, et du haut de son mètre quatre-vingt-quinze, il m’a violemment arraché le paquet de cigarettes des mains et s’est immobilisé en me dévisageant. J’ai eu le temps d’apercevoir la haine dans ses yeux, avant qu’il ne se confonde en excuses. Le soir suivant, l’anecdote était oubliée. On a refait l’amour et je ne jouais plus à lui dire non. Quelque part dans ma jeune tête, s’était inconsciemment enregistré le message « ma fille, tu n’as pas le droit de dire non ».
Plus tard, en vacances, j’ai couché avec un autre garçon, et l’expérience fut un peu troublante. J’avais été folle de lui dès son apparition, et avais rêvé tant de fois du moment extraordinaire où on s’embrasserait. Le moment venu, il m’avait demandé de lui faire une fellation, avait tenu ma tête pour maîtriser le va et vient, avait jouit dans ma bouche. Il m’avait ensuite demandé d’aller chercher la capote dans la poche de son jean pour qu’il puisse me faire l’amour, disait-il, sans s’inquiéter de savoir de quoi j’avais envie. Quand je suis revenue vers lui avec la capote six secondes plus tard, il ronflait. Au matin, sans préliminaires, il m’a pénétré. J’ai fait semblant d’être d’accord et d’avoir du plaisir.
Je ne m’étais pas sentie très bien traitée, bien que j’ai mis des années à me l’avouer. Je tenais sans doute beaucoup à mon image de femme libérée sexuellement. Il était hors de question d’avoir été celle qui n’avait pas vraiment eu envie, qui s’était sentie mal à l’aise et qui s’était finalement laissée faire, ignorant la douleur. Pas question de passer pour « une coincée ». Je ne voulais pas non plus m’avouer que ce joli jeune homme que j’avais tant estimé avait en fait agit comme un petit con.
A mon retour de vacances, mon copain était très heureux de me retrouver et a voulu faire l’amour. Au bout de quelques minutes, pour la première fois de notre histoire, je l’ai repoussé pour lui demander d’arrêter en m’excusant. Je ne me sentais pas bien. Je lui ai dit que j’étais trop fatiguée, qu’on ferait l’amour demain. Il s’est retiré et s’est blottit contre moi.
J’étais sans doute un peu dégoûtée du sexe. Je lui ai avoué que j’avais couché avec un autre, il m’a avoué qu’il avait fait la même chose, mais contrairement à moi il a fait une grosse crise de jalousie, jusqu’à cogner les murs. Je ne lui ai pas parlé du malaise que j’avais ressenti, d’ailleurs j’étais encore, malgré tout, émoustillée par cet amour de vacances, et continuais à lui envoyer des textos.
Le lendemain soir, on s’est couché l’un près de l’autre et on s’est prit dans les bras. Je n’arrivais pas à dormir parce que ses mains ne restaient pas en place, et quand elles ont glissé dans ma culotte, je l’ai repoussé doucement. « Pas ce soir », je lui ai dit. Alors il a rangé ses mains à contre cœur, s’est tourné fâché et a dormi loin de moi. La journée suivante, il a fait la tête. Je l’ai rassuré, lui ai dit que c’était passager, que je venais de changer de pilule et que ça devait être dû à ça. Le soir venu, il ne m’a pas touché en espérant que je viendrai de moi-même. Je me suis endormie sans un mot. Le sixième soir, il n’y tenait plus et a retenté sa chance. Il brûlait de désir, m’avait attendu toutes les vacances et ne comprenait pas que je n’ai pas la même ardeur. Ce soir là j’avais mal au ventre et n’étais donc pas en état, le soir suivant j’ai fait semblant de dormir, et la semaine suivante j’ai eu mes règles.
