Jour après jour…

jour_apres_jourViolences entre proches : Apporter du soutien et changer les choses collectivement

C’est à tout le monde de donner du soin, de l’attention du temps et de l’énergie pour prendre en charge les violences interpersonnelles perpétrées au sein de nos communautés. Voici quelques pistes pour une prise en charge volontaire par le biais de rôles définis et clairement partagés afin d’éviter que tout le monde (ou personne) s’en mêle ! Le but est de nous outiller collectivement pour que plus de monde s’empare de ces questions et que chacun·e prennent ses responsabilités. Devenez / redevenez / restez plus fortes, plus autonomes et plus responsables dans cette communauté qui vous / nous est essentielle !

par LTDP

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Sommaire

Une partie de cette brochure a pris la forme de récits de fiction. Nous avons fait ce choix pour sortir de l’opposition théorie/pratique. Nous voulions exposer différents enjeux par des descriptions de situations concrètes mais sans mettre à nu nos propres histoires. Ces situations inventées explorent nos doutes et nos difficultés bien réelles mais aussi nos espoirs, nos tentatives de créer des imaginaires qui iraient chercher plus loin… D’éventuelles ressemblances avec des situations vécues proviennent du fait que ces situations sont très courantes.

Vous trouverez aussi dans cette brochure quelques outils, pistes de réflexion et questionnements que nous avions envie de partager sous une forme plus classique. On espère que cela pourra être utile à des personnes ou collectifs qui sont en recherche, que ça vous donnera de la force et du courage pour vous lancer dans ces aventures pour lesquelles il n’y a, bien évidemment, jamais de recettes toutes faites.

    • Le coup du sleeping (texte de fiction)
    • Situation d’urgence (texte de fiction)
    • Slam (texte de fiction)
    • La famille (texte de fiction)
    • Kira et Virginie (texte de fiction)
    • L’échange mail (texte de fiction)
    • Des pistes pour agir (FICHE OUTIL)
    • Compte Rendu de synthèse (fiction / outil)
    • Bibliographie
    • Lexique

Introduction

D’où vient cette brochure ?

Nous, LTDP, sommes une sorte de groupe de recherche et de réflexion autogéré, une petite bande de meufs/gouines/trans’ féministes à dominante blanche, de classe moyenne et valide, de plusieurs coins de Rhône-Alpes, née suite à la demande d’une gouine auteure de violence en travail sur elle-même. Nous nous sommes réuni·e·s entre 2011 et 2015 pour réfléchir aux pratiques collectives de prise en charge de situations de violence et d’agression internes à nos cercles, dans ce que nous définissons comme notre communauté : assemblage d’identités politiques, de liens affectifs et de proximités militantes. L’idée était de prendre du recul, de s’extraire de contextes d’urgence pour malaxer nos idées, questionner nos pratiques et nos expériences de médiation, de gestion, de soutien, d’accompagnement… que ça soit dans des situations de violence ou de conflit, d’agression ou de violence à caractère sexuel. Nous ressentions le besoin de complexifier nos analyses et nos pratiques qui jusqu’alors étaient plutôt centrées sur des situations hétérosexuelles, afin de mieux appréhender les violences entre meufs/gouines/trans’ (puisque c’est la communauté dans laquelle nous nous reconnaissons), et notamment travailler avec les personnes auteures.

Nous nous sommes donc réuni·e·s pendant quatre ans, soit une quinzaine de gros week-end au total. Aborder ces sujets en collectif nous a permis d’élaborer des pistes pour nos questionnements, de dépasser nos doutes, d’apprendre de nos erreurs, d’affiner nos outils et, bien souvent, de repartir avec un tas de nouvelles questions…

Cette brochure n’a pas l’ambition de faire une synthèse impossible de tout notre travail. En effet, nous avons questionné les rapports de pouvoir, les systèmes de domination, travaillé la pratique du consentement comme outil de prévention, la notion de justice communautaire… en nous demandant ce que chacun·e d’entre nous peut produire comme rapports de pouvoir au sein d’un groupe ou d’une relation. Nous écrivons aujourd’hui pour partager une partie de nos grands questionnements et de nos petites trouvailles.

Vous avez dit violences ?

Les relations impliquant des violences sont largement répandues autour de nous. Dans cette brochure nous traiterons uniquement des violences entre personnes, qui ne sont pas les violences du système au sens institutionnel du terme (violences de l’État, des lois, des prisons, des flics, des écoles, du corps médical, du contrôle social, etc.). Précisons que nous luttons contre ces différents registres de violence mais sans adopter pour autant un point de vue non-violent, parce que nous trouvons légitimes certaines violences, qu’elles soient politiques, de survie ou les deux à la fois. Nous pensons que la colère, la rupture et l’action directe peuvent être des outils de résolution, d’affirmation et d’émancipation.

Nous proposons de travailler ici sur des violences produites et reçues entre proches, dans nos espaces familiers, dans ces cercles où nous serions tou·te·s censé·e·s nous apprécier, nous soutenir, avoir des idéaux et des intérêts communs. Ces violences, autant que les violences institutionnelles, détruisent nos personnalités et mettent en danger nos vies au quotidien. Mais elles sont autrement plus difficiles à nommer et à combattre. Notre regard féministe nous incite à nous méfier des mises à distance et des diabolisations : ce n’est pas l’affaire des « autres » ou des « pires ». Nous ne saurions pas dire si les violences interpersonnelles existent moins dans nos milieux militants qu’ailleurs. Dans nos cercles féministes, nous pensons qu’elles y sont davantage nommées, dénoncées et travaillées, ce qui nous donne de l’espoir. Mais nous continuons à nous méfier de tou·te·s celleux qui se croient si bien « déconstruit·e·s », qu’il serait aberrant de les imaginer capables de violence.

Au fil de nos échanges, nous avons navigué dans la multiplicité des formes et des configurations relationnelles dans lesquelles ces violences s’expriment : dans les relations de couple, amicales ou familiales, qu’elles soient régulières, diffuses ou ponctuelles, qu’elles soient physiques, verbales, psychologiques, à caractère sexuel ou non, dans l’imbrication des discriminations que nous pouvons subir et/ou reproduire. Nous avons régulièrement buté sur le constat que toutes les violences n’étaient pas à mettre dans le même sac et qu’on ne pouvait pas élaborer de solution clé-en-main ni de manuel de bonne conduite.

Nous avons cependant quelques point d’accord pour aborder ce que nous appelons violences interpersonnelles.

En premier lieu, dans tous les groupes, les rapports de pouvoir existent et ils sont le terreau de violences multiples. La grande majorité de ces violences a pour nous une origine structurelle, intimement liée aux rapports de domination qui font système, tels que le sexisme, l’hétérosexisme, le racisme, le mépris de classe, les normes physiques et psychologiques, etc. Il nous semble important de le rappeler car les violences commises par les plus dominant·e·s sont les plus invisibilisées, banalisées, voire légitimées ; et en miroir, les personnes qui les subissent sont le plus souvent réduites au silence et à la culpabilisation.

Une autre donnée pour nous essentielle, est le fait que la gravité des violences ne se classe pas seulement en fonction de faits et de critères politiques et éthiques. Au-delà des actes et des valeurs, il y a les violences ressenties. Pour réfléchir à cela, nous trouvons intéressante la notion de violence potentielle. Deux personnes pourront se faire insulter dans la rue et ne pas du tout ressentir la même violence : pour l’une, l’insulte sera facilement évacuée, alors que pour l’autre, elle renverra à un traumatisme passé, à un harcèlement récurrent, à la peur du viol, du crime raciste ou homophobe par exemple. De même, un abus sexuel pourra être « digéré » par certain·e·s et constituer un traumatisme puissant pour d’autres. Toutes ces peurs, ces mises en dangers, sont des ressentis réels et consistants. Ils s’ajoutent à la violence des faits, pour fabriquer la violence potentielle. Nous considérons que c’est avec tout ça qu’il faut travailler et soigner nos relations.

Une affaire collective…

Nous partageons ce travail pour inviter chacun·e à se poser des questions pour ellui-même. Nous rêvons que chacun·e autour se sente concerné·e par les situations de violence et d’agression, s’implique au sein de nos groupes et communautés, non pas en agissant seul·e, mais en recherchant des pratiques collectives et autogérées. Et lorsque nous parlons de communauté, nous pensons à des personnes qui se connaissent ou se reconnaissent, parce qu’iels partagent des liens, des responsabilités, des histoires et une culture commune.

Aussi, nous considérons que personne n’est à l’abri d’être auteur·e de certaines violences, ni d’en être la cible, ce qui rend d’autant plus probable le fait d’en être régulièrement témoin… Nous souhaitons donc contribuer à l’émergence d’une prise en charge plus large, plus collective de ces enjeux. Pour que nous y fassions attention ensemble, que nous assumions ce que nous construisons ensemble, que nous changions ce monde ensemble.

Dans la pratique nous priorisons le soutien aux personnes cibles de violences en tâchant de partir de leurs besoins : depuis l’urgence à panser leurs blessures, jusqu’à les aider à regagner en place, en confiance et en considération sur la durée. Sur tous ces aspects, nous faisons le constat d’un manque perpétuel : pas assez de monde, pas assez d’écoute, pas assez de ressources pour que chacun·e trouve les moyens de se reconstruire et d’être plus fort·e pour stopper les violences. Cet axe restant notre priorité, il nous a semblé important de travailler en parallèle avec les personnes auteur·e·s de violences et d’agressions. En réfléchissant de manière globale, en travaillant avec elleux directement à la source de leurs comportements oppressants, nous espérons avancer sur la réduction du nombre d’agressions.

… en sortant des systèmes institutionnels police / justice / punitifs

Nous ne faisons aucunement confiance aux réponses institutionnelles qui sont faites à ce sujet. La police, la justice d’État et son système pénitentiaire reproduisent les mêmes rapports de domination que nous subissons déjà au quotidien et, lorsque ces institutions prennent au sérieux ces problématiques, elles apportent avant tout des solutions punitives et d’exclusion.

Nous nous sommes intéressé·e·s à des expériences de prise en charge communautaire, de justice réparatrice, de justice transformative et nous y avons trouvé des inspirations bien plus proches de nos préoccupations collectives et de nos aspirations à transformer nos relations de manière radicale. Le fait de penser les choses à une échelle communautaire (nos réseaux féministes meufs/gouines/trans’ pour ce qui nous concerne) nous a motivé·e·s à imaginer des formes d’intervention qui évitent autant que possible les phénomènes d’exclusion ou de punition, à penser les responsabilités collectives, à soupeser chaque situation avec prudence. Parce que nous avons tou·te·s besoin de cette communauté pour exister. Ça nous a donné envie de multiplier les outils, afin d’adapter nos tentatives au cas par cas, en prenant soin de ce qui peut être fait avec les personnes cibles de violences, avec les personnes auteures de violences, avec l’entourage proche et toute la communauté.

Le coup du sleeping

Allongée, bien au chaud dans mon duvet, je pratique mes exercices de respiration tout en détendant un par un mes muscles, ils ont été fortement sollicités aujourd’hui. Comme tous les soirs, je profite de ce moment avant de m’endormir pour me remémorer ce qui s’est passé dans la journée. J’attendais ce week-end de danse thérapie depuis si longtemps et je ne suis pas déçue par cette première journée ! Les ateliers étaient géniaux, l’animation excellente, les ami·e·s au rendez-vous ! Il y avait quelques nouvelles têtes et aussi plein de personnes que j’ai déjà croisé·e·s mais que je connais peu. Ce week-end va être l’occasion de plus se rencontrer.

Le dortoir collectif respire doucement. En entrant, j’ai d’abord cru qu’il était vide, que les autres sacs de couchage étaient gonflés de vide. Maintenant que je suis habituée à l’obscurité et au silence, j’entends quelques souffles tranquilles, aucun ronflement, juste la douceur d’un début de nuit à plusieurs. Le mot sleeping, peint en lettres pailletées au-dessus de la porte, est à peine visible, au-dessus de la fenêtre, volets et rideaux tirés, gris sur gris. Soudain, un rai de lumière fuse tandis que deux personnes entrent. Elles pouffent de manière étouffée quand elles se retrouvent brusquement dans le noir après avoir refermé la porte. Je reconnais les voix de Hugues et Delphine. Iels se sentent sûrement à l’abri des regards dans l’obscurité ambiante puisqu’iels en profitent pour se faire un câlin.

J’aime bien Hugues. C’est un des rares types que je connaisse qui ne prétende pas ne jamais oppresser les femmes. Au contraire, il prend les devants et reconnaît facilement sa position dominante de mec blanc. Je trouve qu’il fait des efforts pour prendre moins de place dans les discussions. Je connais moins bien Delphine.

Leur câlin se prolonge, se prolonge… et je comprends qu’il ne s’agit pas d’un simple câlin de réconfort mais de prémisses plus sensuelles. C’est marrant, tout à l’heure, Hugues faisait des avances assez explicites à Ramon, mais on dirait que finalement c’est avec Delphine qu’il va passer la nuit.

Dans la pénombre je vois qu’iels finissent par se décoller et, tout en se tenant la main, se dirigent vers le fond du sleeping en enjambant les corps des autres dormeur·euse·s. Iels s’installent. Bruit de duvet qu’on déplie, de vêtements qu’on enlève, de corps qui se glissent à l’intérieur. Allez, le calme va bientôt revenir, je vais pouvoir me plonger dans le sommeil.

Mais non. Ça continue : murmures, froissements, bruits de duvet qui se frottent, bruits de langue et même, au bout d’un moment, de discrets gémissements ! Impossible d’échapper aux sons ambiants. Je suis malgré moi complètement à l’écoute de leurs ébats. Impossible de dormir ! Leur langueur s’introduit malgré moi dans mes pensées ! Iels font chier ! Je voulais dormir pour être en forme demain, pas me taper une nuit d’insomnie et encore moins être la témoin involontaire de leurs ébats !

Un sleeping c’est fait pour dormir, pas pour baiser… vu que de toutes manières tu ne vas pas réveiller les gens pour leur demander si ça les dérange. Un petit câlin pour se dire bonne nuit, ça ne me gêne pas, mais je n’ai pas du tout envie d’assister à leurs trucs sexuels !

Je suis assez persuadée qu’il n’y a pas que moi qui les entend mais personne ne réagit. Pourtant, je suis sûre de ne pas être la seule à être agacée par leur comportement. Malika qui dort à deux matelas de moi (ou qui fait semblant) déteste ce genre de démonstration d’affection sexuelle en public. Et je sais qu’elle n’aime pas que les rapports de séduction prennent plein de place dans les dynamiques collectives.

Ça fait déjà un bout de temps que je me retourne dans mon duvet pour leur faire sentir que je ne dors pas, sans que ça change quoi que ce soit. Je pourrais attendre qu’iels aient terminé, mais mon agacement monte et je sens qu’après ça, je n’arriverai plus à m’endormir. Il va falloir que je m’y colle sinon, c’est sûr, je ne fermerai pas l’œil de la nuit. Je n’ai vraiment pas envie de ça ! Je vais encore passer pour la chieuse de service.

Je ne sais pas quoi faire, ni comment intervenir. Comment leur expliquer que ça me saoule qu’iels soient en train de baiser pour ainsi dire sous mes yeux ?

Bon allez je me lance.

« Ahem…

J’essaye d’attirer leur attention. Iels ne se calment même pas, iels sont à fond dans leur truc.

— Euh, Hugues, Delphine, j’essaie de dormir, vous pourriez pas faire moins de bruit ? »

Iels s’arrêtent, pouffent, se calment.

— Ah, ok, chuchote Delphine. Désolée.

— Merci. »

Enfin la paix. Il ne reste plus qu’à calmer la colère en moi.

Quelques minutes plus tard, ça recommence, un peu moins fort c’est vrai mais avec en prime les chuchotement gênés de Delphine qui essaye de calmer le jeu. Et mes oreilles sont immanquablement attirées par leur froufrou langoureux. La colère remonte d’un bloc ! Je réfléchis à ce que je leur ai demandé, « qu’iels fassent moins de bruit »… en fait ce n’était pas ça que je voulais, c’était juste une façon de leur demander poliment d’arrêter… J’éclate :

« J’en ai vraiment marre ! Vous pourriez pas faire ça ailleurs ? C’est pas comme si on manquait d’espace !

— C’est bon ! On ne fait rien de mal, grogne Hugues.

— Pfff, c’est pas la question !

— Non, mais c’est vrai quoi ! réplique-il. Pourquoi tu m’insultes ? On peut bien se faire des câlins si on en a envie. Je ne fais de mal à personne ! Tu me prends pour un de ces connards ou quoi ? C’est quoi le problème ?

— Le problème, c’est que je veux dormir, c’est un sleeping ici pas un baisodrome !

— Tout le monde dort. On fait pas tant de bruit, c’est toi qui va réveiller les autres à râler comme ça ! râle-t-il.

Ça commence à vriller dans ma tête tellement il m’énerve, je ne trouve plus mes mots. Heureusement, Malika intervient :

— Nan mais qu’est-ce que tu crois ? Ça fait un bout de temps qu’on ne dort plus ! À chaque fois c’est la même chose ! J’en ai marre d’être baignée dans des ambiances de sexe ! T’as qu’à poser une tente ou un camion, mais viens pas nous faire chier dans des espaces collectifs !

— J’suis désolée Malika, s’excuse platement Delphine à la place d’Hugues, avant de glisser « Arrête » à son amant du soir, qui continue probablement à la caresser comme si de rien n’était.

