Mon problème ici concerne le modèle polynormatif et l’insistance des médias dominants sur lui – il ne concerne pas une structure de relation particulière, ni les personnes qui la pratiquent.
Le polyamour est largement relayé dans les médias ces temps-ci. C’est assez remarquable, vraiment, et cela représente un tournant majeur qui s’est opéré sur les 5 à 10 dernières années.
Le problème – et c’est peu surprenant – c’est que la forme de poly qui est la plus médiatisée est celle qui est la plus proche et la plus similaire possible à la monogamie, parce qu’elle est la moins menaçante pour l’ordre social dominant.
de Andrea Zanin, 2013
publié par Tout mais pas l’indifférence, septembre 2018
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Le polyamour est largement relayé dans les médias ces temps-ci. C’est assez remarquable, vraiment, et cela représente un tournant majeur qui s’est opéré sur les 5 à 10 dernières années.
Le problème – et c’est peu surprenant – c’est que la forme de poly qui est la plus médiatisée est celle qui est la plus proche et la plus similaire possible à la monogamie, parce qu’elle est la moins menaçante pour l’ordre social dominant.
Il y a 10 ans je pense que ma position était beaucoup plus de l’ordre de « vis-et-laisse-vivre ». Tu sais, des façons différentes pour des gens différents. Je suis poly à ma façon et toi à la tienne, et on a tou-te-s des relations non-monogames donc on peut considérer qu’on a quelque chose en commun qui est différent de la norme. On partage un certain type d’oppression, parce que le monde n’apprécie pas ou ne valorise pas la non-monogamie. On partage un intérêt pour les relations ; pour les challenges logistiques, la gestion du temps et la jalousie. Donc on est ensemble là-dedans, non ?
Aujourd’hui, cependant, j’en suis arrivée à la conclusion que j’ai des sentiments bien plus forts à propos de ça. Je veux dire des sentiments de sérieuse répulsion, pas juste du type « ton vice n’est pas mon vice, mais ton vice est ok ». Des sentiments de véritable insulte, pas de camaraderie. Fondamentalement je pense qu’on fait des choses radicalement différentes. Le mouvement poly – si on peut appeler ça comme ça, ce qui est sujet à débat pour un bon nombre de raisons – commence à se fracturer précisément sur les mêmes lignes que le mouvement gay/lesbien/queer. (Vous pourriez dire qu’il a toujours été fracturé selon cette ligne de faille, mais pour moi cela n’a pas toujours été aussi clair qu’aujourd’hui.)
Pour commencer par la base, je dirais que le polyamour de certain-e-s présente bien pour l’opinion majoritaire, et que le poly de certain-e-s autres ne présente pas bien. Le courant dominant aime se voir comme avant-gardiste, sexy et cool. Le courant dominant aime co-opter tout concept tendance et frais, afin de se convaincre lui-même qu’il fait quelque chose de nouveau et d’excitant, parce que ça fait vendre des magazines, des entrées d’évènements, ou autres. Le courant dominant aime faire ça tout en érigeant autant de barrières que possible contre des changements réels et fondamentaux qui pourraient faire trembler la structure de Comment Marche le Monde. Dans ce cas, cette structure est la primauté du couple.
Les médias présentent une gamme claire de normes polys, et de manière écrasante relaient des présentations de personnes qui parlent et pratiquent le polyamour dans ces normes. C’est ce que j’appelle la polynormativité. (Je ne pense pas tout à fait créer un terme ici, mais pas loin, car dans la plupart des environ 700 résultats d’occurrence du terme que Google me donne, il s’agit de jargon juridique que je ne comprends pas. J’aurais préféré que ce soit déjà quelque chose, franchement. Bon, hum, cadeau pour vous).
Voici les quatre normes qui forment la polynormativité selon moi.
1 – Le polyamour commence avec un couple
La première fois que j’ai vu le terme « couple poly » j’ai éclaté de rire. Il me semblait que c’était un oxymore évident – jumbo shrimp (lit. ‘crevette-éléphant’), friendly fire (lit. ‘tir amical’ = faire feu sur ses alliés), ‘estimation ferme’, ‘couple poly’. Mais ça a vraiment pris racine, et personne n’a l’air de tiquer.
Le polyamour est présenté comme quelque chose qu’un couple fait, contrairement à une philosophie de relation et à une approche associées à des individus qui pourraient se retrouver en couple mais – puisqu’illes sont poly – pourraient tout autant être partenaires de six personnes, ou faire partie d’une triade, ou être célibataire, ou autre.
Avec cette norme, l’hypothèse entière de relations multiples est réduite à ce qui ressemble essentiellement à une activité qu’un couple de personnes engagées mutuellement décide de faire ensemble, comme prendre un cours de danse de salon ou apprendre à skier. Tout ça pour une remise en question radicale des relations humaines. Tout ça pour celles et ceux qui n’arrivent pas en étant en couple, préparé-e-s.
2 – Le polyamour c’est hiérarchique
En suivant la norme selon laquelle le poly commence (et se finit ?) à deux, on a bien sûr besoin d’imposer une hiérarchie sur tout ce qui se passe d’autre. Sinon comment est-ce qu’on saurait lequel est le véritable couple dans tout ça ? Si vous ajoutez d’autres personnes cela pourrait devenir flou et déroutant ! Donc l’idée de relations primaires et secondaires émerge. C’est ce que j’appelle le poly hiérarchique.