Ça allait bientôt faire un mois qu’on n’avait pas fait l’amour, ou très peu. Il était perdu, blessé et horriblement triste. Il savait bien que tout ça n’était que prétexte. Il était sûr, malgré ce que je disais, que ce n’était que de lui que je n’avais plus envie, que j’en désirais d’autres en cachette. Il n’a jamais cherché à me comprendre, à savoir si quelque chose n’allait pas. Il m’accusait seulement, en jouant la victime. Je ne comprenais pas ce qu’il m’arrivait, moi qui n’avais jamais eu de panne de désir, mais lorsqu’il me touchait, c’était comme si un frère me violait. Dégouttant. Et pour ne rien arranger, il avait des pulsions sexuelles violentes plusieurs fois par jour et tous les jours, même après un an de relation. Il devait donc essuyer plusieurs refus par jour, de quoi le détruire à petit feu. Je le plaignais énormément, et me sentais extrêmement coupable. De honte, je n’en parlais à personne.
Je me souviens, de façon anecdotique, d’un épisode où je n’ai plus été capable de parler pendant plusieurs heures, un vrai mutisme. On avait dormi chez mes parents, dans ma chambre. Le soir, dans mon lit une place, j’avais refusé ses avances. Comme à chaque fois, il s’était fâché, il se tournait nerveusement dans tous les sens et ne débandait pas. De la nuit entière. Je m’étais tournée dos à lui. Toute la nuit, en gigotant dans son demi sommeil, il a frotté son sexe en érection contre mes fesses. Je haïssais ça. Il me faisait payer.
Le lendemain matin, il était toujours en érection. J’étais remuée, je ne comprenais pas ce que je ressentais. Il me parlais, je n’arrivais pas à lui répondre. J’étais comme figée. Ma mère a appelé de l’autre côté de la porte, rien n’est sorti de ma bouche. Elle a fini par entrer, me poser une question, je n’ai pas pu répondre. Plusieurs heures se sont écoulées comme ça, sans que je puisse sortir de mon mutisme. Quelques mois plus tard, une nuit, dans la rue, on a discuté. Il m’a dit ce qu’il ressentait et je lui ai dit, c’est sorti comme ça tout seul, que j’avais peur sans cesse. Il n’a pas comprit de quoi, ou a fait mine de ne pas comprendre. Qu’importe, j’avais parlé, j’étais libérée. Tout allait aller mieux maintenant, alors je me suis laissée guider sur une terrasse abandonnée, à l’abri des regards, on s’est embrassé, et il a baissé ma jupe. Je suis restée un peu perplexe, un peu dominée, un peu l’air bête, un sourire niais agrafé au visage. Je n’ai pas dit non, je n’ai pas dit oui non plus. S’il faisait ça malgré ce que je venais de lui dire, c’est qu’on avait passé un cap. C’est que j’étais foutue, prisonnière. Mieux valait pour moi me résigner. Voilà la solution au problème, ne plus dire non. Se laisser aller, avec un peu de chance, ce ne sera peut être pas si terrible, et un jour j’y reprendrai goût, l’appétit vient en mangeant. Et au moins, il se soulagera.
Ça s’est relativement bien passé, je l’aimais après tout. J’avais un peu mal mais ça devait être normal, ça faisait longtemps. Et voilà. On a pu recommencer à faire l’amour tous les jours. Tout était presque redevenu comme avant. Simplement, je continuais à avoir mal à chaque fois. Le mal prenait son ampleur surtout une fois qu’il s’était retiré, il était parfois insupportable et je me recroquevillais sur moi-même en attendant que ça passe. Heureusement [Attention, ironie.], il était attentif et me demandait souvent si j’avais mal avant de continuer. Cela ne suffisait pas car j’avais toujours un peu mal et n’osais donc pas lui dire à chaque fois. Je lui disais de temps en temps. Il ne s’arrêtait pas pour autant. Il allait plus doucement.
Au fond, on savait bien tous les deux pourquoi j’avais mal. J’étais sèche comme de la paille. Mais on faisait comme si ça avait toujours été comme ça. Et quand je pleurais à la fin de l’acte, je disais que c’était la douleur. Pourtant cette fois où j’ai tant pleuré, je n’avais pas si mal que ça.