— Tu veux qu’on aille ailleurs ? demande-t-il à voix basse à Delphine

— Non, c’est bon. J’ai plus envie, répond-elle. Allez on dort. Désolée, tout le monde. »

Le silence se fait. Tendu. Quelques minutes plus tard, un claquement sonore, suivi d’un brusque froissement de tissu et de l’exclamation outrée de Delphine :

« Ah, mais t’es relou ! T’as pas compris ce que je viens de te dire ? Je n’ai pas du tout envie d’en faire une affaire publique, mais tu vas arrêter ça tout de suite. On arrête j’ai dit ! J’ai plus du tout envie de baiser avec toi, c’est clair ? Va dormir ailleurs ! »

Hugues, bruyamment, prend ses affaires. Tant qu’à faire : autant finir de réveiller les personnes qui auraient eu la chance d’être épargnées par l’embrouille. Même dans le noir, je suis sûre qu’il me mitraille du regard en sortant.

Heureusement qu’il n’est pas comme un de ces connards ! Et dire que j’avais un a priori positif sur lui ! Ce qui m’énerve encore plus, c’est que dans l’histoire, je suis sûre que c’est Delphine la plus gênée. Elle doit culpabiliser à mort alors qu’il n’y a pas de raison. Elle vient quand même de se coltiner un mec insistant ! Je ne sais pas trop quoi faire pour lui faire sentir que je ne lui en veux pas.

Au moment où je me dis que demain je prendrai le temps d’en parler tranquillement avec elle, Malika chuchote :

« Ça va Delphine ?

— Ouais, ça va, répond celle-ci. Si ça vous dit, j’ai bien envie d’en rediscuter demain, mais bon là, on va peut-être dormir maintenant !

— Oui pas de souci, je réponds. Moi aussi ça me dit bien d’en reparler. Eh ! Dormez bien !

— Carrément ! Bonne nuit à vous, renchérit Malika. »

Situation d’urgence

Je suis chez des ami·e·s à la campagne, la nuit tombe et je me retrouve plantée là, entre un chemin et un talus, au seul endroit de ce chouette lieu collectif où je peux capter le réseau avec mon téléphone portable et en prime avoir un peu d’intimité. Les coups de téléphone s’enchaînent : situation d’urgence…

Il y a quelques mois, j’ai été sollicitée pour prendre un rôle auprès d’un pote accusé de harcèlement sur un autre pote. Plusieurs ami·e·s s’en étaient déjà mêlé·e·s, c’était compliqué, qui parlait à qui, qui soutenait qui, qui compliquait quoi… alors cette idée de « rôles assignés » avait un peu soulagé tout le monde, dans l’idée de démêler la situation plutôt que de tout embrouiller. J’avais accepté d’être l’interlocutrice principale du pote accusé, en ce qui concernait les demandes qui lui étaient faites à ce sujet, pour l’aider à comprendre ce qui lui était reproché, les conséquences, les responsabilités qu’il devait prendre. Et aussi pour l’aider à anticiper, pour éviter que les deux ne se croisent sans le vouloir dans certains endroits.

Ça faisait quelques temps qu’il n’y avait pas eu de nouveaux événements sur cette histoire et l’été s’annonçait plus calme que tous ces derniers mois, je me sentais un peu en vacances vis-à-vis de cette affaire. Mais pas de bol, hier soir des camarades lui ont demandé de partir d’une soirée spectacle dont il avait rejoint l’organisation. Et là au bout du fil, c’est une pote qui a participé à cette exclusion qui m’appelle pour me dire que depuis, elle reçoit des mails d’insultes.

Alors c’est logique, elle se tourne vers moi pour m’informer des dernières nouvelles et savoir quoi faire maintenant, vu que je fais partie des personnes qui « gèrent » officiellement ce truc. Je l’écoute, elle me raconte comment ça s’est passé, et au fur et à mesure que son récit se développe, je commence à bouillonner de ne pas avoir été sur place. Je lui demande pourquoi on n’a pas cherché à me joindre la veille, c’est à ce moment-là qu’il aurait fallu m’appeler, voire il y a une semaine, quand cette soirée a été programmée et que ça devait déjà sentir l’embrouille ! Tout le monde est au courant puisque c’est l’affaire du moment avec tout son lot de ragots… d’ailleurs depuis des mois c’est mon sujet de conversation principal : on me branche tout le temps sur le sujet, je recadre les rumeurs qui viennent dramatiser le truc, je réponds aux inquiétudes, je raconte comment ça avance, donne des idées de postures collectives à tenir… alors bon, je suis tout de même pas la seule à pouvoir anticiper les situations ! Mais là, dans l’urgence et en mon absence, les personnes qui étaient sur place ont pris l’initiative d’une exclusion sans me concerter… Et ce serait à moi d’en assumer les conséquences ? C’est sûr que cette action improvisée va dégrader la situation et foutre en l’air toute l’énergie que j’ai passée à rétablir la confiance.

Ça coupe, plus de batterie… Et merde, ça fait chier ! Mon chargeur est au fond de mon sac à l’autre bout du hameau… J’y suis allée un peu fort et je ne peux vraiment pas laisser cette conversation en l’état, avec tout ce que je viens de balancer, sans évoquer au moins quelques pistes pour la suite… la nuit est vraiment tombée cette fois, ça caille !… Dire que j’étais venue ici dans l’idée de m’aérer un peu la tête… Parce qu’ici, justement, ça ne brasse pas toutes ces questions : les gens ne parlent pas de leurs embrouilles relationnelles, iels les gardent bien planquées dans leurs chambre à coucher ! Maintenant j’aurais besoin d’en parler, de trouver une copine pour débriefer, trouver des idées de choses à faire, à leur proposer par téléphone… Mais justement, ici, personne n’est familier de ces pratiques, iels trouveraient ça intrusif, iels me diraient que je me mêle de ce qui ne me regarde pas… Bref, je vais aller rebrancher ce truc pour pouvoir rappeler. Les autres doivent déjà être dans la préparation du repas… Ah mais j’oubliais Léa ! Elle fait partie de l’équipe cuisine ce soir ! Rien n’est perdu ! Elle, je sais qu’elle comprendra, elle sera sûrement de bon conseil, pour trouver quoi faire alors que tout le monde s’en mêle comme ça, un peu à l’arrache…

Slam

Insatisfactions, insatisfactions, insatisfactions permanentes.

Monde de merde.

Violence, violence…

Pourquoi ça se passe toujours comme ça ?

Tensions. Tensions permanentes.

Pourquoi on ne s’écoute pas ?

« T’as pas une minute pour discuter ? » « Tu voudrais m’aider à lui parler ? » Et voilà qu’elle balance une grosse bouse de violence vécue et survécue, toute cette souffrance, toutes ces violences subies. Il faut les accueillir, les entendre, les comprendre, les ingurgiter, et pour finir rassurer, réconforter, encourager. Il faut faire face, gérer, répondre. Mais répondre de quoi ?

Répondre de moi, de ma stabilité, de ma clairvoyance, de mon impartialité, de mes choix partiaux, de ma confiance, de mon équilibre mental, de mon silence, de mes conseils. Je dois toujours avoir raison. Raison de dire « oui je t’écoute », raison de dire « pas cette fois-ci, c’est trop pour moi ». Je ne fais qu’aider, ce n’est pas moi qui suis au centre de cette histoire, ce n’est pas moi qui souffre. Par contre, je tire aussi de la notoriété de tout ça. Une expertise, une confidence, tellement de confiance.

Et dans tout ça, je vais bien. Pas le temps de m’embrouiller avec moi-même ou avec d’autres ! C’est vrai que soutenir douze personnes, même en tant que soutien de soutien, c’est vraiment beaucoup ! Je sais bien qu’il ne faut pas dépasser mes limites, on me l’a déjà expliqué et j’ai eu bien des occasions de le comprendre ! Mais c’est trop important !

Dis-moi, dis-le, ce qui te pèse, ce qu’on t’a fait, ce dont tu as besoin. Dis ta souffrance, ta colère, ta douleur ! Pas de victime. Fonce ! Dis-nous, dis-leur, on y va. La violence et le sexe. Et les humiliations. Et le reste. Pas de victime, mais de la rage, des idées, de la construction, un chemin. Vas-y, on va trouver des idées, tu vas les trouver. Ça dépend de toi, pas de moi.

Mais je serai là pour t’accompagner là-dedans et avec moi c’est le grand télescope des ami·e·s en chaîne qui s’épaulent. C’est iel qui épaule iel, qui épaule iel, qui épaule iel qui à vécu ça. Et elle et elle et iel qui l’ont vécu aussi. C’est pour ça qu’iels sont là, qu’iels veulent aider. C’est aussi iel et iel et iel qui s’aménagent un coin pour débriefer quand iels craquent de soutenir qui craque. Tou·te·s ces iels. Rien ne change, mais on se constitue. Nos émotions, nos vies et nos douleurs qu’on partage, qu’on travaille, sur lesquelles on travaille. C’est dur, mais c’est mieux que de foutre les sorcières au bûcher ou au cachot, mieux que l’oubli et la disparition.

C’est important et puis c’est beau. Alors, je peux au moins faire ça, agir dans l’ombre de l’ombre.

La famille

Une semaine de vacances chez ma mère. C’est la première fois que je vais la voir dans son nouvel appartement. Je ne vais pas la voir souvent vu qu’on a une relation difficile, mais j’essaye tant bien que mal de créer des liens. J’ai donc décidé d’y aller toute une semaine.

Comme à chaque fois que je vais la voir, une boule d’angoisse me prend à la gorge. Face à elle, à bientôt trente piges, je n’arrive pas à exister comme une personne à part entière, une personne qui a un corps à elle, qui pense, qui a vécu des expériences différentes, une être humaine autonome ayant le droit de s’exprimer. Il est si difficile de me retrouver face à elle, d’avoir envie de lui dire qui je suis, ce que je pense de ce que nous avons vécu et comment ça m’amène aujourd’hui à être féministe… et de ne pas y parvenir.

Je me souviens du jour où elle s’est énervée en me disant que je ne pouvais pas comprendre, que j’étais trop petite, qu’elle, elle savait ce qu’elle avait vécu et qu’aussi elle l’avait bien cherché. Elle l’avait poussé à bout. Il buvait. Il avait été un enfant battu. Ce n’était pas de sa faute à lui. Elle était quand même « responsable », elle aussi.

Ça fait plusieurs mois qu’on ne s’est pas vues. Entre temps j’ai eu plusieurs conversations avec des personnes de mon entourage plus ou moins proche. Ça m’a aidée à faire le tri dans mes idées. Je me sens plus au clair, notamment concernant la question des diverses formes et différents degrés de responsabilités dans cette histoire de violences conjugales dont j’ai été témoin. Aujourd’hui, quand je repense à ce que ma mère a pu dire de cette époque, je ne peux pas m’empêcher d’entendre « coupable » à la place de « responsable ». Certes, elle aurait pu partir, mais pour cela encore aurait-il fallu qu’elle en ait les moyens concrets. Entre autres, son travail à temps partiel ne lui donnait pas l’autonomie financière pour pouvoir le quitter et m’élever seule.

Devant la porte de son immeuble, je cherche l’interphone et sonne. Dzzzz….. Pendant que je monte les trois étages, je me dis que peu importe de quoi on parlera, j’ai envie d’être moi-même dans ce qu’on va partager. Certes, je ferai attention à la manière dont je dirai les choses parce que je n’ai pas non plus envie de passer une semaine à m’engueuler avec elle. Je n’ai pas l’intention de la blesser, mais pour autant, je ne peux pas taire ce que je pense et notamment comment j’ai vécu certains événements.

Elle m’attend avec un grand sourire devant sa porte ouverte. Elle est heureuse de m’accueillir et de me montrer son appartement tout neuf avec des trucs « déco » genre Ikea. Elle est super contente de me retrouver. Il y a une forme de chaleur entre nous parce qu’on s’aime quand même.

Je me laisse porter par un vrai rythme de vacances. On se cuisine de bons petits plats en parlant de la pluie et du beau temps. Je réalise ce que ça change concrètement pour moi de m’être autorisée à être moi-même. Je prends part à chaque conversation sans évacuer mon opinion. Pour autant, je lâche l’affaire sur certaines choses, comme pour cette histoire de télé : elle veut toujours le dernier modèle et en rachète donc une nouvelle tous les trois ans… ça m’éneeeerve ! D’habitude, on se prend toujours la tête là-dessus. Lorsqu’elle me ressort la thématique du « c’est quand que tu me fais des petits-enfants ? », ce qu’elle fait toujours même quand on ne passe que quelques heures ensemble, j’arrive à lui dire que ça me blesse qu’elle insiste autant. Plus tard dans la conversation, elle s’énerve un peu (l’ai-je vexée ?), mais dans les heures qui suivent, j’ai le sentiment que son regard sur moi change. Je ne sais pas si ça durera mais, jusqu’à maintenant, le sujet n’a pas refait surface !

La semaine passe plutôt tranquillement. C’est agréable. La veille de mon départ, ma mère me propose qu’on aille manger le midi chez ma tante qui vit à une heure et demi de voiture de chez elle. L’idée me fait envie. Mon cousin y sera, car il est venu rendre visite à sa mère pour le week-end. Ça doit bien faire six ou sept ans qu’on ne s’est pas vu·e·s. On ne se connaît pas beaucoup lui et moi parce qu’on a dix ans d’écart, mais malgré ça, c’est une des rares personnes de ma famille avec qui j’ai toujours senti une certaine complicité possible.

Bien évidemment, ma tante me fait la totale : questions sur mon « avenir professionnel » et l’état de ma « vie sentimentale ». Je n’échappe pas au prévisible « mais quand même, à un moment tu voudras bien te poser et avoir une famille ? Regarde, même ton cousin a fini par s’y mettre ! ». Ma mère n’en rajoute pas (encore heureux !) mais jette un petit regard d’approbation à sa sœur. Heureusement, mon cousin est un allié précieux. Il rembarre ma tante en lui faisant remarquer que, s’il vit en couple avec une personne qui a un enfant, ça ne signifie en aucun cas qu’il fait le choix de la famille dans le sens où elle l’entend. Comme toujours lorsque ce sujet se pointe, je me sens dans mes petits souliers, mal à l’aise et bafouillante. Mais cette fois, j’assume mes choix, je les défends sans pour autant qu’on s’engueule. Ça ne les fait pas changer d’avis… mais ça change plein de choses pour moi.

C’est sûrement pour ça que lorsque le Passé avec un grand P pointe son nez… je ne ressens aucune peur, je mets les pieds dans le plat : à un moment, ma tante et ma mère se demandent pourquoi elles ne se sont pas plus fréquentées que ça, alors qu’elles habitaient à seulement une heure l’une de l’autre. J’objecte que l’une des conséquences récurrentes des violences conjugales est l’isolement de la personne qui en est victime. J’ajoute que ma mère s’est retrouvée très isolée à cette époque. Elle fréquentait peu de personnes en dehors du travail.

Ça plombe net l’ambiance. Ma mère me jette un regard noir. Puis, d’un ton sec, très en colère, elle me dit qu’elle n’a pas besoin de moi pour faire le bilan de sa vie, et que ce qu’elle a vécu à cette époque ne me regarde pas. Sa réaction me déstabilise : je perds facilement mes moyens quand on me parle en haussant le ton, encore plus si c’est ma mère. Comme à chaque fois que ça arrive, je suis renvoyée à ma position d’enfant. Pourtant aujourd’hui, je suis « adulte », ma mère me reconnaît comme telle et, même, elle m’encourage à m’emparer pleinement de certains des rôles qui s’y rattachent (au hasard : avoir des enfants…). Mais lorsque je ne suis pas d’accord avec elle, on en revient à des rôles parent/enfant. Je le réalise depuis peu et je ne sais toujours pas comment désamorcer ces mécanismes/habitudes/schémas de fonctionnement dans lesquels on s’englue systématiquement… Cette fois encore, je n’y parviens pas.

Mon cousin vient de nouveau à ma rescousse. Sur un ton très posé, il dit à ma mère qu’au contraire, il pense que ce qui s’est passé me concerne puisqu’en tant qu’enfant, j’ai aussi subi les moments où il buvait et se mettait en colère, et que n’ayant aucune autonomie financière ni juridique, j’avais encore moins les moyens de m’y soustraire qu’elle.

Malgré son ton un peu didactique-donneur de leçons, sentir sa présence alliée me fait un bien fou. S’il n’était pas là, je ne saurais plus où me mettre. Je comprends qu’il faut que je fasse attention à comment je dis les choses. Je ne veux pas que ma mère le vive comme un procès contre elle alors que mon intention est au contraire de souligner le manque de soutien des personnes de notre entourage, de sa famille dans son cas, puisqu’il avait bien fait en sorte qu’elle n’ait pas trop d’ami·e·s. Il avait bien manœuvré et avait donné l’impression, à elle comme à tous, qu’il lui laissait la bride sur le cou alors qu’en fait, il la tenait bien serrée. Je me souviens des sempiternels « tu fais comme tu veux… » qu’il lui susurrait et, particulièrement, lorsqu’iels étaient en public, alors qu’ensuite il tirait la gueule pendant des jours, voire des semaines. Il était toujours légèrement désagréable avec ses invité·e·s à elle, pas trop pour que ce ne soit pas criant mais bien assez pour qu’iels ne se sentent pas à l’aise et qu’iels reviennent de moins en moins souvent. Peut-être ne savaient-iels même pas vraiment pourquoi iels en avaient moins envie.