« Primaire » implique une importance de top-niveau. « Secondaire » implique moins d’importance. Dans ce modèle c’est complètement normal de placer les sentiments, les désirs et les opinions d’une personne devant ceux d’une autre. Je le redis autrement. C’est complètement normal et même attendu que les sentiments, désirs et émotions d’une personne comptent plus que ceux d’une autre. C’est normal qu’une personne voyage en classe affaires et l’autre en classe économique bien entendu, en se basant sur leurs seuls statuts respectifs. Et on trouve ça progressiste ?
Bien sur ça se joue différemment selon les situations. Ce modèle va plus probablement fonctionner relativement bien si les personnes impliquées sont super gentilles, ont de la considération, sont solides émotionnellement et généreuses, et plus probablement fonctionner moins bien si les personnes impliquées sont méchantes, sans considération, inconsistantes, fragiles ou égoïstes. En quelque sorte il s’agit de comment tu as plus de chances de garder ton boulot pendant une récession selon si ton chef est une personne très chouette ou s’ille est prioritairement intéressé-e par les performances économiques. Dans tous les cas cette structure assure que les partenaires secondaires sont dépendant-e-s du bon vouloir des primaires, et qu’illes n’ont pas grand chose à dire. C’est justement cela qui donne lieu à des choses comme la controversée (?!) proposition de « déclaration des droits des partenaires secondaires » de Franklin Veaux [1], ou un post récent devenu quasi viral en soulignant comment bien traiter les partenaires non-primaires [2] (notons que ce ne sont pas des articles des médias dominants). Ces posts me rendent malade. Pas parce qu’il y a quelque chose qui ne va pas avec ce qui y est dit, mais parce que – selon les secondaires, qui sont justement les personnes qu’on devrait écouter ici – cela signifie que beaucoup de personnes polynormatives ont en fait besoin qu’on leur explique comment ne pas traiter d’autres personnes comme du rebut de poubelle. Ces posts sont des cours intensifs de décence humaine de base. Qu’ils soient nécessaires, même de façon distanciée, sans parler de leur extrême popularité, c’est vraiment hyper inquiétant.
Je vais parler un peu de terminologie. J’ai un sérieux problème avec les définitions de « primaire » qui ressemblent à un truc du genre « la relation primaire c’est quand vous vivez ensemble, avez des enfants, partagez les finances, etc. ». Non. Faux. Pas d’accord. C’est une définition profondément imparfaite. N’importe quel élément qui rentre dans cette définition de « primaire » peut très facilement exister dans une relation qui n’est pas « primaire », ou d’ailleurs qui n’est ni romantique, ni sexuelle. Les gens peuvent vivre avec des colocataires, partager les enjeux matériels avec un-e partenaire de vie platonique, avoir des enfants avec un ex à qui illes ne parlent jamais. Et de l’autre côté une personne peut considérer une autre personne comme un-e partenaire « primaire » sans vivre ensemble, partager les finances ou se repoduire. « Primaire » et « secondaire » parlent de modèle de relation hiérarchique, pas de circonstances de vie spécifiques.
« Primaire » et « secondaire » ne sont pas spécialement des termes ambigus. En gardant ça à l’esprit, j’ajoute un plaidoyer adressé au personnes poly : si vous n’avez pas l’intention de créer ou d’impliquer une hiérarchie, n’utilisez pas les termes « primaire » et « secondaire » comme des abréviations. Pas mal d’entre vous êtes des geeks donc la précision doit être importante pour vous, non ? Pensez à ça comme s’il s’agissait de ne pas mélanger Star Trek et Star Wars ou Mac et PC. Au lieu de « primaire », parlez de votre partenaire domestique, de votre partenaire de long-terme, de la personne avec qui vous passez le plus de temps, votre femme ou mari – selon ce qui s’applique. Au lieu de « secondaire » parlez de votre relation occasionnelle, votre amant-e ordinaire, votre petit-e ami-e, votre agent-e secret-e d’amour, votre histoire annuelle à distance, votre nouvelle copine/nouveau copain avec qui il vient de se passer un truc, ou n’importe quels autres termes qui expliquent ce qui vous arrive. Aucun de ces termes n’a trait à la hiérarchie. Ce sont juste des descripteurs de relations. (Je remets à plus tard mon coup de gueule sur la façon dont certaines personnes pensent que « mari » et « femme » sont plus vrais que « partenaire », « copine », « copain ».) À propos du revers de la médaille, ne laissez pas tomber les mots « primaire » et « secondaire » juste pour avoir l’air moins hiérarchique pendant que vous prenez des décisions sur les relations de manière bien enracinée dans la hiérarchie. Pas de fausse pub dans les deux directions, ok ?
Bon laissez-moi clarifier ma position ici, juste au cas où. Il n’y a rien de mal avec les relations d’engagement conjugal sérieuses, sur du long terme. Il n’y a rien de mal non plus avec des rendez-vous occasionnels, et le fait de se sentir bien en sortant avec un-e chéri-e bien moins que ce que ce-tte chéri-e sort avec son époux-se, disons. Parfois une relation n’est pas destinée à être sur le long terme, ou domestique, ou locale, ou à impliquer de rencontrer les parents respectifs. Ce n’est pas un mauvais truc. C’est un truc. Ce n’est pas la même chose que d’être « secondaire ». Je ne joue pas avec la sémantique, je parle des cadres dans lesquels on voit nos relations, dans lesquels on prend des décisions, dans lesquels on aboutit à des règles – on reparle de ça dans le prochain point – et dans lesquels on traite de vrais et vivants êtres humains.
3 – Le polyamour nécessite beaucoup de règles
Si on commence avec un couple, et qu’on veut fermement garder ce couple à sa place « primaire » avec autres comme « secondaires », bien sûr on a besoin d’élaborer pas mal de règles pour s’assurer que cela fonctionne selon ce modèle, c’est juste ? Bien (et il existe certainement un plan [3]).