Je ne m’inquiétais pas, puisque de toute façon quelques minutes après je n’y pensais déjà plus. Et puis j’éprouvais tout de même une sorte de plaisir pendant l’acte, une émotion en tout cas, il me semblait. Ça allait bien comme ça, de toute façon je ne pouvais pas faire autrement.
Je connaissais le code d’accès d’un vieil immeuble à Saint Paul. L’automne dernier, quand on se promenait dans le vieux Lyon et qu’il se mettait à pleuvoir, on pouvait aller se réfugier là-bas. On grimpait jusqu’au septième et dernier étage pour s’affaler, épuisés, sur le minuscule palier d’un appartement abandonné. On y faisait toujours l’amour.
L’automne suivant, on se baladait dans Lyon. Cet après midi là il ne pleuvait pas, mais mon copain semblait se diriger inexorablement vers l’immeuble, malgré mes diversions pour tenter de trouver des raisons de partir en sens inverse. Je savais ce qu’il avait dans la tête. J’angoissais mais ne voulais surtout pas qu’il s’en rende compte. Comment pouvais-je croire qu’il était dupe ?
Et puis on est arrivé devant la porte, on a monté les marches quatre à quatre et on s’est écroulé sur le dernier pallié. Je souriais nerveusement. On s’est embrassé amoureusement. Il m’a dit « mets toi à quatre pattes ». J’ai obéis en tentant d’être la plus sensuelle possible, croyant éviter d’avoir l’air ridicule. En réalité, être sensuelle évitait que la scène ait l’air d’un viol. J’aurais tellement voulu parvenir à me prendre au jeu. Derrière moi, il a baissé ma culotte et m’a fait l’amour. A la fin, on s’est étreint, tous les deux au bord des larmes, chacun le cachant à l’autre. « Je t’aime » m’a-t-il dit, « Moi aussi » lui ai-je répondu. Je ne pensais plus qu’à me laver. Je suis restée muette et souriante tout le long du trajet du retour. Lui muet et sombre. Une voiture nous a klaxonné alors qu’on passait sur un passage piéton. Le conducteur a fait signe à mon copain de s’approcher, afin de pouvoir mieux l’insulter. « Il n’y a pas de feu » disait-il, « vous ne devriez pas passer devant moi ». Tout ça garni d’insanités. Mon copain a fracassé le pare brise arrière de la voiture d’un violent coup de poing, le verre a volé en éclats. Il est parti en courant de peur de se faire attraper par le conducteur en me confiant le sac qu’il avait à la main pour pouvoir courir plus vite. J’ai jeté un coup d’œil sur le sac pour y voir une belle et large tâche de sang. Je me suis alors doutée que cet élan de colère n’était pas simplement du à l’incident. J’ai compris ce jour là qu’il savait. Il savait que je souffrais. Que je n’avais toujours pas retrouvé de désir pour lui et qu’il était mon bourreau. Il avait comprit de quoi j’avais peur, j’avais peur de lui.