« C’est vrai… », approuve ma tante.

Ma mère met un terme brutal à la discussion en demandant des nouvelles de la voisine. Ma tante se jette aussitôt sur le sujet, soulagée à l’idée que cette conversation pourtant à peine entamée se termine.

On avait encore plein de choses à se dire pourtant. J’hésite à revenir à la charge mais décide finalement de m’abstenir… Je ne veux pas que ma mère ait le sentiment d’être traquée. Je déteste qu’on me questionne plus en profondeur sur un sujet que je veux clore parce qu’il me brasse trop. Je ne veux pas la harceler, je ne veux pas lui faire de mal. Il lui en a trop fait. Seulement, un jour, j’aimerais qu’on puisse parler du mal qu’il m’a fait aussi. J’aimerais pouvoir lui dire que je sais qu’elle a fait tout ce qu’elle pouvait pour moi, mais que j’ai souffert de cette situation moi aussi.

Le trajet de retour en voiture est très silencieux. Un silence un peu froid mais qui ne me gène pas tant que ça. Je repense à mon cousin. Je suis vraiment touchée qu’il m’ait soutenue. Je le trouve généreux et fort de se positionner comme il le fait. Je regrette de ne pas l’avoir soutenu au moment où il a fait sa transition de genre. Je me suis à l’époque moi-même retranchée derrière le fait qu’on ne se fréquentait pas trop avec la famille, que j’étais loin et ne pouvais pas juger… Toujours cette foutue peur de prendre position ! C’était il y a dix ans déjà et depuis, je n’en ai jamais parlé avec lui. Plus j’y pense plus ça devient important pour moi de le faire. Je me fais la promesse de l’appeler cette semaine. Il n’est jamais trop tard !

Et puis j’en viens à penser à ma mère, qui est toute proche et pourtant si lointaine, absorbée par la conduite. Pendant une bonne cinquantaine de kilomètres, je rumine et tourne en boucle dans ma tête ce dont je voudrais lui parler à elle.

Les idées tournent en boucle. Sans forcément relancer une discussion, réussir à poser les quelques trucs que j’avais en tête me ferait déjà du bien : « Tu sais, maman, je n’ai plus envie de faire comme si ça n’avait pas existé… D’ailleurs, je n’ai plus envie de dire tout le temps « ça » au lieu de dire : « le climat de tension permanent », ou « les coups de gueule qu’on recevait toutes les deux pour un rien » ou « les coups que tu recevais quand tu osais lui répondre » ou « ses coups » tout court. Je ne crois pas qu’on évite la souffrance en ne parlant pas. Au contraire, je crois que ne pas en parler crée encore plus de souffrance. Voilà, c’est ce que je pense… »

Je n’ai rien ajouté et elle non plus, mais plus tard, quand nous sommes sorties de la voiture, elle m’a serrée dans ses bras. Ça faisait des années que nous n’avions pas fait ça. À vrai dire, je ne me souviens pas de la dernière fois où elle m’avait prise dans ses bras. Nous nous sommes séparées sans rien dire et je suis partie le lendemain. Mais j’ai le sentiment que la prochaine fois qu’on se verra, ce sera différent entre nous. Je suis contente d’être venue.

Kira et Virginie

Stef me dit « Tu as une minute ? Il faut qu’on parle de Kira ». J’ai répondu « oui bien sûr », l’air détendue. Mais son air crispé m’a crispée. Y’a t-il un nouveau problème avec Kira ? Je l’attends, assise à l’angle de la terrasse de béton, les pieds qui pendouillent dans le vide. Fébrilité de l’attente : encore une mauvaise nouvelle ? Je courbe la tête, rentre les épaules d’avance.

Il me dit : « Tu m’avais dit que tu avais pas mal parlé avec Virginie… » Ah, on parle de l’embrouille entre Kira et Virginie… Ma réponse sonne presque craintive car mon angoisse de la « mauvaise nouvelle » se couple d’une deuxième peur, celle d’avoir « mal fait ». C’est vrai qu’il a l’air très soucieux, et il poursuit :

« La dernière fois que tu lui as parlé, c’était il y a longtemps ?

— Oui assez longtemps… Avant l’hiver, quoi. C’était entre son dernier séjour à l’HP et son déménagement… Depuis, plus aucune nouvelle…

— Ah… »

Et c’est le jeu des vases communicants, il semble déçu, je me sens soulagée : peut-être qu’il s’agit d’une « merde » plus récente et que je n’y suis pour rien. Mais peut-être que Virginie a encore vrillé en balançant tout son mal-être à la gueule de Kira, ou peut-être qu’à l’inverse Kira a encore sauté à la gorge de Virginie de ne plus en pouvoir de ses reproches, peut-être que… La peur reprend sa place initiale : que s’est-il donc encore passé ?

Alors il raconte. Il n’est pas sûr de ce qu’il avance, mais il croit que Virginie est allée chez les flics. Il essaie de comprendre, de vérifier. Aurait-elle posé une main courante ? Porté plainte ? Est-ce qu’elle a juste raconté ça pour faire peser une menace ? En tout cas, il flippe de tout ce que ça pourrait impliquer que Kira se retrouve chez les keufs, avec les délits de faciès racistes et avec tout ce qu’on a déjà subi dans le collectif en terme de répression…

« Si Virginie a fait ça, ça craint… même si oui, Kira fait grave de la merde… et que oui, elle est allée trop loin avec Virginie. Mais enfin, pas les flics quoi ! On ne va pas envoyer du monde en taule quand même ! »

Un frisson parcourt ma colonne vertébrale. Je ne sais pas quoi dire. Je me demande si d’avoir soutenu Virginie quand elle était au plus mal a pu l’encourager plus tard à en arriver là. Je me demande si elle aurait vraiment pu faire ça. J’avoue que j’ai du mal à l’imaginer entrer dans un commissariat. C’est surréaliste… pfff… Quel merdier !

Le soir dans mon lit, une bouillotte sur le ventre, je me repasse le film de ma dernière conversation avec Virginie. C’était à une terrasse de café du centre-ville. Elle avait déjà quitté notre collectif. On avait convenu qu’elle pouvait me solliciter n’importe quand pour discuter. Que je pouvais avoir ce rôle-là quand elle n’allait pas bien, que ça pourrait éviter qu’elle explose n’importe comment avec les autres. Cette fois-ci le ton avait l’air différent des autres fois. Sa détresse, toujours présente, s’accompagnait d’un mode vraiment blasé.

Je me souviens avoir tenté de faire redescendre sa paranoïa vis à vis des potes qui soi-disant lui en voulaient. Jusqu’à ce qu’elle me raconte qu’elle s’était résignée à partir, déménager, refaire sa vie ailleurs. Qu’elle n’avait plus confiance en la « justice du milieu ». Même en ayant reconnu avoir bien vrillé à un moment, ce n’était plus gérable maintenant, ses embrouilles avec les gens. Et sa famille lui conseillait de couper les ponts…

Une grande impression d’échec s’était installée dans ma tête à ce moment-là. J’avais raté quelque chose… On avait raté quelque chose… Et sa famille n’allait vraiment pas nous aider…

Je sais que je suis un peu trop idéaliste parfois, avec mon fichu sentiment de communauté… Mais là je me suis dit que finalement c’était peut-être le bon choix à faire pour elle de repartir à zéro… Et au fil de la discussion son projet me semblait de plus en plus concret, sa ville de destination, son camion de déménagement, dans quels délais, pour y faire quoi et avec qui… J’ai même perçu un brin d’enthousiasme dans sa voix que je n’avais pas ressenti depuis longtemps…

Steph n’a rien dit de plus, on ne savait pas comment conclure, nous nous sommes quitté·e·s déprimé·e·s. Maintenant que je n’ai plus aucun contact avec Virginie (parce que je me rends compte, bien trop tard, que de couper les ponts, ça voulait dire aussi avec moi) je me demande bien quel chemin elle a fait… Est-elle vraiment allée chez les flics ?

La bouillotte ne suffira pas à m’endormir, je vais me relever pour me faire une tisane, continuer mon bouquin, penser un peu à autre chose. Il faut que j’arrive à dormir… Demain je trouverai bien une personne qui a des nouvelles de Virginie.

L’échange mail

De: “frk” <frrrrrk@no-bogue.org>
À: “piranha” <piranha@uprising.net>
Envoyé: Mardi 12 Mai 2015 17:33:10
Objet: démarche par rapport à seb

salut samira,

moi c’est franck (du collectif logement, je sais pas si tu vois ?). on se connaît pas, mais on s’est croisé qq fois au 8bis en soirée.

je t’écris parce que je sais que tu as suivi de près l’histoire de l’agression d’adèle. tu as aussi contacté seb il y a un certain temps pour l’informer des demandes d’adèle. il m’en a parlé. et tu dois aussi connaître no ? comme je sais qu’elle a soutenu fort adèle ces derniers mois, je ne la connais pas non plus, mais je me suis dit que vous deviez être en lien là-dessus.

pour ma part, je trouve hyper important de se préoccuper collectivement de ce genre de situation et que des personnes au sein de nos réseaux se rendent disponibles pour prendre des rôles de soutien. je suis convaincu qu’il est de notre responsabilité collective d’être concernés, et capables de reconnaître que, quand quelqu’un insiste pour faire du sexe avec une meuf et qu’elle finit par céder, c’est un viol et c’est grave ! il faut qu’on avance là-dessus parce que ce genre de situation arrive encore trop souvent. et puis on banalise, on relativise, on ne prend pas ça au sérieux… ça s’est passé exactement comme ça avec adèle, non ? parce qu’il ne lui a pas mis le couteau sous la gorge, qu’elle ne s’est pas débattue et parce que c’était des personnes plutôt potes à la base qui s’organisaient ensemble dans un même collectif… bref, c’est clair qu’on a des questions à se poser sur nos représentations de ce que peut être un viol. mais évidemment je ne t’apprends rien, je suis désolé, c’est comme si j’avais besoin de me justifier sur ma démarche. c’est parce qu’on ne se connaît pas trop alors voilà, excuse-moi pour le blabla. 🙂

pour en revenir à cette idée de gestion collective, ça a été salutaire que vous preniez en charge la communication entre adèle et seb, c’est sûr, parce que les premières semaines qui ont suivi la dénonciation des violences ont été vraiment tendues. le fait que des personnes aient différents points de vue sur la situation, que ça parle beaucoup pour parler, mais pas pour chercher à mettre en place des choses concrètes, ça n’a pas facilité les choses. ce que vous avez fait a vraiment permis entre autres que seb reconnaisse les conséquences de ce qu’il avait fait à adèle et qu’il le nomme enfin comme un viol. je trouve que ça a vraiment permis d’arrêter les débats à la con sur « est-ce que c’en est un ou pas ? », qui ont dû être super dur à vivre pour adèle.

bon, du coup, je te contacte aujourd’hui parce que j’ai eu l’occas’ de parler qq fois de manière informelle avec seb ces derniers temps. on a eu plusieurs discussions chouettes. je crois qu’un vrai lien de confiance et d’intimité est en train de se tisser entre nous. ça a permis qu’on aille assez loin dans nos échanges, que la parole se libère sur des trucs hyper perso, ce qui n’était pas gagné ! lui, il a bougé dans son positionnement, je trouve. il a eu une grosse prise de conscience à un moment et là, j’ai l’impression qu’il commence à s’engager dans une démarche où il voudrait faire un truc pour prendre ses responsabilités, parce qu’il m’a demandé si je voulais bien l’accompagner dans un processus de réflexion autour de ce qui s’est passé. je lui ai dit que je voulais bien, et donc voilà je voulais vous en tenir informées, toi et no, vu que tu as pas mal suivi cette histoire. et puis aussi, je me sens pas super bien outillé pour faire ça alors je sais pas si t’avais des choses à me conseiller… ?

voilà, j’espère que j’ai été clair. en gros je t’écris pour t’informer que je vais prendre un rôle formel auprès de seb, que tu fasses passer l’info à no ou que tu me files son adresse, et puis aussi pour demander conseil. je sais pas si tu pourras y répondre…

ben en tout cas, c’est chouette tout ce que vous avez fait. peut-être on se croise à l’occasion.

bonne fin de semaine à toi,

franck

De: “piranha” <piranha@uprising.net>
À: “frk” <frrrrrk@no-bogue.org>
Copie à: “no” <no@adventices.net>
Envoyé: mercredi 13 Mai 2015 10:29:17
Objet: Re: démarche par rapport à seb

Salut Franck,

Je reçois ton mail et j’y réponds vite. Je fais aussi passer à No. J’en ai parlé avec elle hier soir, je fais la réponse pour nous deux.

En effet, j’ai été il y a quelques mois en lien à la fois avec Adèle et Seb. C’était à ce moment-là nécessaire pour “protéger” (j’aime pas trop ce mot) Adèle des demandes d’explications de Seb, parce que c’était vraiment inapproprié, à côté de la plaque, sur le fond comme sur la forme. C’est cool qu’il commence à capter des trucs… en espérant que ce soit sincère.

Je trouve ça bien que tu prennes cette place auprès de Seb. C’est vraiment nécessaire d’accompagner une personne qui a fait de la merde pour que d’autres situations pourries n’arrivent pas à nouveau, mais tu comprendras que pour No et moi ça n’a pas fait partie de nos priorités ces derniers mois… Être à l’écoute d’Adèle et rester dispo pour la soutenir (lorsqu’elle le souhaite) dans les choix qu’elle fait pour se reconstruire, ça reste notre priorité, c’est sûr.

Pour ce qui est des conseils, je dirais que le premier truc à faire serait de t’informer de ce qui s’est passé, de prendre connaissance des ressentis d’Adèle et des demandes qu’elle a pu faire à Seb, directement de son point de vue à elle (pour ça, Adèle veut qu’on passe par No). C’est important parce que tu vas avoir pour rôle d’écouter les ressentis de Seb concernant cette histoire tout en rappelant que cette même situation n’a pas été vécu par lui et par elle de la même manière.

Et puis sinon, je me demandais si tu avais pensé à une personne avec qui tu pourrais débriefer ?

Voilà, en tout cas, sache que je veux bien rester en contact avec toi si tu as des questions, mais j’ai pas une énergie monstrueuse à consacrer à ce côté-ci de l’histoire. Et No n’a pas trop envie d’être sollicitée pour quoi que ce soit concernant Seb ou votre travail à deux, à part pour transmettre la version d’Adèle, comme je disais juste avant.

En tout cas, merci de nous avoir tenue informées.

Bonne semaine pareil,

Samira

De: “frk” <frrrrrk@no-bogue.org>
À: “piranha” <piranha@uprising.net>
Envoyé: Jeudi 14 Mai 2015 21:45:48
Objet: Re: Re: démarche par rapport à seb

salut samira,

merci pour tes conseils et pour m’avoir répondu aussi vite. c’est vrai que ça semble important que j’entende la version des faits du point de vue d’adèle pour recadrer les propos de seb quand ce sera nécessaire. je crois que je ne sais pas encore trop quelle posture adopter pour l’accompagner au mieux. je vais y réfléchir. en tout cas, c’est sur que je passerai par no pour avoir le point de vue d’adèle sur ce qui s’est passé, son ressenti et pour m’informer sur les demandes qu’elle a faites à seb. je vais écrire à no pour ça.

et sinon, c’est chouette que tu me demandes si j’ai pensé à quelqu’un pour me soutenir dans cette histoire. effectivement, j’y avais pas pensé. je me dis que je vais voir avec lionel, un super pote que je vois souvent. ça peut être pas mal, je pense.

j’ai bien retenu que t’avais pas trop d’énergie à consacrer à cette partie, mais plus je pense à comment accompagner seb, plus il me vient de questions et je me dis qu’il serait plus simple d’avoir une bonne discussion en direct plutôt qu’échanger 15 mails. un café un de ces jours ça te dit ? je serai synthétique, promis !

a+

frk

De: “piranha” <piranha@uprising.net>
À: “frk” <frrrrrk@no-bogue.org>
Envoyé: vendredi 15 Mai 2015 23:50:03
Objet: Re: Re: Re : démarche par rapport à seb

Salut Franck,

Faut peut-être que je sois plus explicite sur ce que j’entendais par le fait de chercher une “personne pour débriefer”. Perso, je ne crois pas qu’il soit forcément pertinent de demander à une personne de prendre un rôle de soutien parce que c’est un ami, mais plutôt parce que c’est une personne à qui tu fais confiance politiquement et humainement pour t’aider à prendre du recul.

Tout ça me paraît important parce que le rôle que tu prends nécessite de ta part une certaine empathie, de la proximité avec Seb (ce qui a l’air d’être le cas et c’est chouette), mais que la conséquence de ça, c’est que tu risques de t’identifier à ce qu’il vit et donc, éventuellement, de minimiser ce qui s’est passé ou d’autres situations qu’il pourrait être amené à te raconter… Ben ouais, parce que toi aussi t’as été éduqué en tant que mec et que ce qu’il a fait (comme tu le disais toi-même dans ton premier mail), c’est un truc qui arrive quand même souvent… Bien sûr, je trouve super important de démonter le mythe du « monstre-violeur qui attend sa proie au coin d’une rue sombre » et de se rappeler que la plupart des agressions sexuelles sont commises par l’entourage connu, mais ce que je trouve piégeux, c’est le glissement qui peut se faire : dire que les violences sexuelles sont communes et banales, ça ne doit pas servir d’argument pour minimiser, du style “si tout le monde le fait, c’est que ce n’est pas si grave”… Les violences sexuelles, c’est hyper fréquent ET hyper grave… Mais bon je t’apprends rien…

Enfin tout ça pour dire que ça me semble important que tu trouves une personne qui pourrait avoir une lecture différente de la tienne, ne pas être forcément d’accord sur tout avec toi et en tout cas quelqu’un que tu sens à l’aise pour te faire des retours critiques (dans le sens constructif du terme !). Et je trouve que c’est justement important de formaliser avec elle que tu attends un regard critique de sa part (ce qui veut dire pour toi d’être effectivement prêt à ce qu’on te fasse des remarques !…). Et puis pense à checker s’il n’y a pas d’enjeu entre Seb et cette personne. Parles-lui en.