C’est une approche du polyamour fondée sur le contrôle qui, tout en n’étant pas exclusive des modèles-fondés-sur-un-couple-primaire-secondaire, est inévitable dans ces cas-là. Les règles sont implicitement établies par les « primaires », le « couple poly » – du moins c’est comme ça que la plupart des discussions sur les règles sont présentées. Certains livres et sites web vous diront (« vous » étant probablement quelqu’un-e qui fait partie d’une relation monogame qui tend vers s’ouvrir à être un couple-poly) que c’est vraiment super important non seulement d’avoir des règles, mais aussi de les établir avant de sortir et de faire du polyamour. Si jamais vous vouliez vraiment une confirmation du statut clairement « secondaire » des partenaires « secondaires », la voici : les règles sont établies avant que le besoin n’apparaisse, et les « secondaires » n’ont rien à y redire. Là encore… on pense que c’est progressiste ?
Le truc est là. Les règles ont une relation opposée à la confiance. Elles ont pour but de limiter ou cadrer quelqu’un-e dans les préférences de quelqu’un-e d’autre. Elles ont pour but la restriction. Je vais te limiter, et tu vas me limiter, et on sera en sécurité tou-te-s les deux.
Quand deux personnes sont proches dans leurs valeurs, ont une forte confiance mutuelle, illes n’ont pas besoin de règle pour savoir comment chacun-e va se comporter. Je veux dire, est-ce que vous entendez souvent « j’accepte de ne tuer personne si tu acceptes de ne tuer personne, ok ? Ce sera notre règle. Ne pas tuer. » Bien sur que non. À part pour les psychopathes, ce genre de choses n’a pas besoin d’être dit ; on peut penser que tout le monde partage la valeur de « tuer des gens c’est mal et je ne le ferai pas ».
Mais ce n’est pas du tout rare pour les « couples poly » de créer des ensembles de règles pour cadrer fermement chacun-e à se comporter uniquement de manière rassurante, pas dangereuse, et surtout non menaçante pour le lien « primaire ». On n’embrasse personne avant de se l’être demandé. Pas de rendez-vous où on dort dehors. Si tu la vois plus de trois fois, je dois la rencontrer. Si tu veux la voir plus de trois fois, ne me le dis pas, c’est trop dur à supporter pour moi. On ne tombe pas amoureux-se (celle-là me fait mourir de rire dans son absurdité pure). L’amour c’est ok mais seulement si tu l’aimes moins que moi. Sexe anal seulement avec moi. Sexe anal seulement avec les autres. Tu dois voir exactement le même nombre d’autres personnes que moi. Pas question que vous alliez ensemble dans notre resto favori. On ne dort pas avec d’autres dans notre lit commun. Tu dois m’envoyer un message avant 23h. Je dois t’appeler quand je pars de chez elle. Et la gloire suprême, le saint graal des règles poly : on a un pouvoir de veto ! (J’ai un autre post là-dessus, qui s’appelle « Contre le veto » [4], dans lequel j’expose exactement pourquoi les droits de veto sont une idée pourrie.) L’essentiel : les « secondaires » sont secondaires, et tellement secondaires qu’une personne avec qui illes ne sont même pas partenaires peut décider qu’illes se fassent larguer.
Vous savez, quand il y a vraiment du danger, je suis pour les règles. Des règles comme par exemple tu dois faire au moins un mètre vingt en taille pour monter à bord de ce manège… tu ne peux pas faire de neurochirurgie sans diplôme médical… pas de sexe anal non protégé avec des inconnu-e-s (remarquez que celle règle là n’est pas à propos d’un couple, c’est à propos de protéger ta propre santé qui est précieuse)… ne pas jouer avec le feu à cet événement car les plafonds sont bas et pleins de décorations en papier. Mais les règles extensives autour du polyamour sont au fond l’équivalent de dire que l’amour (ou le sexe, ou sortir ensemble) c’est dangereux et que cela doit être strictement régulé pour ne faire mal à personne. Pour moi c’est une manière très étrange d’approcher la possibilité d’une grande joie et d’une connexion humaine – comme si c’était une bombe qui pourrait exploser si son protocole de prise en main n’était pas respecté. Plus tu établis de règles, plus tu montres que tu ne crois pas la personne qui en est l’objet capable d’agir de manière bienveillante avec vos valeurs de fond partagées. Ou, à l’inverse, tu montres que tu as besoin de faire l’objet d’une supervision stricte, ou sinon tu écraseras et emmerderas le bien-être de ton/ta partenaire. Si on doit réglementer quelque chose, c’est parce qu’on ne s’attend pas à ce que cette chose puisse se passer sans réglementation. C’est un triste état pour ce qui est clairement supposé être des relations d’amour, potentiellement sur du long terme.
Est-ce que les règles ne sont jamais une bonne chose ? Je n’irai pas si loin. Elles peuvent être un mal nécessaire, une mesure temporaire pour passer des moments difficiles pendant lesquels on peut supposer qu’on travaille à une meilleure solution. Ce qu’on fait. Comme là, maintenant. Non ? D’un point de vue complètement différent les règles peuvent être agréables, ou chargées érotiquement (etc.), comme les relations D/s ou M/s [5] – bien que ces règles-là aussi quand elles sont imposées par la peur ou acceptées comme un moyen d’éviter une sanction, peuvent être une forme de contrainte non éthique servant à consolider le manque de confiance en soi d’une personne aux dépens d’une autre. Mais à part ces circonstances très spécifiques et limitées, les règles sont bonnes quand on les utilise avec parcimonie, et même dans ce cas, seulement si d’autres solutions ne sont pas disponibles.