A partir de ce jour, quand un soir je n’avais tellement pas d’envie que je n’étais même plus capable de me forcer à être affectueuse, il se levait et allait se masturber aux toilettes. Mais cela le frustrait presque encore plus que de ne rien faire du tout. Disait-il. Un de ces soirs, il était allé se coucher de bonne heure et me demandait de le rejoindre. « J’arrive » je lui disais. Je savais que comme chaque soir, il allait avoir envie. Alors je traînais dans la salle de bain, avec l’espoir absurde qu’il se serait endormi quand j’irai me coucher. J’aurais tellement aimé me coucher près de lui et m’endormir paisiblement la tête sur son épaule, simplement. Quand je suis revenue dans la chambre, un peu angoissée, j’ai été soulagée par son ronflement. Mais quand je suis entrée sous les draps, mon cœur battait la chamade à l’idée qu’il se réveille. Je n’ai pas osé le toucher. Je me suis tournée dans l’autre sens, me suis recroquevillée sur moi même et ai fermé les yeux. Il bougeait. Mon cœur accélérait. Je l’ai entendu parler dans son sommeil, il disait « viens, prends moi dans tes bras ». J’ai fait semblant de ne pas entendre. Il s’est tourné et m’a entouré de ses bras. Je lui ai caressé la main, en caressant l’espoir que lui endormi, il ne pourrait rien m’arriver. Puis j’ai senti contre mon dos se dresser la preuve du contraire. Et ses mains ont recommencé leurs incessantes balades. Je n’arrivais plus à supporter ça, j’ai réussi à dire non. Alors, triste, il me demanda une faveur. « Masturbe moi » me dit-il. « S’il te plaît ». Je l’ai masturbé pendant ce qu’il m’a semblé être des heures, jusqu’à ce qu’il éjacule enfin et que je puisse réprimer mon envie de vomir. La honte nous rongeait, on s’est pourtant réjouit le lendemain d’avoir trouvé une bonne alternative à notre problème. Alors les nuits suivantes débutèrent comme ça. Il me touchait, je disais non, je le masturbais. Puis quelques semaines plus tard, je suis parvenue à dire non à cette deuxième requête et lui ai demandé de se masturber tout seul. Il a négocié le fait de pouvoir le faire dans le lit, à mes côtés, pas dans la douche. Je devais donc m’endormir sur un matelas tremblant, accuser quelques coups de coudes dans le dos et ignorer la respiration haletante de celui que j’aimais seulement quand il ne bandait pas. Par la suite, il a inventé une troisième requête, il voulait bien se masturber lui même, mais sur moi.
Cette nuit là, comme toutes les autres nuits j’avais dit non, j’étais allongée sur le dos, il était monté sur moi à califourchon et se masturbait au dessus de moi. Je tentais de sourire pour ne pas qu’il ait l’impression de commettre un viol, je lui caressais l’épaule du bout des doigts pour lui cacher ma profonde aversion et mon envie de vomir.
Il frotte son sexe contre mon ventre, une goutte de sueur tombe sur ma joue. Il caresse cette joue, d’abord avec la main puis avec son sexe, il a maintenant les genoux à hauteur de mes épaules. Il voudrait entrer dans ma bouche, mais par réflexe je serre les dents, de toute façon je ne suis plus vraiment là, je suis partie loin en abandonnant mon corps.
Un jour enfin, après deux ans et demi de relation, je l’ai quitté. Il était extrêmement jaloux. Il me faisait régulièrement subir des crises au téléphone parce que j’étais sortie avec tels ou tels copains, parce qu’il avait vu une photo sur internet où je dansais avec untel, etc. Ces appels se terminaient régulièrement par des cris et je lui annonçais que je le quittais. Alors il m’ordonnait de lui donner l’adresse où j’étais s’il ne le savait pas déjà et il rappliquait illico, où que je sois, pour se jeter à mes genoux et me supplier de ne pas le quitter, pour me dire qu’il m’aimait plus que tout, etc. Je cédais toujours. Un jour, j’ai retrouvé dans ses affaires une feuille A4, sur laquelle était collées des photos imprimées et découpées de copains à moi. A côté de chaque photo était écrit de sa main toutes les infos qu’il avait pu trouver sur lui ; nom, prénom, adresse, etc, et la raison pour laquelle il était jaloux de lui. Et… l’arme avec laquelle il projetait de le tuer. Bain d’acide, kalachnikov, pendaison, etc.