Sinon, pour ta proposition de se voir, je veux bien prendre un temps avec toi. Si ça te va, je suis dispo tous les matins la semaine prochaine. On peut se retrouver dans un parc pour tchatcher (je suis pas fan des terrasses de café avec plein de monde pour parler de ce genre de sujet). Genre 10h près de la moche statue du parc derrière la gare. Je te laisse choisir le jour.

En tout cas, je trouve ça cool que tu t’embarques dans cette démarche d’accompagnement.

Tiens-moi au courant si ça le fait pour toi ma proposition de la semaine prochaine.

A+ et bon WE à toi,

Samira

Pistes pour agir face à des situations de violences interpersonnelles

Soutenir la personne cible de ces violences, accompagner la personne auteure de ces violences.

Quelques préalables sur la justice et la psychiatrie

Voici quelques pistes pour agir, lorsque les violences d’une personne sur une autre ont été dénoncées et que celle qui les a subies souhaite une prise en charge selon des valeurs anti-autoritaires et féministes plutôt que par la justice et/ou le corps médical/psy.

La question n’est pas ici de juger ou d’exclure d’une telle démarche les personnes qui feraient le choix de solliciter les institutions, mais de voir ce que nous pouvons faire hors de ce cadre. Il est clair que dans de nombreuses situations, des personnes se tournent vers les flics, les juges ou les médecins, parce qu’elles sont isolées, en manque de soutien, de ressources, de compétences, de lieu où se poser, parce qu’elles ne trouvent pas d’autres issues, qu’elles pètent les plombs, qu’elles y sont poussées par certain·e·s de leurs proches, « ont besoin que quelque chose soit fait, vite », etc. Et dans toutes ces situations de souffrance, ça peut être mieux que rien, ça peut être suffisant, ça peut être salvateur. Ça peut malheureusement aussi être destructeur.

La démarche que nous développons ci-dessous pourrait être, nous l’espérons, un outil pour agir plus tôt, en amont, en se faisant du bien, en cherchant des pistes de résolution. Pour contribuer à saper nos réflexes punitifs et normatifs, pour nous sentir responsables ensemble sans fabriquer de culpabilisation et de victimisation contre-productive.

Par ailleurs, il est souvent tabou de parler des choses en termes « psycho » dans les milieux militants radicaux qui voient la psychiatrie, la psychanalyse et même les psychothérapies en général, comme des outils de dépolitisation et d’individualisation des problèmes, infligeant des violences institutionnelles. Pourtant, il nous semble impossible d’aborder la question des violences sans parler de traumatisme au sens psychologique, avec les conséquences qu’on peut observer, comme la reproduction de schémas, les phases de dissociation, les mémoires traumatiques, les syndromes de stress post-traumatiques ou les liens entre certaines violences vécues enfants et nos pétages de plombs d’adultes. Ignorer ces aspects, ce serait sans aucun doute se priver d’outils vraiment efficaces pour améliorer la confiance en soi et dépasser des mécanismes qui nous tiennent dans le piège de la violence et de sa répétition.

Sur tous ces aspects, nous nous sentons vraiment pauvres en ressources, autant pour nous réapproprier des outils et des conceptions, que pour les critiquer, les améliorer, les dépasser. Ce travail reste à faire pour affiner encore les pistes que nous proposons ci-dessous…

Point de départ

Nous partirons ici uniquement de situations où il n’y a pas de doute sur qui est la personne cible des violences/de l’agression et qui est la personne auteure de ces violences. Afin de simplifier la lecture, nous appelons « Cib » la personne cible et « Aut » la personne auteure.

Nous présentons dans un même document des pistes pour soutenir Cib (cible) et accompagner Aut (auteur·e), mais nous tenons à rappeler que ces deux démarches sont des processus bien différents et séparés en termes d’enjeux, d’objectifs et de temporalité. Par exemple, ce n’est pas parce qu’Aut, après avoir sérieusement travaillé sur ses comportements, aurait envie de demander pardon à Cib, que cela aurait forcément du sens dans le processus de reconstruction de Cib. Au contraire, Cib peut très bien avoir besoin de ne plus avoir aucun contact avec Aut. Chaque processus de soutien ou d’accompagnement doit se faire de façon adaptée à la personne, qui le fait pour elle-même, à un rythme qui lui est propre. Il nous semble périlleux et même, la plupart du temps, dommageable de forcer les deux processus à coïncider.

Bien évidemment, nous rappelons que nous ne proposons pas ici de recette miracle applicable à la lettre. Cette brochure, et tout particulièrement ce texte, proviennent de l’envie de partager un travail collectif de réflexion, de rassembler dans un document des choses tentées (ou pas…) dans différents contextes par différentes personnes. C’est l’envie d’apporter notre pierre à l’édifice pour ne pas repartir de zéro à chaque fois… Enfin, c’est l’envie de transmettre notre expérience pour être à l’avenir de plus en plus nombreux·ses à s’impliquer quand des violences surviennent autour de nous. En effet, il semble indispensable que davantage de personnes agissent face à ces violences entre proches et donc qu’elles se préparent à le faire en s’outillant.

Que ce soit pour soutenir les personnes cibles des violences ou pour accompagner les auteur·e·s, nous trouvons très précieuse l’approche des rapports structurels de domination et, en particulier, ceux qui sont en jeu entre les personnes impliquées. Nous croyons utile d’avoir une bonne connaissance (ou de faire en sorte de s’informer) sur les mécanismes à l’origine des violences entre proches, notamment les questions de rapports de pouvoirs et de domination. À la fin de cette brochure, nous proposons un certain nombre de liens vers des textes et des émissions radio que nous vous conseillons vivement !

1. En amont, prévention, comment être tou·te·s plus impliqué·e·s et concerné·e·s par ces questions

Au fil de nos réflexions, nous nous sommes beaucoup appuyé·e·s sur la notion de communauté, qui existe de fait, mais est rarement nommée en tant que telle autour de nous.

En tant que féministes, lorsque nous thématisons les violences et les violences sexuelles, nous insistons toujours sur le fait que la plus grande partie des agressions sont commises par des proches, et dans le cadre familial, conjugal, amical ou professionnel (pour rappel, 83 % des « agresseurs » étaient connus de leur « victime », en France en 2012, selon les statistiques de l’Insee). La dimension communautaire nous paraît évidente, lorsque nous contestons les fausses évidences sur ces « agresseurs inconnus surgissant au détour d’une rue à la nuit tombée », pour plutôt pointer les agissements des proches : ces comportements nous concernent de près, comment changer les choses sans transformer ce qui constitue nos liens, nos responsabilités et nos cultures communes ?

Nous partons du constat que nous nous sentons appartenir à une communauté : communauté d’intérêts et d’identités ; communauté faite de l’imbrication de nos histoires familiales, culturelles, économiques et politiques. Ces appartenances, subies ou choisies, forgent une part conséquente de nos attachements et de nos destinées collectives. L’aspect communautaire est d’autant plus important à nos yeux qu’il nous rassemble en tant que personnes minorisées, dans notre cas en tant que meufs, gouines, trans’, anarchistes et féministes. Pour chacune d’entre nous, il est quasi-vital d’accéder aux idées et aux pratiques qui se développent dans ces cercles, d’y trouver des ami·e·s, des soutiens, des complices, des pairs, etc. C’est le plus souvent ce qui nous permet de survivre et de vivre, avec ce que nous sommes et ce que nous portons.

C’est le fait de penser les choses en termes communautaires qui nous a conduit à envisager, pour une agression donnée, l’ensemble des personnes impliquées et à distinguer trois positions : la personne cible de l’agression, la personne auteure et les personnes autour, soit, en fait, toute la communauté. Depuis des années, nous nous concentrons sur ce qui peut être mis en place avec les personnes cibles de violences et, principalement, avec des femmes en contexte hétérosexuel. Nous nous mobilisons pour les soutenir individuellement, pour réfléchir collectivement à notre pratique de soutien, ou encore pour développer l’autodéfense féministe. Ces choix de priorité s’expliquent d’abord par le nombre et l’urgence des souffrances et des détresses de ces personnes. La seconde raison, plus politique, est la volonté de prioriser les personnes subissant la domination plutôt que celles qui l’exercent : les personnes vivant des agressions sont le plus souvent isolées, contestées et même exclues pour avoir dénoncé des violences qu’elles subissent ou bien elles s’auto-excluent pour ne pas l’avoir fait pour diverses raisons. Nous défendons plus que jamais cette priorisation de nos attentions. Cependant, nous impliquer en parallèle dans le suivi des auteur·e·s de violences ainsi que vis-à-vis de tout l’entourage, est pour nous complémentaire pour continuer à changer les choses à la racine. Et en disant cela, nous ne voulons ni délaisser les personnes cibles, ni encourager les pugilats, les rumeurs et tout ce qui fait les emportements collectifs dévastateurs. Au contraire, nous voulons œuvrer à une culture commune qui réduise les violences et prenne soin de chacun·e. C’est avec ce parti-pris que nous voulons faire de ces violences l’affaire de tout·e·s et que nous proposons de travailler * aussi* sur notre propre potentiel à commettre des agressions et sur nos stratégies pour pratiquer le consentement.

Ajoutons pour finir que nous avons trouvé la force et les ressources pour creuser ces aspects pendant ces quatre années, parce que nous ressentions plus de maturité collective sur ces sujets, en analyse comme en pratique et, surtout, parce que nous avons pu trouver un cadre de confiance pour y travailler : nous sommes tout·e·s féministes et anti-autoritaires, donc avec des bases politiques communes.

2. Dénonciation d’une situation

Une situation d’agression / de violence interpersonnelle peut être connue parce que nommée :

Par Cib, la personne qui a été agressée / a subi les violences
qui dit simplement ce qui s’est passé
OU qui dit ce qui s’est passé et demande de l’aide
OU qui dit ce qui s’est passé et formule des demandes plus précises (de médiation, de suivi de cellui qui l’a agressé·e, d’éloignement de cellui qui l’a agressé·e).

Par Aut, la personne auteur·e des violences / de l’agression
qui réalise ce qu’iel a fait seul·e
OU par la discussion avec cellui qu’iel a agressé·e
OU avec un tiers,
ET volontairement OU par la pression,
ET qui demande de l’aide OU pas.

Par une personne tierce
qui a été témoin
ET / OU qui a parlé avec les protagonistes.

Pour commencer, il est important lorsqu’on reçoit des informations dénonçant une situation de violences ou d’agression de se tourner vers la personne cible des violences, afin de vérifier qu’elle ne les subit plus et de saisir ce qu’elle veut ou du moins ce qu’elle est prête ou n’est pas prête à vivre.

Si les violences persistent, protéger la vie de Cib est une priorité, mais cela ne peut se faire sans son avis et son accord. Il y a le risque de perdre le contact avec elle si les solutions trouvées ne sont pas réalistes. On peut proposer à Cib de tenter de faire partir Aut du lieu où iel exerce les violences. Si cela ne fonctionne pas ou ne permet pas à Cib de se sentir en sécurité, on peut lui proposer de l’aider à partir et à trouver un lieu où iel se sente bien. Il se peut qu’il n’y ait rien que l’on puisse faire pour assurer dans l’immédiat la sécurité ou le bien-être physique et mental de Cib. Dans ce cas, il est important de continuer à se positionner en soutien de Cib et de l’encourager à trouver un endroit sûr.

3. Soutenir la personne cible des violences

Un travail important a déjà été réalisé par d’autres groupes/personnes sur ce sujet que ce soit par le biais de textes collectifs ou de récits personnels. N’hésitez pas à aller voir les références proposées à la fin de cette brochure. Sur les questions de l’écoute, du soutien et des postures que le rôle de soutien implique, nous vous conseillons fortement la lecture de Soutenir un.e survivant.e d’agression sexuelle dont nous nous sommes largement inspiré·e·s pour rédiger cette partie.

Nous avons abordé de manière thématique les choses qui nous semblent importantes dans des situations de soutien. Un certain nombre de ces points peuvent constituer des étapes/phases. Nous n’avons pas souhaité les ranger selon un ordre particulier car cela peut être très différent selon les situations. Cependant il nous semble assez utile de définir un processus avec une succession d’étapes qui soient pensées à plusieurs. Cela peut se faire entre Cib et la ou les personnes en soutien (que nous proposons d’appeler par la suite « Sou ») ; si Cib n’est pas en mesure de réfléchir à ces étapes à ce moment-là, cette réflexion peut se faire entre personnes soutien (si iels sont plusieurs) ou avec une/des personnes de confiance autour. S’accorder sur des étapes permet de se fixer des objectifs et de clôturer des phases de « travail », de voir le chemin déjà parcouru, de baliser un parcours qui doit tendre vers un aller-mieux et une reprise d’autonomie de Cib.

L’écoute

Pour Cib, la personne cible des violences

Quand on a subi une agression/de la violence de la part de quelqu’un·e d’autre, on a souvent besoin de pouvoir vider son sac, de dire tout ce qui nous passe par la tête en se sentant écouté·e, cru·e par la personne à qui on se confie et non pas jugé·e dans la manière dont on va exprimer nos ressentis (parce qu’on n’utiliserait pas le « politiquement correct », parce qu’on serait confus·e, etc.)

On a souvent des hauts et des bas, des moments où on se sent en colère et/ou super fort·e·s, d’autres où on se sent juste mal. On peut ressentir de la honte ou de la culpabilité de ne pas avoir su réagir « comme il faut ». Ça peut faire du bien d’entendre « ce n’est pas toi qui est responsable » (même si des fois on le sait déjà) plutôt que « tu ne devrais pas dire ça ».

On peut avoir besoin de réconfort, que quelqu’un·e nous prenne dans ses bras, ou bien pas du tout, ou bien ça dépend des moments. C’est pas toujours facile pour les autres de le capter et souvent pas possible soi-même de l’exprimer.

Pour Sou, la/les personne(s) soutien de la personne cible des violences

Quand on soutient une personne qui a subi une agression, des violences, une des premières choses importantes à faire c’est de l’écouter sans canaliser sa parole, de lui laisser la place d’aller au bout de ce qu’iel a à dire. Accueillir ses propos. Ne pas chercher à relativiser la manière dont ont été vécus les faits… Croire à ce qu’iel a vécu et ressenti.

Si on parle beaucoup pendant ces discussions avec Cib, il y a de fortes chances qu’on dise des choses qui ne vont pas aider. Parfois, en gardant le silence, on évite d’ajouter à la conversation des éléments qui n’y ont pas leur place.

Prendre l’autre dans les bras n’est pas forcément approprié, être proche physiquement n’aide pas nécessairement. C’est important de ne pas le présupposer, donc de demander et de se laisser guider.

L’écoute active

Pour Cib, la personne cible des violences

Quand on a vécu des violences, parfois on se sent juste « mal » sans savoir exactement ce qu’on ressent. Pourtant, identifier plus précisément ces sensations peut redonner prise sur ce qui arrive. Par exemple, comprendre qu’à certains moments on se sent « mal » parce qu’on culpabilise de ce qui s’est passé peut permettre de comprendre d’où vient ce sentiment de culpabilité et de lui tordre le cou… peut-être pas une bonne fois pour toutes, mais ça devient ensuite plus simple de l’identifier dès qu’il repointe son nez. Des fois, on arrive à faire seul·e ce processus qui permet de comprendre les « quoi », « pourquoi », « comment », et à d’autres moments c’est le brouillard complet. C’est pour cela qu’il est parfois précieux que quelqu’un·e nous aide à gratter, identifier, nommer, décortiquer tous les « je me sens mal » non-identifiés.

Pour Sou, la/les personne(s) soutien de la personne cible des violences

Quand on a un rôle d’écoutant·e, ce qu’on appelle l’écoute active, c’est chercher à accompagner dans la verbalisation et la précision d’une pensée. Il est possible qu’il soit difficile pour Cib de s’exprimer, que cela prenne du temps. Il faut faire avec. Poser des questions reste la meilleure manière d’aider quelqu’un·e à creuser/préciser une idée. C’est possible aussi de proposer des reformulations en veillant toujours à laisser de la place et du temps pour qu’iel puisse décider si cela lui parle, si ça correspond à ce qu’iel a cherché à exprimer. Proposer plusieurs reformulations plutôt qu’une, afin d’offrir du choix dans la manière dont iel pourra se les réapproprier.

Il est important d’observer si on ne prend pas trop de place dans la discussion, de laisser de la place aux silences.