A quelles « autres solutions » fais-je référence ? La confiance. Pure et simple. La confiance est le terreau sur lequel le polyamour devrait grandir, de manière similaire à d’autres sortes d’amour. Dites ce que vous voulez dire, toujours, et entièrement. Suivez vos engagements. Ne faites pas de promesses que vous ne pouvez pas tenir. Partez du principe d’intentions positives. Posez des questions. Ecoutez, écoutez, écoutez. Posez d’autres questions et écoutez encore. Calmez les peurs. Travaillez sur vos propres manques de confiance, à l’endroit où ils se manifestent – à l’intérieur de vous-même. Soyez gentil-le. Soyez cohérent-e. Soyez généreux-se. Demandez explicitement ce que vous voulez. Dites clairement ce dont vous avez besoin. Excusez-vous quand vous merdez et essayez de régler le problème [6]. Trouvez des stratégies pour compenser vos défauts, tels la négligence ou l’anxiété ou le manque de vocabulaire émotionnel ou quoi que ce soit qui vous empêche de faire tout ça habilement. Oui, ça va demander beaucoup de travail. Faites-le quand même. Mieux même, faites-le parce que les efforts eux-mêmes vous rendent heureux-se et vous font ressentir que vous bougez dans le monde d’une manière profondément juste. Si vous avez foiré sur un de ces aspects, ou n’importe quel autre, et que ça a blessé votre/vos partenaire-s, soignez ça. Faites le travail ensemble. Suivez une thérapie pour couples. Pratiquez ensemble de nouveaux outils de communication. Investissez votre temps, votre énergie et vos efforts pour rendre le sol sain et nourrissant plutôt que de construire des barrières autour du jardin.
A partir de là vous pouvez solliciter tous types de comportement sans avoir besoin qu’ils soient des règles. Vous savez, du genre « j’ai très envie de rencontrer ton/ta nouvelle-eau amoureux-se ! On peut boire un thé la semaine prochaine ? » ou « est-ce que tu m’enverras un message quand tu es sur le chemin du retour pour que je sache pour quelle heure je prépare le repas ? » ou « je me sentirais aimé-e et spécial-e si on avait un bon vin qu’on boirait seulement entre nous » ou même « je suis terrifié-e à l’idée de te perdre et j’ai besoin de réconfort ». Encore une fois, ce n’est pas seulement de la sémantique. Ces autres manières de relationner ne sont pas « juste comme des règles ». Elles se fondent sur la générosité, la joie et l’attention, pas le contrôle, les limitations et la peur. Ici, l’intention compte.
4 – Le polyamour est hétérosexuel. Et beau, jeune et blanc. Et aussi, nouveau, excitant et sexy !
Cet élément de la polynormativité n’est pas en lien direct avec les trois autres, mais comme on parle de représentation médiatique il mérite bien d’être mentionné. Le polyamour est résolument présenté dans les médias comme un truc que font les hétéros, sauf parfois les femmes bisexuelles qui ont un partenaire primaire et une partenaire secondaire. C’est extrêmement rare que des configurations poly lesbiennes, gay ou queer soient inclues dans les représentations dominantes du polyamour, même si les cercles LGBQ (ndt : Lesbiens Gays Bis Queers) sont incontestablement des pépinières d’activité polyamoureuse, et que les personnes LGBQ ont une longue et illustre histoire de non-monogamie, malgré le récent engouement autour du mariage. Il n’y a qu’à aller à n’importe quel événement LGBQ – même les plus traditionnels – et vous ne pouvez vous frayer un chemin sans croiser au moins une demi douzaine de personnes qui vivent une sorte de non-monogamie, des rencontres régulières « style monogame » en saunas, à des familles complètement poly. C’est tellement commun que ça en a l’air (gasp !) normal.
Mais si les médias dominants donnaient trop de colonnes au polyamour LGBQ, alors les gens pourraient penser que le poly c’est un truc homo, et ça ne vendrait pas autant de magazines. Donc l’article polynormatif typique hypermédiatisé donne quelque chose comme, « rencontrez René et Sarah. Illes forment un couple poly. Ille sont partenaires primaires et rencontrent ensemble d’autres femmes. » Ou « ils rencontrent des femmes chacun-e de leur côté » ou « illes font des partouzes dans leur sous-sol » ou parfois, bien que plus rarement « René a des rendez-vous avec d’autres femmes et Sarah avec d’autres hommes ». Les représentations dominantes transgressent rarement la règle « d’un pénis par équipe », ce qui est tout aussi repoussant que ça en a l’air. On n’a jamais René qui sort avec Pierre, ou Sarah qui sort avec Karim et Julien et Ronan quand René reste à la maison regarder un film. Parce que, whaouh, ça va juste trop loin. Je veux dire que, bon, s’amuser avec des femmes c’est une chose, mais amener un deuxième homme dans l’histoire, est-ce que les deux gars n’ont pas besoin… d’en découdre ? De se prouver qui est le plus viril ? À cause de la psychologie évolutionniste ! À cause de la Nature ! Parce que quand il y a un pénis (et un seul pénis) en jeu, c’est du vrai sexe et ça signifie une vraie relation et on a besoin d’une vraie relation pour avoir une structure primaire-secondaire, et on doit avoir une structure primaire-secondaire pour être un couple poly ! (Hmm. Donc peut-être que cette partie a à voir avec mes trois autres points après tout.) Et tout ça crée une situation où le polyamour est présenté comme une nouvelle tendance branchée, que les hétéros avant-gardistes essayent, et diantre illes en sont plus fier-e-s que jamais. Pas besoin de dire que cette mise en scène varie entre l’ignorance complète des queers, à l’offensive catégorique à leur encontre.