Enfin, alors que le jour de son départ pour un stage de 3 mois au Sénégal approchait et qu’un camarade de fac qui me plaisait beaucoup me faisait des avances, j’ai réussi à le quitter. C’était pendant une de ses nombreuses crises violentes de jalousie, il a dit : « je n’en peux plus, quitte moi je t’en supplie », alors j’ai dit d’accord. Il m’a supplié de ne pas le faire. Il pleurait très fort comme un enfant. J’étais assise sur le canapé, il s’est agenouillé devant moi en geignant. Alors il a baissé son pantalon, et s’est mis à se masturber, il bandait déjà, une main sur ma cuisse, toujours en pleurant. Puis il m’a demandé tout larmoyant de lui faire l’amour. J’ai dit « non, tu es fou ».
Ça m’a convaincu de sa folie, et du fait qu’il fallait que je me tire à toutes jambes. Ça faisait un an et demi qu’il me… violait ? En discutant, quelques mois plus tard, il m’a avoué avoir eu le mot « viol » plusieurs fois dans la tête. Il savait.
Il ne s’est pas excusé. Il ne m’a pas posé de questions sur moi, mon vécu. Il m’a dit qu’il avait consulté une sexologue pour soigner son appétit sexuel débordant. Qu’il était guéri. C’est tout.
On a gardé contact les premiers temps. J’ai même recouché avec lui une fois, jetée par celui pour qui je l’avais quitté. Masochisme. Puis on s’est éloigné. Un an après notre séparation, alors que j’avais toujours gardé énormément d’affection, de pitié même pour lui, à cause du « mal que je lui avais fait en le quittant », lui qui avait tant souffert de notre séparation, lui qui m’aimait tant, un soir, la haine est venue. Je lui ai écrit un texto, c’était le veille de son anniversaire, le traitant de violeur, crachant toute ma colère. Il n’a pas répondu. Un mois plus tard je quittais la France pour m’installer en Belgique.
Depuis ce temps et pendant plusieurs années, j’ai fait des crises de spasmophilie, des crises d’angoisse pendant l’amour. J’ai continué à ne pas réussir à dire non. J’ai galéré. Je n’ai plus pu prendre de plaisir, ne pas être terrorisée, qu’avec des hommes angoissés par certaines de leurs particularités hors de la norme sexuelle masculine dominante : éjaculation quasi instantanée, pénis extrêmement petit, érection difficile, absence d’orgasme. Ces hommes, pas plus à l’aise que moi, m’ont fait du bien.
Trois ans plus tard, je l’ai recontacté. Je lui ai demandé s’il voudrait bien qu’on boive un coup, un jour que je repasserais sur Lyon voir ma famille. Il m’a dit oui, puis m’a demandé pourquoi. Je lui ai expliqué que je faisais des crises d’angoisse pendant l’amour depuis notre relation, et que j’avais besoin d’en parler avec lui. Il n’a plus répondu.
Six ans plus tard, il m’a recontacté. On a bu un coup. Deux heures, il devait ensuite rejoindre une fille qu’il venait de quitter et avec qui il devait discuter. On a parlé de tout et de rien, de nos vies actuelles, j’ai parlé de mon petit ami, il s’est crispé un peu. Il m’a parlé du fait que sa vie sentimentale était compliquée à cause du fait qu’il partait toujours en mission de plusieurs mois à l’étranger, que lorsqu’il était à Lyon c’était toujours compliqué de trouver des filles qui voulaient bien coucher sans s’engager, qu’il devait utiliser des sites internet, qu’il avait quand même besoin au moins toutes les deux semaines. On n’a pas évoqué notre histoire, exceptée une bribe : il a dit au détour d’une phrase « enfin bon, nous c’était malsain ». J’ai dit « c’est sûr ». Et puis c’est tout. J’en suis ressortie heureuse, encore pleine d’affection pour lui, avec le sentiment d’avoir tourné la page.