Les silences

Pour Cib, la personne cible des violences

Les silences sont parfois vécus dans les conversations entre deux personnes comme des moments de gêne, mais ils sont parfois nécessaires pour digérer une émotion, pour réfléchir à quelque chose qu’on vient de dire ou qu’on voudrait dire. Ça peut permettre notamment d’exprimer une limite ou de faire des remarques à la personne qui nous écoute quand on a le sentiment qu’iel nous embarque sur des sujets qu’on ne veut pas aborder ou qu’iel a dit quelque chose qui ne nous convient pas.

Pour Sou, la/les personne(s) soutien de la personne cible des violences

Les moments de silence dans une conversation, lorsqu’on est à la place de cellui qui écoute, peuvent permettre de prendre du recul, de se demander si on n’est pas en train de plaquer ses propres émotions sur ce que Cib exprime. C’est important d’être dans l’empathie mais on n’a pas à s’identifier à Cib, à penser ou dire à la place de l’autre. Il est bien sûr possible qu’on se « reconnaisse » dans des situations, des émotions qui sont dites, mais ce n’est pas parce qu’une chose a marché pour soi qu’elle peut être généralisée.

Ça peut être bien de lire des récits d’expériences (de personnes qui ont vécu des agressions ou de personnes qui racontent des expériences de prise en charge). Ce n’est peut-être pas le moment pour Cib d’avoir de telles lectures mais, en tant que personne qui l’écoute et la soutient, ça permet d’envisager différentes manières de réagir.

Lâcher-prise, prendre en charge et prendre soin de soi

Pour Cib, la personne cible des violences

Lorsqu’on a subi un choc, qu’on est submergé·e par des émotions contradictoires et paniquantes, que les violences qu’on a subies se compliquent d’enjeux relationnels et des réactions de l’entourage, il est tout à fait compréhensible qu’on ait du mal à faire face à tout. Il est alors important de se rappeler que même les super-héro·ïne·s ont des coups de mou, des grosses fatigues et des burn out. On a tou·te·s besoin de soutien par moment. Accepter de lâcher-prise pour une certaine période peut nous aider à libérer de l’espace mental pour reconstituer ses forces. On peut s’autoriser à trier et à fuir certaines situations, à demander à Sou (qui nous soutient) de prendre des décisions à notre place pour un temps donné et sur certains sujets, à demander à d’autres personnes plus ou moins proches des coups de mains matériels (embarquer notre linge avec le leur quand iels vont à la laverie, passer la tête par la porte pour savoir si on a mangé, nous proposer d’aller faire un tour, ou boire un café, ou voir un concert, ou réparer nos vélos ensemble ; nous aider à faire des papiers…).

Pour Sou, la/les personne(s) soutien de la personne cible des violences

Quand on propose à Cib de l’aider à prendre des décisions, quand on accepte de porter des messages ou de mener des actions pour ellui, il ne s’agit pas de la/le convaincre de s’en remettre à nous intégralement. Mais il est important de la/le rassurer sur le fait qu’iel est normal de ne pas être fort·e tout le temps et sur tout… et qu’iel est fort·e quand même.

Si Cib lâche prise et s’en remet à nous en tant que personne soutien, il est important de l’aider à ne pas en culpabiliser mais qu’iel en profite pour se reposer, se mettre à distance, trouver du répit.

Pour soulager Cib, plein de choses sont possibles et pas seulement en matière de « gestion » vis-à-vis d’Aut, mais de manière très concrète. Cette prise en charge matérielle et quotidienne est souvent invisible. Elle représente pourtant une vraie charge et il est donc aussi possible d’inviter l’entourage, des ami·e·s de confiance à donner des coups de main, à se proposer pour des tâches précises et simples.

En tant que personne soutien, il est également important de poser ses propres limites vis-à-vis de Cib pour qu’iel ne soit pas déçu·e si on ne va pas aussi loin qu’iel le voudrait. L’encourager doucement à élargir son réseau de soutien est une manière d’éviter un épuisement qui serait dans tous les cas préjudiciable à chacun·e et à la relation. Si on estime que Cib n’est pas en capacité d’entendre nos propres limites, ça vaut quand même le coup de les clarifier pour soi-même, afin de savoir dire « stop » au bon moment et de ne pas s’épuiser ni s’enferrer dans une relation de dépendance contre-productive. Cela peut aussi permettre d’anticiper, de trouver du relais, afin que le soutien ne s’arrête pas d’un coup, au moment où on n’en peut vraiment plus, ce qui peut être très déstabilisant pour Cib.

Pour toutes ces raisons, il peut être utile de clarifier sur quels sujets et sur quelle période on accepte de « prendre en charge » des aspects de la vie de Cib, afin de faciliter la mise au point et le passage à d’autres phases.

Reprendre et redonner du pouvoir

Pour Cib, la personne cible des violences

Les agressions, les situations de violences, ce sont des moments où nos limites sont franchement dépassées. Des moments où, soit on n’a pas eu la place de poser nos limites, soit on les a affirmées sans qu’elles soient prises en compte. Ce piétinement de nos limites peut abîmer notre confiance en nous et envers les autres, notre assurance à poser nos limites, à faire des choix, à être entendu·e dans ces choix. C’est donc important que les personnes qui nous soutiennent nous laissent le pouvoir de prendre les décisions, même si iels auraient fait d’autres choix dans une situation similaire. Il est important de prendre nos propres décisions et qu’on n’ait pas le sentiment que ce sont iels qui les prennent pour nous.

Pour Sou, la/les personne(s) soutien de la personne cible des violences

Quand on est dans le rôle de soutien, une manière d’aider une personne à prendre des décisions, c’est d’essayer d’expliciter le plus méthodiquement possible les conséquences qu’on peut percevoir dans le fait de faire tel ou tel choix.

On peut aussi visibiliser là où il semblerait qu’il y ait des choix à faire, démêler une situation embrouillée en la découpant en différents points pour en ressortir des éléments plus « digérables », des choix plus simples à faire indépendamment les uns des autres, tout en montrant les liens qu’il y a entre eux.

Identifier des besoins et des demandes

Pour Cib, la personne cible des violences

Pour mettre à distance la violence qu’on a vécue et se dégager de l’emprise que Aut exerce sur nous à travers elle, une étape importante est de clarifier ce dont on a besoin et les demandes qu’on peut formuler, que ce soit à Aut ou à l’entourage. Cette démarche est souvent plus facile quand on est passé·e par les premières étapes de libération de nos émotions et de décorticage de ce qu’on a vécu, sans encore chercher à construire des possibles pour la suite. On peut ensuite tenter de fixer par écrit ces besoins et ces demandes.

Il s’agit d’analyser ce qui s’est passé, les rapports de pouvoir et les réflexes relationnels en jeu, pour imaginer comment modifier des choses à l’avenir afin de se protéger, pour que ça n’arrive pas à nouveau (nommer ses limites, imaginer comment les poser plus fermement, etc.). On peut essayer de clarifier notre rapport à l’éventualité d’une confrontation avec Aut : on peut simplement avoir besoin qu’Aut cesse de tenter de nous contacter ; qu’Aut cesse de venir chez nous, même s’iel est super pote avec nos colocs, qu’Aut s’extraie de tel collectif que nous fréquentons, qu’iel ne remette plus les pieds dans tel lieu, qu’iel déménage. Il peut aussi s’agir d’autres demandes comme la reconnaissance des actes, des excuses, l’envoi d’une lettre ou une rencontre de visu, accompagnée par une/des personnes tiers, qui tiennent un rôle de médiateu·rices ou de simples « témoins », etc.

Pour Sou, la/les personne(s) soutien de la personne cible des violences

Pour aider Cib à formuler des demandes claires et réalisables, on peut essayer d’ouvrir plusieurs pistes plutôt qu’une seule, et dans des registres divers : sécuriser des espaces ; ne plus croiser la personne ; dénoncer une situation… On peut lui poser des questions très concrètes et méthodiques, sur la manière dont elle veut que ce qui s’est passé soit exprimé par Aut dans les espaces qu’iels fréquentent en commun ou, au contraire, comment Cib ne voudrait surtout pas qu’Aut en parle. Si Cib préfère prendre la parole ellui-même ou obtenir le soutien de personnes « intermédiaires ».

Se pose ensuite la question de répondre à ces demandes. Pour minimiser les déceptions et les frustrations, il peut être utile de distinguer, d’une part, les besoins sur lesquels Cib a une prise directe, parce que c’est ellui (ou du moins des personnes en qui iel a confiance) qui opère un changement, et d’autre part les demandes qui dépendent de Aut et de son entourage, et sur lesquelles Cib n’a pas une prise directe. Par exemple : Cib peut avoir besoin que quelqu’un·e vienne avec ellui dans des situations précises (ça dépend d’ellui et de personnes proches) ou bien Cib a besoin de savoir si Aut sera à tel endroit avant d’y aller (ça dépendra du fait que Aut et les personnes qui sont proches d’ellui accepte de le dire/le prévoir).

Dans la durée, il peut aussi être utile de faire des mises au point sur la réalisation des demandes, de vérifier qu’elles sont toujours d’actualité, de comprendre si les besoins de Cib et la disponibilité de l’entourage ont changé.

D’une manière plus générale, on peut aussi parler d’objectifs. Il nous semble toujours intéressant de prendre en note les objectifs qu’on se donne, pour pouvoir faire des points réguliers sur le fait qu’on les a réalisés ou non, qu’ils ont changé en cours de route ou non. Cela aidera aussi à entrevoir la fin d’un processus, de pouvoir conclure que les objectifs sont atteints ou abandonnés et qu’on passe à autre chose…

Formaliser le rôle de Sou, personne(s) soutien de la personne cible des violences

Pour Cib, la personne cible des violences

Formaliser le rôle que prend une personne pour nous soutenir ça permet aussi de faire attention à ellui, c’est l’occasion de questionner ensemble ce que ça peut changer dans notre relation (si on était à la base ami·e·s, si on ne se connaissait pas…) et comment on peut prendre soin de cette relation.

C’est aussi garder un certain contrôle sur la situation : ce n’est pas parce que Sou nous soutient qu’on doit tout lui raconter et accepter toutes ses propositions.

Enfin, il peut être vraiment utile de clarifier avec Sou le niveau de confidentialité de ce qu’on lui livre. Cela permet de savoir pour soi-même ce que l’on est prêt·e à raconter ou pas et de consolider la confiance avec Sou en entendant aussi ses limites à ellui.

Pour Sou, la/les personne(s) soutien de la personne cible des violences

Il arrive souvent qu’on se « retrouve » dans un rôle de soutien. Même si on ne l’a pas choisi au départ, c’est bien de le formaliser à un moment donné, notamment parce que ça peut redonner du pouvoir à la personne qu’on soutient pour fixer les modalités et les limites de cette relation, expliciter des besoins qu’iel aurait, proposer des manières de faire auxquelles on n’aurait pas pensé. Et bien sûr, ça nous aidera aussi, en tant que personne soutien, à réévaluer ce qu’on est prêt·e à faire.

Il s’agit d’expliciter les limites de disponibilité, de se demander si on se sent disponible à ce moment-là, de trouver des alternatives, par exemple d’identifier d’autres personnes à solliciter, etc.

Formaliser le niveau de confidentialité nécessaire permet que chacun·e se sente en confiance. Cela peut signifier aider Cib à cerner ce qu’iel est d’accord de raconter, mais aussi en tant que personne soutien pouvoir poser ses limites afin de ne pas se sentir coincé·e dans un secret absolu. L’idée est aussi de trouver soi-même de l’écoute auprès d’autre(s) personne(s) pour prendre du recul, exprimer nos difficultés et nos questionnements, évacuer nos propres émotions, ne pas « craquer », etc.

Conclure et aller de l’avant

Pour Cib, la personne cible des violences

Toutes les demandes et les aménagements qu’on tente de mettre en place visent à se dégager de la situation de violence, à panser nos plaies, à obtenir reconnaissance, réparation et à continuer notre vie de la meilleure façon possible. Il est donc souvent important, pour ne pas rester englué·e·s dans la détresse et la panique, de travailler activement à passer des étapes et même à conclure ce qu’il est possible de conclure. Bref, à laisser, autant que possible, certaines choses douloureuses derrière soi. Cela ne signifie pas qu’il est nécessaire de « tout oublier » ou au contraire de « tout se souvenir ». Chacun·e trouve un chemin différent pour digérer la violence qu’iel a vécue.

À plusieurs étapes du processus, une chose importante à faire peut être de clarifier nos intentions derrière nos demandes : Est-ce que je veux mettre ceci ou cela en place pour Aut ou pour moi-même ? Ce qu’Aut fait m’importe-il ou est-ce que je m’en fiche ? Est-ce que telle demande m’est toujours utile ? À travers ces questions, il s’agit, petit à petit, de s’autonomiser par rapport à Aut, de mieux identifier ce dont on a encore besoin et ce qui change.

Ensuite, il s’agit de poursuivre sa vie, avec et malgré ce qu’on a traversé. Tenaillé·e·s entre le « vivre avec » et le « passer à autre chose », on peut décider parfois de classer certains enjeux parce qu’on a le sentiment d’en avoir fait le tour ou d’en être épuisé·e·s. On peut aussi chercher à lister les outils, les petites stratégies du quotidien, pour mieux faire face à des moments de crise, de résurgence du traumatisme ou de la colère, canaliser nos émotions, trouver les moyens d’agir et de se protéger.

Pour Sou, la/les personne(s) soutien de la personne cible des violences

Que ce soit le passage d’une étape importante, ou la fin d’un travail commun, on peut proposer à Cib de formaliser ce moment. On peut en parler. On peut aussi lui proposer un moment symbolique, une fête, une rando, un resto… On peut encore proposer à Cib de lui remettre les notes qu’on a prises tout au long de l’accompagnement, ou de les détruire ensemble.

Parfois on s’implique pendant des mois et des années dans le soutien pour finalement reconnaître que ce n’était pas concluant. Et oui, des fois, ça ne marche pas : les enjeux sont si complexes, l’imbrication des subtilités humaines si tordues, que ce n’est jamais gagné. Même si on en sort avec un sentiment d’échec, c’était important d’essayer !

Que l’on sorte plus ou moins satisfait·e·s d’un processus comme celui-ci, il nous semble primordial de se féliciter pour les efforts fournis. Il s’agit avant tout de célébrer la force et la victoire de Cib. Mais il ne faut pas pour autant nier (pour nous-même et l’entourage), qu’en tant que soutien, nous avons fourni un travail important et trop souvent invisible.

Une fois de plus, nos émotions, nos questionnements et nos besoins en tant que personne soutien ne sont pas l’affaire de Cib. Iel a bien assez de sa propre histoire à prendre en charge ! Il reste donc important de se tourner vers d’autres pour faire le bilan de tout ça. Ça peut aussi être chouette de penser la transmission de ces expériences… en prenant garde à ne pas se spécialiser : on a tôt fait de se figer dans un rôle où on serait toujours cellui qui « porte secours », parce qu’on serait expérimenté·e·s, stables et sans avoir jamais besoin d’aide soi-même.

4. Accompagner la personne auteure des violences

La priorité

Avant toute chose et indépendamment de la question d’un accompagnement, Aut a un certain nombre de demandes à respecter en fonction des besoins exprimés par Cib. Cette étape non négociable va dans l’intérêt de la personne qui a subi l’agression/les violences : il s’agit en effet d’assurer sa sécurité physique et psychique, ou d’éviter par exemple qu’iel ne s’auto-exclue des espaces dans lesquels iel gravite de peur de croiser Aut. Il s’agit aussi de soutenir Cib dans son processus de reconstruction, en l’aidant à reprendre du pouvoir, en reconnaissant ce qu’iel a vécu, en signifiant par des actes qu’iel n’est pas responsable de ce qu’iel a subi.

C’est le rôle de la/des personnes soutien de Cib et/ou de la/des personnes médiatrices d’informer Aut (et toutes les personnes nécessaires) de ces demandes, et de les lui rappeler si nécessaire. Ces demandes peuvent être diverses (plusieurs exemples ont été détaillés dans la partie concernant le soutien à Cib). Dans tous les cas, il s’agit de protéger la personne qui a subi l’agression/les violences et de l’aider à se faire du bien, à aller mieux. Il ne s’agit pas d’une démarche punitive vis-à-vis d’Aut.

Néanmoins, Aut peut vivre ces demandes de manière plus ou moins difficile et mettre plus ou moins de bonne volonté à les respecter. C’est le rôle de la communauté dans son ensemble que d’avoir pour priorité le respect des demandes de Cib, et donc de mettre la pression sur Aut quand/s’il le faut.

L’accompagnement : une démarche choisie par la personne auteure

Au-delà du respect des demandes de Cib, l’accompagnement d’Aut est une situation choisie, c’est-à-dire une démarche de travail dans laquelle Aut s’engage volontairement, pour ellui-même. Cela signifie qu’en prenant au moins partiellement conscience des conséquences de ses actes, Aut est volontaire pour démanteler les mécanismes relationnels qui l’ont conduit·e à exercer de la violence, et pour travailler à ne pas reproduire de comportements violents. Cela signifie qu’Aut est dans une démarche active qui débouchera sur la sollicitation d’une personne pour l’accompagner dans la déconstruction de ses comportements problématiques (nous proposons d’appeler cette personne accompagnante « Accomp »).

Dans notre expérience, les processus d’accompagnement se sont souvent mis en place après une période plus ou moins longue de discussions conflictuelles et confrontantes pour Aut (cela peut intervenir plusieurs mois ou années après les faits en cause…).