Ajoutez à ça le désir des médias dominants de montrer des images de polyamoureux-ses qui sont mignon-ne-s, jeunes et blanc-he-s et on obtient une représentation vraiment étroite. Les magazines veulent montrer des personnes qui sont autant conventionnellement attractives que possible, entre 20 et 40 ans, et rarement autre chose que caucasien-ne-s (à moins que ce soient des personnes de couleur qui sont vraiment, voyez, exotiques et sexys, comme des hommes noirs au regard de braise ou de splendides femmes asiatiques). C’est honteux à pleurer parce que les histoires des polys qui ont plus de la soixantaine seraient géniales à entendre. Et non, tou-te-s les polys ne sont pas blanc-he-s, mais si des blanc-he-s c’est la seule image que les gens voient du polyamour, c’est clair que cela crée une barrière décourageant les personnes de couleur de se comprendre comme potentiellement polys.
Les médias sont aussi principalement intéressés par l’élément sexy. L’impact profond que l’attrait pour l’image d’une personne a sur la volonté des médias de la montrer ne peut pas être sous-estimée. Et avec ça vient la pression de sexualiser au maximum. Je n’oublierai jamais, par exemple, ce qui s’est passé quand j’ai été présenté-e dans le magazine Châtelaine avec un-e partenaire il y a 10 ans environ. Le photographe a insisté pour que j’enlève mon haut pour la photo, en m’assurant que ce serait fait avec goût. Quand je lui ai demandé pourquoi il voulait prendre cette approche du dévoilement, il a dit « parce que vous n’êtes pas moche. C’est très dur de photographier des gens moches ». Hum, merci ? J’ai gardé mon chemisier mais apparemment jeune, blanche et jolie étaient au menu du jour, parce qu’illes ont fait en sorte que ma photo prenne bien plus de place que celles des autres personnes présentées dans cet article. Vous savez, les « moches ». Dégueulasse.
Ne vous méprenez pas. Le sexe et l’attirance sont des forces importantes dans les relations polys. Ce n’est pas une mauvaise chose, et je ne ressens pas le besoin de vous sortir tout le truc sur « ce n’est pas à propos de sexe » [7]. Ça concerne le sexe, au moins pour la majeure partie d’entre nous. Mais ce n’est pas seulement à propos du sexe. Si c’était juste autour du sexe ce ne serait pas du polyamour – ce serait coucher à droite à gauche, ce qui est génial mais habituellement pas avec engagement, ni romantique. Si cela ne concernait jamais le sexe, ce ne serait pas non plus du polyamour – on serait juste une bande de potes, ce qui est aussi génial, mais habituellement pas romantique bien qu’il puisse y avoir de l’engagement. Mais les médias sont très mauvais pour saisir cet équilibre. Le courant dominant est vraiment intéressé par les partouzes, qui couche avec qui, à quelle fréquence, et whaow des plans à trois ! Et est-ce j’ai évoqué le côté jeune, mignon et blanc ?
Ces articles cherchent à présenter un fantasme de personnes conven-tionnellement avenantes qui font du sexe délicieusement transgressif (mais pas trop non plus), tout en restant aussi fermement que possible dans les limites conventionnelles de la relation fondée sur un couple et construite de la manière la plus humaine possible pour la circonstance. Ce fantasme fait vendre. Il ne nous rend pas service.
– J’ajoute cette section (une semaine après la publication originale du texte) parce que quelques personnes ont soulevé la question de pourquoi j’utilise l’acronyme LGBQ sans inclure le T pour transgenre/transexuel-le. J’essaie de garder une approche concise sur le sujet de la polynormativité comme représentation médiatique d’un certain modèle de relations, et les problèmes avec la représentation et avec le modèle – le côté « concis » est déjà un peu étiré vu la longueur de ce post – je ne suis pas entrée dans la large liste de manières dont la polynormativité soutient d’autres types d’omissions et de normativités. En faisant ce choix éditorial, j’ai moi-même perpétué plusieurs de ces omissions/invisibilisations. Donc une clarification est bien sûr garantie.
Donc voilà : je me sens de moins en moins à l’aise avec l’acronyme LGBTQ, parce que l’inclusion « T » pour « transgenre (une identité de genre) à la fin d’une liste de lettres qui représentent des orientations sexuelles (et pas des genres) porte une inexactitude implicite. Les personnes gay, lesbiennes, bisexuelles et queer peuvent être trans ou non-trans ; et les personnes transgenres peuvent être gay, lesbiennes, bisexuelles, queer ou hétéro (et au-delà) en orientation. Toutes les personnes trans ne sentent pas une affiliation avec les communautés et politiques gays, lesbiennes, bisexuelles ou queers ; et toutes les personnes avec une histoire de transition ne ressentent pas le besoin de s’identifier ouvertement comme transgenres, même si elles s’identifient comme gay, lesbienne, bisexuel-le ou queer. Je n’ai pas de souci en utilisant l’acronyme LGBTQ pour décrire par exemple un magazine, un groupe, un comité ou autre pour autant que l’entité serve vraiment des personnes représentées par cet acronyme entier et n’essaye pas juste d’avoir l’air super-progressiste. Dans ce post je parle d’orientation, pas d’identité de genre, donc ça avait l’air (et ça a toujours l’air) inexact de jeter le T au milieu de cette liste spécifique.