Huit ans plus tard, lors d’un séjour a Lyon, j’ai regardé avec mes parents un documentaire sur la sexualité des adolescents, l’influence du porno, avec beaucoup de témoignages de jeunes filles abusées sexuellement. Ça m’a remuée. Je suis repassée devant cette fameuse terrasse où il m’a prise une nuit où je n’avais pas dit non. Où je me suis sentie violée. La colère est remontée. Quand je suis rentrée chez mes parents, dans ma chambre, j’ai vu les photos de lui, de lui et moi, accrochées sur un tableau, depuis tant d’années. Tout à coup, ça m’a semblé absurde. Je me suis demandée pourquoi est ce que je gardais les photos de celui qui m’avait tant fait de mal, je n’ai pas trouvé ça normal. Il n’y avait pas de photos d’autres amoureux, seulement de lui. J’ai réalisé que je n’avais toujours pas accepté la gravité de ce qu’il m’avait fait subir. Que je me voilais toujours un peu la face, refusant de me voir en victime. J’ai déchiré les photos, calmement. J’ai mis sa tête à la poubelle, la mienne à part. J’ai senti que j’aurais dû faire ça depuis longtemps, par respect pour moi.
Quand je suis revenue chez moi, que je me suis couchée au près de mon petit ami, j’ai eu beaucoup de désir pour lui. J’ai voulu faire l’amour, j’étais très excitée. Soudain, tout est retombé, je me suis fermée. Au lieu de m’arrêter, comme je fais d’habitude maintenant depuis que je sais dire non, je me suis couchée sur le dos, je l’ai fait venir sur moi et je me suis donnée. Sans désir, sans envie, simplement par bonté ou devoir conjugal. Ou pour lui faire plaisir. J’ai revécu avec stupéfaction des sensations d’avant, j’ai haleté très fort malgré moi, de la même façon que du temps où je me forçais, ce qui a fait croire à mon partenaire (et à moi-même ?) que je prenais du plaisir. J’ai alors compris qu’il n’était dû qu’à une forme d’émotion forte causée par la violence de la pénétration lorsqu’on se force à la recevoir. Je ne faisais qu’attendre, dans une sorte de transe, qu’il jouisse. Quand il s’est retiré, j’étais consternée par ce « revival ». Il m’a demandé ce qui n’allait pas. Je lui ai tout expliqué.
C’est ce cheminement qui m’a donné envie de réécrire ce texte que j’ai tapé version par version au cours des années, et qui était écrit à la troisième personne comme une mise à distance. Aujourd’hui j’écris en « je », sans romancer. On est en effet passé du roman au témoignage.
C’est à partir de là que j’ai senti en moi l’aboutissement d’un changement de paradigme, d’une vison du monde, de la place des femmes et de mon respect pour elles. Accepter que la société est patriarcale, encore et toujours. Je ne voulais pas y croire, trop douloureux. Le déni dans lequel j’étais par rapport à l’existence d’une domination masculine dans la société était étroitement lié au déni de mon vécu personnel de femme soumise.
C’est depuis peu que je redécouvre le plaisir, l’absence de peur, la confiance en l’autre. Dix ans après. J’apprends à m’exprimer, je découvre que le fait de mettre des mots sur les choses pendant le sexe ne « coupe » pas le désir comme on me l’avait mis dans la tête. Je réalise que le silence était le mettre mot de mes ébats. J’ai découvert vers 22 ans avec stupéfaction que l’orgasme féminin était scientifiquement décrit, de la même façon que l’orgasme masculin, et que ce n’était pas une légende ou un phénomène extraordinaire incompris par la science. Personne ne m’en avait jamais parlé. Cela sous entend que je ne pensais pas que les femmes étaient faîtes pour ressentir au moins autant de plaisir que les hommes, et donc que quelque part j’imaginais inconsciemment qu’elles étaient surtout faîtes pour prendre du plaisir à donner du plaisir. Et lui, quelle avait été son éducation sexuelle ?
La Rose attend ton témoignage, Petit Prince. Crois-tu toujours que je portais fièrement les épines tandis que tu étais le malheureux poète innocent ? Quelle ironie cette histoire qu’on s’était inventée, n’est ce pas ?
J.
… quoique, il y a des ressemblances.
Le Petit Prince met sa belle rose sous cloche de verre.