Le cadre de l’accompagnement

Les bases politiques :

Pour nous, Accomp (qui prend le rôle d’accompagnant·e) doit avoir une base d’analyse politique anti-autoritaire, féministe radicale et intersectionnelle des rapports structurels de domination. Aut demande à être accompagné·e par Accomp en ayant connaissance de ses valeurs. En effet, dans la mesure où nous pensons que nos comportements individuels sont largement déterminés par les structures sociales dans lesquelles on s’est construit·e·s, il nous semble problématique de chercher à déconstruire notre potentiel à faire de la merde sans le situer dans ce cadre d’analyse en termes de rapports de pouvoir. Parce que le risque est réel pour Accomp de renforcer Aut dans certains mécanismes, notamment les très « classiques » victimisation et minimisation. Pour les mêmes raisons, il nous semble nécessaire que les personnes s’impliquant en tant qu’accompagnant·e en réfèrent à des féministes et/ou plus largement à des personnes partageant le vécu d’oppression de Cib (par exemple, en tant que racisé·e, handicapé·e, mineur·e, femme, gouine, trans, pédé, etc.) et d’autant plus lorsqu’elles ne partagent pas ce vécu.

La relation entre l’accompagnant·e et l’accompagné·e :

Contrairement au rapport avec un·e professionnel·le de psychologie/psychiatrie par exemple, la relation accompagnant·e-accompagné·e dont on parle ici cherche à tendre au maximum à l’horizontalité. Aut et Accomp se reconnaissent comme faisant partie d’une même communauté, de mêmes cercles. Il n’y pas d’expert·e et d’expertisé·e.

La confidentialité des échanges :

Pour que chacun·e se sente à l’aise et en confiance, il est nécessaire que soit discuté par Aut et Accomp le niveau de confidentialité des échanges et ce que chacun·e entend par là. Il s’agit tant de garantir à la personne qui se met en travail que sa vie ne va pas être déballée en place publique, que de permettre une communication avec la personne qui a subi l’agression/les violences si cette dernière avait des questions, ou encore de laisser la place à des soutiens pour Accomp. Enfin, tout en préservant la confidentialité des échanges, il semble important que la communication entre Accomp et la communauté ne soit pas un tabou, notamment afin d’éviter l’isolement d’Accomp et de Aut dans leur face à face.

Les formes :

Formaliser les espaces et les moments dans lesquels se passe l’accompagnement permet de ne pas déborder sur d’autres lieux et d’autres formes de relation que peuvent avoir par ailleurs la personne accompagnée et la personne accompagnante. Le cadre peut concerner le temps (régularité et durée des rencontres) et les espaces (rencontres seulement de visu ou possibilité de se parler au téléphone…). Tout est à négocier en fonction des besoins-capacités-disponibilités de l’un·e et de l’autre. Il semble en tout cas important de poser des limites et de bien cadrer l’accompagnement afin d’éviter de déborder sur l’emploi du temps de l’un·e ou l’autre, et de protéger Accomp d’éventuelles attentes d’Aut quant à une disponibilité permanente de sa part.

Les objectifs de l’accompagnement

Il s’agit d’une démarche active de la personne auteure qui veut se responsabiliser et qui demande un cadre pour cela.

Un travail de responsabilisation, cela passe notamment pour Aut par :

 

  • Faire cette démarche pour soi-même, parce qu’on prend au sérieux cet idéal de rapports non autoritaires entre individu·e·s et qu’on sait qu’individuellement et collectivement on a beaucoup de travail avant d’y arriver.
  • Amorcer ce travail parce qu’on n’a plus envie de faire du mal autour de soi, et qu’on sait que pour ça il est nécessaire de s’outiller pour développer des relations de la manière la plus égalitaire et consentie possible.
  • Prendre conscience des conséquences de ses actes, quelles que soient ses intentions au départ.
  • Être capable de développer de l’empathie pour Cib, de se connecter à son vécu, à ses ressentis, et de les prendre en considération comme valables et ne passant pas après les siens propres.
  • Être capable de se remettre en question sans pour autant sombrer dans une culpabilité stérile.
  • Analyser ses mécanismes relationnels et comportementaux pour comprendre lesquels sont en cause dans la/les situation(s) où on a agressé ou commis des violences sur Cib (ou d’autres personnes à d’autres moments)
  • Mettre en place les moyens de ne pas reproduire ces comportements violents, et trouver des outils pour tendre de plus en plus dans ses relations à une attention et au respect des limites, besoins, envies des autres
  • Porter attention aux demandes de Cib : est-ce qu’iel a besoin d’excuses ou bien d’être laissé·e tranquille ? On peut ressentir le besoin de multiplier les excuses parce qu’on réalise ce qu’on a fait, parce qu’on se sent coupable. Pour autant, ça peut être pour Cib une nouvelle forme de harcèlement et de dépassement de limites si sa demande était de ne plus être contacté·e.

 

Au final, on peut dire que l’objectif principal de l’accompagnement, c’est qu’Aut parvienne à ne plus reproduire les comportements qui ont généré des violences, pour ellui-même et pour les autres.

Le rôle de l’accompagnant·e

Une posture claire à définir

La relation entre la personne qui accompagne (Accomp) et celle qui est accompagnée (Aut) n’est pas une relation amicale. La personne qui endosse le rôle d’accompagnant·e est là pour écouter avec bienveillance, mais aussi pour confronter la personne auteure. Son rôle consiste à la fois dans une écoute empathique sans culpabilisation et dans le fait de recadrer les échanges, pour permettre des prises de conscience et un travail de responsabilisation.

Pour cela il est nécessaire qu’en tant qu’accompagnant·e on soit très au clair avec la situation, c’est-à-dire qu’on se soit mis en contact avec la/les soutien(s) de Cib, et qu’on ait en tête sa parole, son vécu, ses demandes, car tout au long du processus d’accompagnement, c’est toujours à cette parole et à ce vécu qu’il faudra revenir.

Avant et pendant le processus, quelques questions à se poser :

En tant qu’accompagnant·e, on peut être brassé·e, en proie au doute, on peut se sentir dépassé·e. Il est important de penser à soi, à ses limites, à sa disponibilité ou non selon les moments de la vie. De quelle situation s’agit-il, quels en sont les enjeux ? Est-ce que je me sens les épaules face à cette situation là ? Est-ce que j’ai la disponibilité émotionnelle pour écouter Aut ? Cette histoire me renvoie-t-elle trop fort à mon propre vécu ? Suis-je assez outillé·e pour le faire ? Quels sont mes propres enjeux relationnels avec la personne que je vais accompagner/que j’accompagne ? Avec la personne qui a vécu l’agression/les violences ? Quels sont les espaces dans lesquels je peux débriefer, parler de ce que je fais, questionner ma démarche, prendre du recul, avoir des retours critiques ?

Pistes pour accompagner Aut dans son travail sur ellui-même…

Nous avons choisi d’organiser ces pistes, dans un certain ordre, comme des étapes qui se succéderaient logiquement mais bien sûr, ce n’est pas figé. Il est important de se demander à chaque fois ce qui est pertinent en fonction du contexte, des personnes, etc… Alors voilà en vrac (mais pas tout à fait), quelques pistes à essayer et à retravailler pour s’impliquer dans l’accompagnement d’une personne auteure d’agression(s) :

Écouter Aut :

La façon dont iel reçoit ce que Cib lui reproche, ce qui a pu lui être imposé comme mesures à la demande de Cib, comment iel a vécu les choses… Il est possible qu’Aut ne comprenne pas vraiment ce qui lui arrive, ressente de l’injustice et se victimise (par exemple en disant « j’ai vécu des violences dans mon enfance c’est pour ça que j’ai agi comme ça », « ça me fait super violence d’être accusé·e »). Dans un premier temps, l’entendre tel quel, mais par contre c’est bien de prendre en note ces propos pour y revenir par la suite.

Visibiliser les décalages entre les vécus de Cib et d’Aut :

Comment Aut prend-iel en compte le ressenti de Cib ? Réalise-t-iel comment ses actes ont dépassé les limites de Cib ? Il s’agit de prendre conscience du décalage entre les intentions d’Aut (qui sont rarement d’agresser quelqu’un·e) et ce que ses actes ont produit. Quelle que soit la version qu’Aut exprime, notre rôle en tant que personne accompagnante, c’est de ramener au vécu de la personne qui a été agressée et aux conséquences que les actes d’Aut ont eu sur elle.

Il s’agit d’écouter Aut avec bienveillance et empathie, mais en faisant attention à ne pas minimiser ce qu’iel a fait et les conséquences que cela a eu. De la même manière, il s’agit de mettre Aut face à la gravité de ses actes sans pour autant en faire une personne « monstrueuse ».

Identifier les différents enjeux du travail en cours :

Nommer les comportements et mécanismes qui ont pu contribuer à en arriver à l’agression/la situation de violence (notamment les rapports de pouvoir et de domination en jeu) ; clarifier quelles limites ont été dépassées, comment et à quel moment ; démêler les différents enjeux relationnels avec Cib.

Il s’agit d’aider Aut à comprendre comment iel fonctionne et à identifier quels aspects de son fonctionnement ont pu/peuvent avoir des conséquences graves. Cela suppose d’interroger à la fois une construction individuelle (chacun·e a son propre parcours individuel et complexe) et les constructions collectives qui nous traversent immanquablement (construction de genre, de classe, de race, schémas relationnels normatifs liés au couple et à l’imaginaire de l’amour romantique, schémas relationnels normatifs liés à la famille, au rapport enfant/adulte, besoin de reconnaissance, de contrôle, dépendances, jalousies, etc.).

Confronter :

Quand une personne prend/tend à prendre le pouvoir sur d’autres de façon illégitime, elle a généralement tendance à le nier, ou au moins à chercher des arguments pour se déculpabiliser, minimiser la portée de ses actes. Parfois ça prend des formes plus subtiles, par exemple quand Aut reconnaît les violences en surface mais refuse de se confronter en profondeur à la réalité des faits, c’est-à-dire de prendre réellement au sérieux les dégâts que ses comportements ont causé/causent chez les autres. Pour travailler au mieux avec les personnes auteures sur ces mécanismes de résistance/protection, il est indispensable en tant qu’accompagnant·e de revenir régulièrement aux faits et à leurs conséquences, c’est-à-dire à la réalité vécue par la/les personnes cibles.

Changer les choses :

Après avoir commencé à identifier les comportements et dynamiques relationnelles qui posent problème, il s’agit de les faire changer. Le fait qu’Aut en prenne conscience, c’est déjà un signe qu’iel avance, mais ce n’est pas suffisant pour opérer de réels changements.

Il s’agit maintenant de l’aider à trouver des outils concrets pour mettre en place d’autres types d’interactions dans ses relations.

Ça peut être de se donner des consignes très précises pour changer d’habitudes, comme de nouvelles « règles du jeu » à expérimenter dans ses relations aux autres. Par exemple, essayer de plus exprimer ses émotions dans les discussions ou, au contraire moins parler, n’exprimer qu’une seule idée à la fois et toujours préciser quand on a fini de parler pour donner plus de champ à d’autres pour prendre la parole ; toujours verbaliser lorsqu’on s’apprête à toucher quelqu’un·e pour faciliter que la personne puisse dire non, ou bien, s’astreindre à ne plus toucher les gens si spontanément ; ne plus boire d’alcool, ou bien, toujours demander à une personne de confiance d’avoir un œil sur soi si on sait qu’on a facilement des comportements pénibles sous alcool, ou bien ne plus avoir de relations de séductions et/ou sexuelles sous alcool, etc.

Ça peut être aussi qu’Aut lise/écoute ce que des groupes minorisés peuvent produire comme réflexion sur les rapports de domination ; qu’iel ait une attention continue sur d’anciennes ou de nouvelles dynamiques de pouvoir qui peuvent se jouer dans tous types de relations qu’iel est amené·e à tisser ; qu’iel participe à des ateliers sur les questions de consentement, de rapports de pouvoir ; qu’iel parle à ses proches du travail de responsabilisation qu’iel est en train de faire ; qu’iel prenne l’habitude de vérifier (c’est à dire de poser des questions aux personnes concernées) lorsqu’iel a un doute ou lorsqu’iel n’est pas sur·e de comprendre les enjeux d’une situation… Et tant d’autres outils à rechercher, inventer, partager qui nous aident à déconstruire et reconstruire nos réflexes et nos besoins.

Faire des points sur l’évolution de la situation tout au long du processus :

Aider à valoriser les étapes de réussite en parlant de ce qui se passe mieux. Recadrer en pointant ce qui dérape. Rappeler les objectifs. Aider à visibiliser de nouvelles problématiques, à identifier ce qui reste à faire. Inciter Aut à trouver d’autres personnes ressources, d’autres espaces de travail que le seul espace de cet accompagnement.

Conclure un accompagnement

Régulièrement, on peut reprendre les objectifs qu’on avait listés tout au long du processus, pour faire le point, mesurer le chemin parcouru et ce qui a changé.

L’idéal bien sûr serait que la personne auteure des violences, ayant fait un bon bout de chemin, ait acquis les ressources personnelles et relationnelles nécessaires pour poursuivre ce travail par ellui-même/avec d’autres et pour mettre en place des stratégies concrètes de pratique du consentement dans ses relations. Mais la fin de l’accompagnement peut aussi se poser dans des conditions moins idéales. Parfois, l’accompagnement devient trop énergivore pour Accomp qui a l’impression de ne pas avancer, de ne pas travailler le fond du problème avec Aut. Parfois, l’accompagnement peut être ressenti comme un échec par l’un·e ou l’autre des protagonistes. Parfois, alors que l’urgence est passée et que les choses se sont tassées, Aut estime que l’accompagnement n’a plus de sens alors qu’Accomp pense qu’il y a encore bien du chemin à parcourir… Nous pensons que dans ces situations il est important de trouver une manière d’arrêter, de conclure. Pour éviter de s’épuiser en tant qu’accompagnant·e, il est important de donner ce que l’on peut donner, de savoir poser nos limites, et de savoir conclure si besoin, en verbalisant des bilans, même s’ils sont insatisfaisants.

Les personnes accompagnantes ne sont pas seules responsables du processus de travail de la personne auteure. Avant tout, pendant l’accompagnement comme après, Aut en est ellui-même responsable. Et, au-delà, la communauté dans son ensemble a son rôle à jouer pour qu’Aut (mais pas que…) continue à bouger, à avancer, à travailler sur les enjeux liés aux relations.

Et pour finir, quelques mots sur la dimension communautaire…

Nous exposons toutes ces pistes, pour une prise en charge volontaire de situations de violences interpersonnelles, par le biais de rôles définis et clairement partagés, et afin d’éviter que tout le monde (ou personne) s’en mêle d’une façon qui complique et aggrave encore les choses.

Nous voulons rendre visible des attentions, du temps et de l’énergie, habituellement données par seulement quelques-un·e·s et dans l’ombre. Pour que ça tourne ! Que plus de monde s’en empare !

Nous voulons en faire des pratiques que l’on peut questionner, travailler, améliorer, pour que ce soit toujours en chantier.

Au-delà de ces rôles, nous pensons que c’est à tout le monde de donner du soin et de l’attention. Nous trouvons difficile et passionnant de réfléchir à ça : comment penser la responsabilité communautaire ? Comment nous donner des cadres plus rassurants, plus attentionnés, plus exigeants… sans fabriquer une « police de la pensée » et devenir des « control freaks » qui veulent tout maîtriser ? Il s’agit d’un équilibre bien subtil… Nous croyons que plus nous parlerons de ces sujets-là, plus nous serons nombreux·ses à nous relayer, à nous soutenir, à nous faire confiance, plus nos communautés seront fortes et aiguisées sur ces sujets.

Alors appropriez-vous ces diverses notions, parlez-en autour de vous, faites circuler les brochures et les liens, faites des tables de presse, demandez de l’aide quand cela vous paraît nécessaire et/ou encouragez celles et ceux qui vous semblent disponibles et bien placé·e·s à en offrir, devenez/redevenez/restez plus fort·e·s, plus autonomes et plus responsables dans cette communauté qui vous/nous est essentielle.

Compte-rendu des discussions sur nos outils pour faire face aux violences et aux agressions

des limites, par centaines … et des pistes, par milliers … ?!

Salut Jasmine,

Je t’envoie le compte-rendu dont nous avions discuté la semaine dernière (j’en ai parlé aux autres et iels sont d’accord pour que je te le fasse passer).

Quelques mots pour te redonner le contexte : comme tu le sais, nous sommes une dizaine à avoir monté ce groupe de travail pour contribuer à la grande et perpétuelle entreprise communautaire d’affutage des outils dont nous disposons pour faire face aux violences internes à nos cercles. Lors de cette réunion, nous avions mis sur la table des problèmes ou, plutôt, des limites qui surgissent dans la pratique. Nous avions travaillé en quatre petits groupes, avant de valider les synthèses ensemble.

ATTENTION !!! Nos critiques ne visent pas à discréditer les personnes qui subissent des violences. Au contraire, nous voulons aider à l’amplification de leur parole, les soutenir, dénoncer ces situations et les faire cesser, trouver soin, réparation, etc. Nous ne voulons pas non plus discréditer ces pratiques. C’est ce que nous avons, ce que nous tentons, ce avec quoi nous voulons continuer à nous débrouiller. Toutes ces critiques visent donc à améliorer et multiplier ces outils, pas à jeter le bébé avec l’eau du bain… Bonne lecture !