Mais ça ne veut pas dire que les personnes trans n’ont pas de place dans cette discussion. C’est même plutôt l’inverse. Le modèle polynormatif perpétue aussi la cisnormativité, de deux manières. (La cisnormativité c’est l’idée que toutes les personnes à qui on assigne un sexe donné à la naissance continuent de s’identifier à ce sexe et expriment en conséquence une identité de genre « appropriée », et que tout le reste est bizarre ou mauvais.) La première est l’élément de la représentation médiatique – on voit rarement des personnes trans dans les représentations dominantes du polyamour. Donc c’est de la cisnormativité par omission. L’autre, plus complexe, devient évidente quand on creuse un peu plus la règle du « un pénis par équipe » et comment on comprend l’orientation sexuelle. « Un pénis par équipe » repose sur l’idée que « pénis » peut être utilisé comme un abréviation pour « homme » parce que les hommes ont des pénis et seuls les hommes ont des pénis. Cela, bien sûr, efface les expériences de beaucoup de trans pour qui genre et organes génitaux ne collent pas, parce que ce sont des hommes nés sans pénis ou parce que ce sont des femmes nées avec un pénis (indépendamment de à quoi les organes génitaux de ces personnes ressemblent à ce moment de leur vie, ou des mots qu’illes utilisent pour les nommer).
Plus largement, « un pénis par équipe » repose aussi sur l’idée que les hommes et les femmes sont naturellement différent-e-s dans une sorte d’approche essentialiste, fondamentale, basée sur la biologie ; de façon que le fait d’avoir une relation (secondaire dans ce cas) avec un homme va être substantiellement différent pour un homme parce que c’est un homme, que pour une femme parce que c’est une femme. Cette idée finit par pré-déterminer comment les gens pensent qu’une relation va se passer – combien le sexe sera « vrai », quelle intensité les émotions vont certainement prendre, et donc quelle « sécurité » il y a à laisser son/sa partenaire primaire s’engager dans cette relation. Cela ne prend pas en compte la présence potentielle de personnes trans dans l’équation. Mais même si cette possibilité n’existe pas dans une situation donnée, c’est un point de vue dans lequel les hommes et femmes sont naturellement comme-ci ou comme-ça à cause de leur anatomie. Ce modèle conceptuel maintient les personnes trans – même si vous n’en connaissez pas (à votre connaissance !) et n’avez pas l’occasion d’en rencontrer – dans les cases qu’on leur a assignées à la naissance. Cela implique que le genre qu’illes ont investi est quelque part moins vrai ou moins valide. Cela maintient aussi le vaste spectre des personnes qui ne sont pas trans – soit cisgenres, ou comme moi, de genre fluide ou quelque part ailleurs dans la gamme non-binaire – enchainées aux cases qu’on leur a assignées à la naissance, insistant sur le fait que ces cases déterminent qui nous sommes, qui nous pouvons être, comment nous pouvons baiser, et à quoi ça ressemble d’avoir une relation romantique avec nous. En fin de compte, la cisnormativité blesse tout le monde. Les personnes à qui cela fait manifestement le plus de mal sont aussi les personnes les plus visiblement différentes, ce qui veut souvent dire les femmes trans. Mais la cisnormativité n’est pas « juste » une question trans. Cela concerne le fait de créer de la place pour que chacun-e d’entre nous existe comme ille le veut.
Comme chaque modèle normatif, la polynormativité marche de concert avec un éventail d’autres modèles normatifs pour créer un cadre complet, bien que rarement explicite, dans la tête des gens sur Comment le Monde Marche, qui compte et qui ne compte pas, ce qui est vrai et ce qui ne vaut pas la peine car inintéressant. Ainsi en plus des questions de race, d’âge et d’orientation, comme je l’ai dit avant, et de genre, comme je viens de l’étoffer ici, la polynormativité marche de concert avec d’autres idées problématiques. Des idées sur ce qu’est la famille ou ce que cela devrait être, et sur comment les enfants peuvent ou devraient entrer dans l’équation ; les questions de maladie/santé, de capacité/incapacité, y compris le statut vis-à-vis des IST (Infections Sexuellement Transmissibles), les questions de classes et de position économique, et tout un panel d’autres mais comme l’a souligné quelqu’un-e, c’est un post de blog, ce n’est pas un livre. Pas encore…
Fin de la nouvelle section ! –
* * *
En résumé j’ai trois problèmes-clés avec la polynormativité.
Premier problème : le modèle polynormatif est plutôt atroce.
Possiblement ça peut bien fonctionner, peut-être, pour certaines personnes – je n’irais pas jusqu’à dire que cela ne fonctionne jamais. Mais ce modèle porte sa hotte de problèmes pour toutes les personnes impliquées, et plus particulièrement pour celles qui ont les positions avec le moins de pouvoir dans la structure de la relation, mais aussi de manière subtile et insidieuse pour celles et ceux qui ont les places les plus privilégiées dans la structure. Hé, vous savez quoi, c’est un peu comme tous les autres systèmes de privilège/oppression, si jamais ! Je ne vais pas aller jusqu’à dire aux personnes polynormatives, « hé vous vous trompez » mais, bon, honnêtement ? Pas loin. Plutôt quelque chose comme « vous passez à côté de la question ».