Groupe 1 « L’horreur des recettes toutes faites »

(ou encore : le problème de la transposition et de la systématisation des méthodes)

Utiliser certains mots ou certaines méthodes hors de leur contexte peut créer de la confusion, voire dégrader une situation.

Par exemple, lorsqu’on transpose des manières de faire et de dire habituellement liées à des violences sexuelles, à une situation n’ayant pas de dimension sexuelle, ni d’agression à proprement parler, à une situation où la violence est principalement psychologique (dénigrement, menaces plus ou moins explicites…) ou encore sans dissymétrie flagrante dominant·e/dominé·e. Cela peut nous induire en erreur sur la réalité des faits, faire monter la pression, les jugements et les réactions à chaud, là où on aurait pu l’éviter.

Dans la même veine, nous mettons en place la plupart du temps des groupes de travail et d’intervention s’attaquant aux violences dans des cadres spécifiques et délimités : soit en contexte cis-genre de relations hétérosexuelles et hétéro-normées en milieu militant ; soit en contexte meufs/ gouines/trans/pédés. Et dans tous les cas nous évoluons dans des milieux majoritairement blancs, de classe moyenne un peu intello, en fRance, en ce début de 21ième siècle. Est-il possible d’étendre nos conclusions et outils d’un contexte à l’autre et comment ? Quelles sont les limites de la transposition ? Alors que la détresse et l’urgence nous commandent d’agir à la fois rapidement et subtilement, nous ne sommes plus sûr·es de rien ! Comment faire attention à nos angles morts, liés au fait qu’on avance toujours d’un point de vue situé ?

Une de nos craintes est aussi de voir les pratiques que nous expérimentons utilisées de manière contre-productive, pour justifier des abus.

En d’autres termes, qu’elles soient détournées pour renforcer des pouvoirs contre lesquels nous luttons et enfoncer les personnes que nous voulons soutenir.

Cela se pose par exemple dans l’usage de la notion d’auto-définition. C’est l’idée que chaque personne est la mieux placée pour nommer ce qu’elle est (ou pas), ce qu’elle vit, ce qu’elle a subi, ce dont elle a besoin. Il ne s’agit pas tant de parler de réalité des faits que de réalité de vécu, de ressenti et de redonner de la place à ces paroles contestées, minorisées. Pourtant, un effet pervers peut être que des personnes auteures de violences s’empressent d’exprimer en quoi elles sont elles-mêmes agressées, qu’elles inversent les responsabilités pour parer aux accusations en se positionnant comme victime.

Pour une personne qui a subi une agression, il est le plus souvent éprouvant de révéler la violence vécue, d’en faire quelque chose. Cette démarche fait replonger dans des émotions douloureuses et surtout, elle expose la personne à son agresseur·euse et au regard de toute la communauté, qui peuvent minimiser, nier, réprimer ce qu’elle essaie de dire. De la même façon, les demandes de protection, de réparation, bref, de prise en charge collective de la situation peuvent être mal interprétées, si elles font passer celleux qui les demandent pour les « juges », voire les « bourreaux » et, au final, pour celleux qui font de la violence.

Les recettes toutes faites verrouillent notre imagination.

Face à des situations parfois tendues, urgentes, voire dramatiques, mais aussi à d’autres moments déstabilisantes du fait de la difficulté à les identifier et à les nommer clairement, nous avons besoin de repères, de guides, de protocoles qui nous aident à avancer à travers le brouillard. Mais le problème des recettes toutes faites, c’est la difficulté de cerner les spécificités d’une situation quand on plaque trop vite des schémas pré-construits. On a alors d’autant plus de mal à inventer des manières adaptées d’y répondre et on finit même par « user » et disqualifier des pratiques qui sont pourtant essentielles dans certains cas.

Par exemple, un outil pour répondre à la violence intra-communautaire est la séparation d’espaces. Il s’agit, lorsqu’on a subi une violence de la part d’une personne de l’entourage, de lui demander de ne plus être présente dans les espaces où l’on va soi-même, ou du moins pas en même temps, ou encore, de prévenir quand l’éventualité d’un croisement survient. Cela peut concerner non seulement les espaces d’habitation mais aussi les espaces de sociabilité (lieux de fête, de concert, cercle d’ami·e·s, de travail, collectif de lutte, etc.), voire une zone géographique donnée (quartier, ville, région, etc.). Lorsque des situations de violence « sortent » (trop rarement !), la séparation d’espace peut venir comme première et parfois seule réponse. Cela verrouille les possibles, nous prive de l’idée qu’il pourrait y avoir, au moins dans certains cas, d’autres formes, plus propices à la réparation, la réconciliation, la vengeance, etc… Ce qui n’empêche pas cet outil d’être pertinent et essentiel à plein de moments.

En voulant nous renforcer, certaines de nos tentatives peuvent contribuer à nos faiblesses. La question a ainsi été posée à propos de la notion d’espace safe, où l’on serait en sécurité, pas exposé·e·s à des comportements – et à des personnes – qui nous font vivre et revivre des situations de domination, de discrimination, etc. Ce type de proposition nous semble essentielle pour trouver « refuge », pour se concentrer sur d’autres choses que sur l’autodéfense, pour dénoncer les violences habituellement banalisées. Mais dans ce moment où on aspire à une sorte de répit confiant, comment garder en tête que des relations de pouvoirs complexes et pénibles peuvent se mettre en place dans n’importe quel espace et configuration ? Et comment entretenir la nécessité, en tout contexte, d’apprendre à se protéger, à poser ses limites ?

Petite pause dans la réunion : on s’empiffre de chocolat en discutant des derniers épisodes de Mad Men, de Game of Thrones ou de je ne sais plus quelles séries télé, dramatiquement ambiguës dans leur tendance à dénoncer et banaliser de manière combinée les violences faites aux femmes – ARGHh.

Groupe 2 « L’angoisse de la spécialisation »

(ou encore : le problème de ne pas arriver à se soustraire quand le reste du monde fuit)

Tout faire à peu, c’est mission impossible.

Quand nous sommes peu nombreux·ses à nous mobiliser sur des situations, nous donnons priorité aux personnes qui ont subi les violences. Où trouver le temps, l’énergie pour s’impliquer également vis-à-vis des personnes qui ont été auteur·e·s d’agression ? Et est-il vraiment possible de penser et faire les deux en même temps en conservant la confiance de tout·e·s ? D’un côté, les personnes cibles de violences peuvent très mal vivre qu’on porte attention au ressenti de la personne qui les a agressé·e, qu’on accorde du temps à écouter une version qui pourrait discréditer la leur. De l’autre côté, les personnes auteur·e·s des violences peuvent craindre qu’on veuille les juger et les punir plutôt que de les aider à avancer.

Face à tant de complexité et de considération à donner à chacun·e, est-il possible de se partager les « tâches » ? Est-il souhaitable de faire tourner les « rôles » ? Et comment faire pour ne pas y passer toute notre énergie ?

Nous devons être plus nombreux·ses à nous emparer de ces sujets, à y consacrer du temps pour que ce soit globalement moins lourd et que la conscience commune sur ces sujets soit plus forte. Mais nous avons aussi envie de nous rappeler que des personnes n’ont pas les moyens, le temps, l’énergie de le faire et qu’il ne s’agit pas pour nous de les culpabiliser. Et comme ce sont des questions pénibles, dont tout le monde se passerait bien, comment les rendre « attirantes » ? Comment ne pas rester les seul·e·s disposé·e·s à le faire et (donc) spécialistes de ces tâches ? Comment ne pas s’aigrir de tous ces coups d’épée dans l’eau ?

Burn out : comment prendre soin de soi-même et rester en état de proposer un bon accompagnement ?

Proposer du soutien à des personnes prises dans des vécus de violence peut nous renvoyer aux violences que nous avons nous-mêmes connues. Et avant cela, l’empathie et l’engagement à tenir des secrets peut facilement nous exposer à des angoisses ou à des situations inextricables. Trop souvent, en tant que personne ayant le rôle d’accompagnant·e, on peut se laisser déborder, saturer à coup de pétage de plombs ou de dépression. Il faut digérer les doutes et les échecs, faire face aux critiques anti-féministes et, parfois, même sans anti-féminisme, aux suspicions ou à la colère de personnes qui auraient juste pris parti. La conscience que ce sont les personnes qui ont vécu les violences qui souffrent en premier lieu – et pas les accompagnant·e·s – doit amener à ne pas leur renvoyer tous ces stress. Évacuer des émotions sans les exprimer, c’est aussi se mettre à distance de ses propres besoins. En tant que soutien, on cultive ainsi des postures de stabilité, de solidité, d’impartialité. Ces attitudes ressemblent presque à une « déformation professionnelle ». Est-ce un problème ou une bonne stratégie de protection ? Est-ce une mise à distance condescendante ou une nécessité pour aider ?

Et à force d’enchaîner les accompagnements, certain·e·s peuvent rentrer plus profondément, plus intimement dans des rôles, au point que ça change leur personnalité, que ça transforme leurs relations aux autres en général, avec leurs ami·e·s, leurs collègues, leurs camarades : être toujours celleux qui gèrent, qui accompagnent, celleux qui sont neutres, de confiance, celleux qui n’ont pas de problèmes, qui ne s’embrouillent jamais avec d’autres… et qui donc n’ont pas la place de dire si ça ne va pas, ou bien n’apprennent pas ou oublient de le faire.

Il nous semble primordial (et trop rare) que les personnes qui se retrouvent à prendre un rôle d’accompagnant·e·s pensent à leurs propres soutiens, en sollicitant des personnes de confiance, en trouvant les moments et les espaces adéquats pour prendre du recul et reconnaître leurs propres limites.

L’expertise donne du pouvoir…

… le pouvoir de décréter ce qui est bon ou pas pour une personne, le pouvoir de fabriquer des réputations, la reconnaissance liée au travail qu’on fournit, etc.

Alors comment ne pas se servir de tout ça dans un sens qui nuit aux personnes et à la communauté ? Quelles protections avoir pour s’en prémunir ? Il nous semble important de faire des retours sur la pratique avec des personnes de confiance, de pouvoir prendre du recul, de transmettre ces pratiques pour ne pas rester trop peu nombreux·ses à s’y coller, de savoir faire des pauses et passer à autre chose.

Petite pause dans la réunion : on fait le jeu des zombies pour se détendre. Les zombies gagnent – comme d’habitude – alors on s’y remet, pas tout à fait calmé·e·s.

Groupe 3 : « L’effroi de l’interventionnisme »

(ou encore : quelles limites à l’ingérence dans les affaires intimes, quand « tout est politique » mais que les secrets sont nombreux)

Qui sommes-nous pour porter ce travail ?

Qui affine ces outils ? Qui propose des protocoles à suivre ? Qui définit les limites et les exigences politiques qui sous-tendent tout ça ? Pour notre part, nous sommes un petit paquet de meufs/gouines/trans’, au féminisme matérialiste et intersectionnel, ayant vécu des violences et/ou ayant déjà endossé le rôle d’accompagnant·e à l’occasion. Mais nous espérons être plus nombreux·ses que ça. Nous espérons que tout le monde s’y mette. Et nous avons en même temps peur de qui pourrait bien s’y mettre, depuis des positions de pouvoir qui leur donnerait la possibilité de tenir des discours aux conséquences néfastes pour certaines personnes/certains groupes de personnes, et qui les consolideraient dans ces places dominantes plutôt que d’aider la communauté. Qui peut donc porter ce travail ? Des personnes directement concernées, nous le recommandons ; des personnes qui ont la solidité et la disponibilité mentale pour le faire, nous l’espérons.

Face à des personnes en détresse, déstabilisées, paniquées, super en colère ou complètement perdues, on essaie de donner des conseils. Si on n’y prend pas garde, on peut orienter des personnes sur des pistes carrément fausses, notamment lorsqu’on s’identifie trop à la situation pour réaliser les différences : « j’ai vécu la même chose, alors j’ai les réponses sur ce qui va TE renforcer ». Ce type d’attitude peut ressembler à ce qu’on appelle la justice de classe, dans le sens de plaquer des conceptions et des exigences, en étant en position de pouvoir (position de juge, d’arbitrage). Comment ne pas importer ni imposer nos intérêts ? Il nous semble primordial que les personnes accompagné·e·s aient confiance en celleux qui les accompagnent, mais dans des situations d’urgence et de détresse, on a rarement le temps et l’énergie de poser milles questions politiques. Comment combiner tout ce merdier ?

Que faire quand on est tenté·e·s de réagir mais qu’on n’est pas sollicité·e·s pour intervenir ?

Dans bien des situations, on peut identifier des violences sans que les personnes qui les subissent ne les identifient comme telles, ou refusent en tous cas que d’autres interviennent. Dans ces situations, il est souvent difficile d’intervenir, alors que ça nous semble primordial. On se permet parfois de le faire quand même parce qu’on considère que ça va vraiment trop loin, parce qu’on le fait pour soi, pour sa conscience. Ça peut provoquer des réactions de colère, de rejet très fort, qui contribuent à isoler encore plus les personnes concernées. En même temps, c’est très difficile de laisser faire des choses qu’on ressent comme dangereuses voire mortelles. Comment dissocier les besoins vitaux des besoins de confort ? Comment démêler ce qui est important pour les autres de ce qui l’est pour soi-même ? Dans tous ces cas, pas de réponses toutes faites mais, une fois de plus, ça vaut le coup d’avoir des personnes de confiance vers qui se tourner pour réfléchir de manière posée et avec du recul.

Certaines personnes auteures de violences refusent de prendre leurs responsabilités, de reconnaître les faits. Cela ne pose pas tout à fait les mêmes questions car, si des personnes affirment les avoir subi, c’est en partant de leurs besoins à elles qu’on pourra décider si on tente de confronter les auteur·e·s à leurs responsabilités. Cependant, si iels persistent à nier les faits sans accorder aucune validité aux ressentis des personnes qui se déclarent victimes, que peut-on mettre en place de constructif ?

La notion de Community accountability (voir lexique) nécessite que les affaires privées sortent de l’intimité, du cercle de confiance pour que d’autres s’en mêlent, puissent thématiser leurs propres responsabilités dans la situation, trouvent des moyens de se positionner, de soutenir, d’agir, d’accompagner. Est-ce possible et souhaitable ? Ça reste une pratique à explorer, sûrement au cas par cas et en fonction de si la communauté est a priori plus prête à aider qu’à aggraver la situation… La question se pose d’une manière particulièrement aiguë quand les personnes qui subissent des violences ou des abus sont dépendantes matériellement et/ou légalement d’autres personnes, par exemple des enfants (mineur·e·s) ou des adultes dépendant·e·s ou sous tutelle. Que faire quand les personnes légalement responsables bloquent les processus de prise en charge ? Si iels menacent d’alerter sans l’avis des premier·e·s concerné·e·s les services sociaux, de police, de justice et d’hôpitaux ? Et a fortiori si iels sont auteur·e·s de ces violences ?

Comment démêler les responsabilités individuelles et les enjeux politiques ?

Et d’abord, comment accompagner des personnes dans la résolution de situations sans les déresponsabiliser ? Donner des coup de main, se proposer comme intermédiaire ou facilitateur·ice, mais ne pas décider « à la place de » … L’objectif est que ce qui se passe relève dès que possible de la décision des personnes concernées. Mais il y a des moments de « prise en charge », des moments d’intervention plus « forcée » qui nous semblent nécessaires, justement parce que certaines situations sont plus fortes que nous, écrasantes, nous poussent à l’autodestruction, etc. Comment et jusqu’où assumer un tel rôle ? Avec quelles limites ? Auprès de qui trouver un avis, un regard extérieur, des conseils ? Et passer de ces postures-là à la construction sur du long terme des manières de se responsabiliser, de s’autonomiser.

Parfois, les violences repérées sont moins directement analysables par le prisme des logiques de domination. Par exemple, dans des violences conjugales non-hétérosexuelles. On hésite alors à intervenir, certains outils ne semblent plus du tout adaptés. On craint de faire primer les responsabilités individuelles sur les logiques de systèmes qu’on ne sait plus décrypter. Ou, à l’inverse, on a peur de se laisser aveugler par des analyses globalisantes et de ne plus voir les responsabilités individuelles. Alors, comment faire les deux en même temps d’une manière subtile ?

Enfin, il est essentiel de ne pas faire peser la responsabilité des agressions sur les personnes cibles de violences. Pour autant, iels ont à trouver là où iels avaient prise, une marge de manœuvre, une sorte de « responsabilité » – au sens de la liberté d’agir pour soi-même. Cela afin de trouver les moyens de se renforcer, de se déculpabiliser de ce qu’iels ont fait ou pas fait, de se réapproprier la situation, de trouver des pistes pour pouvoir réagir autrement par la suite… Comment le leur rappeler sans produire une culpabilisation ? Et comment ne pas victimiser les agresseur·euse·s, ne pas les déresponsabiliser, sans nier la part de responsabilité qui revient à tou·te·s les autres protagonistes (personnes cibles d’agression, entourage, etc.) ? Que fait la justice classique avec ça ? Qu’est-ce que « les circonstances atténuantes », le « droit de défense » ?

Petite pause dans la réunion : on part en hurlant dans la forêt pour retrouver de l’énergie, on fait bouillir des tisanes super-dopantes entre les pierres, on se fait des maquillages de guerre au charbon de bois et après on se dit qu’on se fout de tout mais qu’on est bien content·e·s de se connaître.

Groupe 4 : « La terreur de la responsabilité collective »

(ou encore : comment l’implication de la communauté peut permettre plus d’intelligence collective et moins de règlements de comptes)

Secrets, rumeurs et réputations : complexe mélange de pression et de stigmatisation.