À cause de cette position je m’attends à possiblement recevoir des commentaires furieux et défensifs de la part de beaucoup de personnes polynormatives qui se sentent juste bien avec leur modèle. Pour elleux, je dirai la chose suivante. Si vous êtes membre d’un binôme « primaire » dans un modèle polynormatif, et que vos/votre partenaire-s « secondaire-s » peut/peuvent fournir une défense aussi vive que la votre de votre modèle, ou même encore – pas une défense de vous en tant qu’individu, ni de votre relation, mais du modèle polynormatif lui-même – sans rien laisser de côté ni mentir ne serait-ce qu’un petit peu pour ne pas risquer de générer du conflit ou risquer de vous perdre en tant que partenaire, alors vous faites partie de la minorité de polynormatif-ve-s pour qui le modèle marche réellement, super bien pour tou-te-s les concerné-e-s. (Et je dis bien tou-te-s. Si cela marche bien seulement pour le couple primaire, le modèle ne fonctionne pas.) Si vous êtes de celleux-là, aucun besoin de devenir défensif-ve – je ne vous critique pas vraiment de toute façon. Si cependant ce n’est pas votre cas, s’il vous plaît retenez votre réaction défensive et réfléchissez plutôt sérieusement aux critiques que je soulève.
Quand je verrai une pléthore de témoignages dans les médias dominants de partenaires secondaires heureuses-x et comblé-e-s sur combien le modèle primaire-secondaire est fantastique… quand ces secondaires commenceront à écrire le dernier best-seller des livres polys, donnant des conseils, ayant le premier rôle dans les programmes de télé-réalité, et faire tout ça en tant que secondaires (pas des personnes qui sont en effet le/la partenaire secondaire de quelqu’un-e mais pour qui tout va bien, pour qui c’est équilibré parce qu’illes sont aussi les partenaires primaires de quelqu’un-e d’autre)… quand illes montreront leurs visages en photos, utiliseront leurs vrais noms complets dans des articles, et en général ne se sentiront pas du tout questionné-e-s par leur position dans ces structures polys aux côtés des partenaires primaires qui seront présenté-e-s en tant que tel-le-s… quand ce ne sera pas une exception occasionnelle, mais la représentation générale et dominante que je pourrai voir de et par des partenaires secondaires… alors peut-être que je modifierai ma position. En attendant, je ne retiens pas mon souffle.
Deuxième problème : les médias présentent ces normes polys, comme… des normes. Comme La manière de faire du poly.
Au mieux, il y a une mention rapide du fait que des personnes pratiquent d’autres formes de poly, là-bas, et qu’on ne les comprend pas vraiment, ou peut-être que ces autres formes sont bien trop complexes pour être résumées dans un article de 1000 mots. (Triades ! Carrés ! Familles ! Les W, les X, les alphabets grecs, constellations et écosystèmes ! Tout ça fait peur. Et puis les maths c’est dur.)
Mais la plupart du temps, les « autres » (ohh, regardez cette construction !) formes de poly ne sont pas mentionnées du tout. Il y a une manière de faire, et la voilà ! N’est-elle pas formidable ? Tellement courageuse ! Et peu commune ! Vraiment assez à la pointe, ne trouvez-vous pas ?… Bon, que ce soit intentionnellement ou autrement, cette approche finit par aplatir l’image du polyamour, le décrivant dans ses termes les plus simples, les plus simplifiés et les plus simplificateurs. Ce n’est pas une coïncidence que cette version du poly soit celle qui ressemble le plus à la relation « un-homme une-femme un-mariage une-famille-nucléaire » à laquelle nous sommes tou-te-s supposé-e-s aspirer. Tout ce qu’on a fait c’est de relâcher un peu les règles autour du sexe et contrairement à l’éthique échangiste (mais pas tant que ça), on « permet » aussi à l’aspect émotionnel des choses d’exister, dans le sens où on a des relations qui ne sont pas « juste » des plans cul. Mais pas des relations qui « menacent » vraiment le couple « primaire ». Pas avec des personnes qui, Dieu nous en garde, ont des exigences sur l’un-e d’entre nous, ou les deux, ou qui nous mettent à l’épreuve, nous posent des problèmes, ou veulent avoir leur mot à dire sur comment les choses se passent. Sinon, eh bien, prends la porte, parce que les primaires passent devant ! On est bien tou-te-s d’accord, hein ? Bien sûr. C’est l’essence des relations primaires. La terminologie est assez claire. Une personne passe en premier, pas les autres. C’est ce qui permet au courant dominant de s’approprier le concept du poly finalement : parce que compris ainsi, ce n’est vraiment pas fondamentalement différent de la monogamie.
Troisième problème : cette situation trompe les personnes qui découvrent le polyamour.
À cause de cet angle écrasant dans les représentations médiatiques, beaucoup de gens qui sont nouvelles/nouveaux dans le poly fonctionnent avec un grand désavantage.
Je ne suis pas du genre à idéaliser le passé, mais fichtre, c’était différent il y a dix ou quinze ans. De mon temps (ah !), si vous vouliez en apprendre sur le polyamour, il y avait une source : La Salope éthique de Dossie Easton et Catherine A. Liszt (c’est comme ça que Janet Hardy était connue à l’époque). C’était plutôt bien. Pas parfait. Lourdement tourné vers les pseudo-hippies-alternos de la baie de San Francisco branchés par les sex-parties, et écrit avec un langage tellement basique qu’il ne dépasserait personne, mais globalement assez fiable et qui fait joliment réfléchir. Polyamour : le nouvel amour sans limites de Deborah Anapol n’a jamais été aussi populaire ou sexy, mais est devenu un classique discret, et fournissait un autre angle de vue. Et, voilà, c’était tout. Au-delà, il y avait quelques forums de discussion en ligne, et potentiellement, si vous viviez dans une grande ville, des groupes polys locaux. Cela voulait dire que si vous vouliez apprendre comment « faire » du polyamour, vous deviez élaborer vous-même votre façon de faire (ce qui peut être une bonne chose, mais un gros défi) ; parler aux gens poly vivant autour de vous, ce qui était relativement petit mais probablement plutôt chaleureux et encourageant ; ou vous déplacer pour une conférence assez loin qui réunissait beaucoup de gens. Et ces gens vivaient le poly de plein de manières différentes, primaire-secondaire étant simplement l’une d’entre elles (même à ce moment-là, c’était quand même une façon de faire fichtrement commune, donc je ne dis pas que la polynormativité est un problème récent – c’est juste pire que jamais aujourd’hui).
Cela dit, maintenant, vous pouvez chercher « polyamour » sur Google et obtenir un gros paquet d’articles polynormatifs branchés quasi-identiques, et vous pouvez rencontrer des personnes de votre région/ville qui ont lu les mêmes articles que vous venez de lire, et vous pouvez tou-te-s ensemble faire du poly polynormatif exactement comme les médias vous l’expliquent. Et si c’est tout ce qui vous a jamais intéressé de faire, alors vous vous limitez. Vous échangez la norme monogame pour la polynormativité, ce qui ne constitue pas un gros changement, et vous vous arrêtez là parce que vous pourriez bien penser que c’est tout ce qui est disponible (et vous avez déjà amassé un bon tas de points de coolitude). Vous n’êtes pas encouragé-e à vraiment penser à tout ça sans aucun modèle imposé, ce qui signifie que vous ne trouverez jamais ce qui peut vraiment vous convenir le mieux. Ainsi, l’élément le plus fondamental du polyamour – c’est-à-dire rejeter la norme monogame, et repenser radicalement comment vous comprenez, pratiquez, et faites sens de l’amour, du sexe, des relations de l’engagement, de la communication, etc. – est perdu pour un modèle prêt à découper, aussi simple que un, deux, trois. Le plus profond et important bénéfice du polyamour est de plus en plus obscurci par les représentations médiatiques et, en conséquence, s’éloigne de plus en plus de qui commence à peine.
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J’ai besoin de répéter, une dernière fois, que mon problème ici concerne le modèle polynormatif et l’insistance des médias dominants sur lui – il ne concerne pas une structure de relation particulière, ni les personnes qui la pratiquent. Oui, le modèle polynormatif et la structure de relation primaire-secondaire se confondent souvent, mais je ne peux pas savoir en vous regardant quels processus, valeurs ou circonstances vous ont amené-e à votre structure actuelle, ou pourquoi vous choisissez votre terminologie, donc je ne peux et ne critiquerai ni ne jugerai des individus ou des groupes polys sur la seule base qu’illes ont une structure primaire-secondaire. Si ce texte provoque chez vous un sentiment défensif, je vous invite à vous asseoir et à réfléchir au pourquoi de cette réaction.
Ici, la distinction clé réside entre la philosophie et une situation courante ou pratique. C’est similaire au fait qu’une orientation sexuelle et une pratique sexuelle courante ne sont pas une seule et même chose. Vous pouvez, par exemple être homo et actuellement célibataire ; ou bisexuel-le, mais en ce moment n’avoir des relations qu’avec des femmes ; ou fondamentalement hétéro et être impliqué-e avec une personne de même sexe (bien que je connais des gens qui débattraient sur ce dernier exemple). En ce qui concerne le polyamour, parfois, indépendamment de votre philosophie, vous pouvez être dans une relation importante de type vie commune et avoir aussi une ou plusieurs relations moins sérieuses ou moins intenses, ou moins engageantes. C’est l’état d’esprit polynormatif qui me pose problème, et sa prédominance – pas la forme qu’une constellation de relations poly peuvent prendre en pratique.
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Si vous souhaitez explorer hors du modèle polynormatif, j’ai quelques lectures à vous conseiller. Tout d’abord, lisez Redefining Our Relationships de Wendy-O Matik. Puis, jetez un oeil au livre de Deborah Anapol, Polyamory in the 21st Century : Love and Intimacy with Multiple Partners. Passez un peu de temps à lire Franklin Veaux. Lisez mes « 10 Rules for Happy Non-Monogamy ». Si vous pratiquez les relations D/s ou M/s, lisez Power Circuits : Polyamory in a Power Dynamic de Raven Kaldera. Cherchez plus d’informations, des idées, des essais qui remettent en question ce que vous pensez, développez vos connaissances et votre coeur. C’est juste là. À votre portée.
P.S.
Le problème avec la polynormativité a été publié la première fois le 24 janvier 2013, en anglais, sur le site d’Andrea Zanin. Il a été traduit et publié en français par le site Polyamour.info en mai 2013. Cette traduction a été reprise et légèrement retouchée par les éditions Tout mais pas l’indifférence.
[1] « Successful secondary relationships. Secondary partners have rights too… », sur le site More Than Two, avril 2013.
[2] « Non-primary partners tell : How to treat us well », sur le site Solopoly, 27 novembre 2012.
[3] « Death, love and the illusion of control », sur le site d’Andrea Zanin, Sex Geek, 22 mai 2009.
[4] « Against the veto (or, fear by any other name… », sur le site d’Andrea Zanin, Sex Geek, 21 juin 2010.
[5] D/s pour « Domination et soumission », M/s pour « Master/slave », maître/esclave.
[6] « Five steps for fixing a fuck-up », sur le site d’Andrea Zanin, Sex Geek, 2 mars 2009.
[7] « “It’s not about sex” and other lies », sur le site d’Andrea Zanin, Sex Geek, 23 août 2010.