De manière générale, la rumeur, on s’en méfie : c’est de la médisance, de la curiosité mal placée, des informations déformées… Mais lorsque certaines choses restent privées au point d’être taboues, la rumeur peut ébranler les secrets, colporter ce qui ne peut s’exprimer autrement. Par ailleurs, « tailler des réputations » est parfois conçu comme une action punitive, de pression, pour qu’enfin une personne arrête de reproduire des comportement abusifs, qu’elle se sente « sous contrôle de sa communauté », ou du moins d’un cercle important de personnes. Pour aller plus loin, la stigmatisation de comportements inacceptables peut aussi avoir pour objectif de « mettre la pression » à tout un milieu, à tout·e·s les agresseur·euses potentiel·le·s, pour faire assimiler largement que certains comportement sont vraiment craignos. En quelque sorte, il s’agirait d’assumer un certain contrôle social sur les comportements, un pouvoir normatif sur la communauté.

À quel point sommes-nous d’accord avec ça ? Il est certain que nous voulons rester prudent·e·s et éviter les logiques répressives. D’abord parce que nous refusons de désigner des auteur·e·s de violences comme des monstres. C’est complètement contre-productif : ça ne leur laisse pas beaucoup d’espace pour vouloir changer et ça facilite une mise à distance, des mécaniques de punition, d’exclusion, de bouc-émissaire et de refus de se poser la question, pour soi-même, de son propre potentiel de violence. Ensuite parce que la stigmatisation est d’autant plus problématique lorsqu’elle vient consolider des stéréotypes racistes, classistes, etc., par exemple en pointant « les arabes », « les prolos » ou « les zonard·e·s ».

Comment faire en sorte que des personnes ne soient pas marquées « à vie », perpétuellement re-jugées et re-punies, sans pour autant minimiser les faits, les invalider ? Comment développer une culture commune du soin et de la responsabilité collective, plutôt que des logiques de punition ?

Au-delà de la rumeur, la visibilisation des agressions commises au sein du milieu et la mise en place de formes de « gestions » (par exemple la séparation d’espace, la médiation, etc.) contribuent à redéfinir les bienveillances collectives et/ou sélectives à l’échelle de la communauté. Ça nous semble positif dans la mesure où ça donne plus de légitimité à des personnes qui ont subi des violences. Et une fois de plus, ça ne « fout pas la merde », ça la rend juste plus visible. Pourtant, nous buttons aussi sur la nécessité de ne pas saborder tous nos groupes d’ami·e·s, de vie, de lutte, etc. Nous devons donc toujours composer avec l’énergie dont nous disposons, nos propres nécessités de conforts affectifs, nos priorités de luttes. Ceci pour estimer s’il est souhaitable et possible d’éviter les ruptures et les scissions de groupes…

Perspectives individuelles et collectives en proie avec nos idées.

Nous cherchons à développer en même temps des outils de soutien et de changement individuel (autonomisation, travail sur soi, solutions techniques et stratégiques de gestion, d’apaisement, pour faire face, etc.) et une transformation plus globale de nos relations, en étendant les enjeux à l’échelle des pratiques collectives et de la responsabilisation communautaire. Nous cherchons à protéger nos dynamiques collectives d’actes destructeurs ; et nous nous méfions du pouvoir destructeur et normatif de la collectivité sur les individu·e·s… Nous espérons qu’en cultivant et en combinant ces différents angles d’attaques, nous saurons échafauder des stratégies et ne pas tenter des choses trop pourries… Mais l’urgence est le plus souvent écrasante et on peut facilement douter d’être si fort·e·s … À quel point ces approches sont-elles vraiment combinables ?

Et que faire des désirs de vengeance ? Jusqu’où instrumentalise-t-on nos principes politiques dans nos histoires de vie ? Comment rester dans un rapport de justesse et non pas dans un déchaînement vengeur ? Comment avancer sur les phénomènes de traumatisme ?… Autant de questions qui mélangent phénomènes collectifs et émotions fortes !

Elle est où la justice ?

Nous avons eu l’occasion de creuser l’idée d’un modèle de justice communautaire avec 3 parties, cible, auteur et communauté, constituées de plusieurs personnes chacune, accompagnant les premières concernées. Ça vaudrait le coup de creuser aussi la différence entre justice transformative et justice réparatrice (voir lexique) pour mieux cerner ce qui nous semble intéressant. Étayer notre critique de la justice institutionnelle (on a un peu commencé). Réaliser en quoi nos pratiques font écho ou non aux procédures de « justice » existantes. Entre justice communautaire et justice populaire, nous manquons de références, d’idées, de contre-exemples. Et si un jour on invitait une copine juriste pour réfléchir à tout ça…

Mais parfois, on identifie plusieurs groupes cibles, différentes parties qui s’accusent mutuellement d’agression. D’autres fois, les personnes « accusées » contestent leur « culpabilité », affirment une autre version des faits, refusent de se plier au protocole proposé en arguant de leur innocence. On ne peut pas toujours départager les cibles et auteur·e·s de violence de manière assurée. Il s’agit peut-être plutôt de celleux qui attaquent, accusent et de celleux qui se défendent… hum ça ressemble au système de justice qu’on connaît, non ?

Nos pratiques, au contraire, partent de situations où la « culpabilité » de l’agresseur·euse est acquise en amont ou, du moins, où l’on décide de se concentrer sur la personne qui accuse et se positionne en cible/victime, de la croire sans contestation possible… Cela signifie qu’on assume le risque de considérer comme « coupable » un·e « innocent·e »… D’une certaine manière, nos pratiques sont de l’ordre de l’accompagnement, de la médiation, de l’application et du soin, mais ne remplissent pas la fonction de justice dans le sens de trancher qui est coupable et qui est victime. Sommes-nous capables de suspendre notre jugement à ce point, c’est-à-dire de « croire » la personne qui se déclare cible de violences sans pour autant « juger/condamner/punir » celle désignée comme auteur·e ?

Quel droit de défense ? Quelles possibilités « d’enquêtes », « d’instruction de la preuve » ? Quelle place à la « présomption d’innocence » ? Quelle possibilité que les personnes concernées soient absentes dans les moments de confrontation ? Est-ce qu’on a envie que les personnes qui s’investissent dans les groupes « cible » et « auteur » ressemblent à des représentant·e·s, des porte-paroles, des avocat·e·s ? Peut-on identifier une fin aux interventions, acter la résolution de situations et comment ? Enfin, comment trancher sans juge, et qui le fait ?

Finalement, en travaillant sur tout ça, on en revient à des choses qui ressemblent effectivement à la justice institutionnelle, on utilise ses mots et ses modèles. Sommes-nous en train de réinventer la poudre ou de nous raconter que nous serions capables « d’humaniser » la justice ?… Bouh ! Ça fait flipper…

Petite pause dans la réunion : tout le monde s’arrache les cheveux et les ongles et les cils, on se roule dans la boue en maugréant, on se bouffe les mains et le reste. À la fin, on est bien défoulé·e·s, tout va bien, on se fait des tapes dans le dos, on raconte deux ou trois blagues sur les pingouins qui respirent par le cul, aiment aller au cinéma, revendiquent leur asexualité et leur penchant pour les jeux de mots pourris. Après, on se donne rendez-vous pour la semaine prochaine – personne ne prépare l’ordre du jour.

Pour poursuivre

Des brochures

** Des idées et récits d’expériences pour soutenir et/ou agir sur nos environnements collectifs :

Soutenir unE survivantE d’agression sexuelle

Juste une histoire de fille (témoignage sur des violences dans une relation hétéro et la prise en charge qui a suivi)

Lavomatic – Lave ton linge en public (réflexion sur la responsabilité collective et la prise en charge des violences de genre)

Non c’est non (l’auto-défense féministe, initialement un livre mais également téléchargeable en 3 tomes sur www.infokiosques.net)

Sous le tapis le pavé (sur les violences sexistes en général… où l’on voit que ça ne concerne pas que les relations sexuelles et/ou affectives)

Nous sommes touTEs des survivanTEs, nous sommes touTEs des agresseurSEs Que faire quand quelqu’ unE te dit que tu as dépassé ses limites, l’as misE mal à l’aise ou agresséE. Un début… (une brochure rassemblant les traductions de 2 textes qui lancent des pistes pour une réflexion et du débat autour des réponses communautaire et individuelle qu’on pourrait imaginer face aux situations d’agressions)

** Des textes pour comprendre et s’exercer au consentement :

Le consentement – 100 questions sur le consentement

Consentement : un truc… de pédé ? (sur le consentement dans les relations entre garçons)

Apprendre le consentement en 3 semaines (récits, témoignages traduits de la brochure Learning good consent)

Le cahier de vacances – Apprendre le consentement en 3 semaines (des exercices pour s’entraîner à reconnaître et verbaliser ses envies, ses besoins, ses limites pour tendre vers des relations plus épanouissantes)

Sexualités, corps et plaisirs de femmes (avec entre autres des exercices autour du consentement verbal, des questionnements sur les schémas qui nous enferment)

** Des récits de viols :

Le viol c’est quoi ? (mini BD d’une demi page)

Les violences conjugales (dans les relations hétérosexuelles)

Combien de fois quatre ans (témoignage, viol et prise de conscience)

Je ne suis pas un égout séminal (autour du lien entre viol et domination masculine)

Le viol ordinaire (un témoignage qui raconte une situation « ordinaire » d’outrepassement de limites sur lequel il est la plupart du temps difficile voire culpabilisant de mettre le mot « viol »)

** Des textes pour questionner plus largement nos relations, et les dynamiques qui vont avec… « l’Aaamourrrr », la parole :

L’amour nuit gravement…

La fabrique artisanale des conforts affectifs

« Je t’aime… Oui mais non, l’amour c’est mal »

Contre l’amour

La répartition des tâches entre les hommes et les femmes dans le travail de la conversation

Toutes les brochures qui précèdent sont téléchargeables sur le site infokiosques.net

Brochure disponible en infokiosques féministes :

Les violences conjugales, c’est pas qu’un truc d’hétéro (une brochure sur les violences conjugales entre gouines, trans) Disponible en infokiosques féministes.

Si vous lisez l’anglais, quelques brochures sur le consentement, les prises en charge collectives et les questionnements sur des modèles de justice communautaire :

Learning good consent (dont une partie des textes a été traduite en français dans les brochures Apprendre le consentement en 3 semaines et Consentement : un truc… de pédé ?) Téléchargeable sur le site phillyspissed.net

Ask first (parle des agressions sexuelles, de consentement, de soutien aux personnes cibles et des processus d’« accountability » pour les personnes auteures)

Revolution starts at home – Confronting partner abuse in activist communities

https://lgbt.wisc.edu/documents/Revolution-starts-at-home.pdf

Drifting clouds (2012) (récits, témoignages sur le consentement)

Gender oppression/Abuse/violence – Community accountability within the people of color progressive movement * (2005) (compte-rendu d’une réunion de deux jours du collectif INCITE ! Women of Color Against Violence, définitions de termes liés aux oppression de genre, aux agressions, les principes de base de la Community Accountability)*

Toward Transformative Justice – A Liberatory Approach to Child Sexual Abuse and other forms of Intimate and Community Violence (2007) (documents écrits par le collectif G5-Generation FIVE traitant du modèle de Transformative Justice dans le cadre de la prise en charge des violences sexuelles sur les mineur·e·s : pourquoi ça leur semble nécessaire, les principes de la Transformative Justice, comment développer des pratiques utilisant ce modèle) Téléchargeable sur http://www.generationfive.org

Accounting for ourselves (2013) (réflexions autour de la gestion collective : après des années d’expériences dans leurs milieux, où sont les impasses ? Où sont les pistes ?) Téléchargeable ici : http://www.crimethinc.com/blog/2013/04/17/accounting-for-ourselves/

Thoughts about community support around intimate violence (soutien et accompagnement des personnes cibles et auteures de violences, spécifiquement dans le cadre de violences « domestiques », c’est-à-dire impliquant des personnes proches, et dans un cadre communautaire) Téléchargeable sur www.phillyspissed.net

Beaucoup d’autres brochures en anglais sur ces thématiques sont téléchargeables sur www.phyllispissed.net.

Des émissions radios

** Sur le consentement :

NON, c’est NON !

Une émission de On est pas des cadeaux, 28 novembre 2011

http://www.radiorageuses.net/spip.php?article145

Quand céder n’est pas consentir

Une émission de Dégenré-e, 19 novembre 2007

http://www.radiorageuses.net/spip.php?article460

CAS-libres, libre antenne du 4 octobre 2012

Une émission de Cas-libres

http://www.radiorageuses.net/spip.php?article255

** Sur les questions de violences :

Violences conjugales entre lesbiennes

Une émission de Dégenré-e

http://www.radiorageuses.net/spip.php?article194

Violences conjugales chez les lesbiennes

Une émission de On est pas des cadeaux, 6 mai 2011

http://www.radiorageuses.net/spip.php?article144

Viol

Une émission de Dégenré-e

http://www.radiorageuses.net/spip.php?article112

VIOLENCES CONJUGALES ON EN PARLE !

Une émission de D’Horizons Mordantes

http://www.radiorageuses.net/spip.php?article251

L’auto-défence face aux violences

Une émission de Lilith, Martine et les Autres

http://www.radiorageuses.net/spip.php?article173

** Sur les conflits :

La prise en charge collective des conflits

Une émission de Langue de fronde

http://www.radiorageuses.net/spip.php?article376

Des ateliers

** Ateliers d’auto-défense féministe :

Pour acquérir des moyens de se défendre, PRÉVENIR les agressions, prendre conscience de sa force, (re)prendre CONFIANCE EN SOI.

ASSPA-Association de Santé Solidaire et Prévention des Agressions
Association basée à Grenoble qui organise des stages d’autodéfense selon la méthode Riposte. Contacts : riposte [à] pimienta.org ou 06 95 66 84 70

Autodéfense et autonomie
Stages d’autodéfense pour femmes et lesbiennes, stages pour personnes trans’ et inter’. http://www.autodefenselyon.lautre.net/ Mail : autodefense.autonomie [à] gmail.com

La Trousse à Outils
Association de prévention des agressions liées à des inégalités sociales. La Trousse à outils organise notamment des ateliers d’autodéfense pour femmes et adolescentes, des ateliers d’autodéfense pour les enfants, et des ateliers de théâtre de l’opprimé.e. Contacts : La Trousse à Outils, Espace Simone de Beauvoir, 15 quai Ernest Renaud, 44100 Nantes / la-trousse-a-outils [à] herbesfolles.org / Tel : 06 05 14 02 87

** Ateliers sur le consentement :

Le Wely Wely Want, un atelier sur le consentement :

Pour concevoir le consentement comme une pratique positive, constructive, quotidienne ; trouver des pistes adaptées à sa vie et ses envies. Un espace pour prendre du recul sur ses interactions habituelles, revisiter ses difficultés et les situations où on merde vraiment, les dédramatiser sans les minimiser, pour pouvoir en parler, travailler dessus, avancer. Un espace pour identifier ses envies et les exprimer, faire des propositions et y répondre, et trouver des manières de dire ses limites et se sentir à l’aise avec. En France, Suisse, Belgique. Contact : welywelywant [à] potager.org

Lexique

Asexuel·le·s : Identité politique. Personnes qui choisissent de ne pas partager de sexualité avec d’autres ou qui ne partagent pas de sexualité avec d’autres, se reconnaissent et se renforcent dans l’identité asexuel·le.

Cisgenre : Cisgenre : Identité des personnes qui se reconnaissent dans le genre qui leur a été attribué à la naissance ou du moins qui s’en accommodent. Les personnes cisgenre bénéficient du privilège cisgenre, qui consiste à être globalement assez peu questionné·e et emmerdé·epar rapport à son identité de genre. Cisgenre est le contraire de transgenre.

Community accountability : Approche communautaire qui s’intéresse à la responsabilité de chacun·e dans les situations de conflits ou de violences, depuis les auteur·e·s et les cibles de violences jusqu’à la responsabilité de l’ensemble de l’entourage et de la communauté.

Espace safe : Espace où l’on développe une attention, voire une exigence à ce que certaines violences ne s’y produisent pas. Selon le type de besoins, cela peut prendre des formes variées : des règles proposées qui proscrivent certains comportements ; des personnes et/ou des espaces dédiés à la parole, à la prise en charge de malaises ; des espaces temporaires ou permanents ; des non-mixités qui permettent de se soustraire à certains registres relationnels (entre femmes, ou femmes/gouines/trans’ ou trans/pédé/gouines ou personnes racisées, ou toute autre combinaison d’identités minorisées) ; l’exclusion de certaines personnes identifiées comme « agresseur·euse·s » ; etc.

Des critiques ont été formulées contre la mise en place de tels espaces lorsqu’ils incitaient à la victimisation, n’encourageaient plus les personnes à trouver les moyens de se protéger et de faire face, faisaient croire aux personnes que des espaces dénués de toute violence sont possibles.

Genrer : attribuer un genre, féminin, masculin,​ ou indéterminé.

Gouines : Identité politique. Terme utilisé dans une démarche d’auto-définition et de réappropriation de l’insulte. Les gouines ne sont pas des meufs, c’est-à-dire qu’elles se situent en dehors du système social hétérosexuel (tant par leurs sexualités que par leurs socialités).

Hétérosexisme : C’est l’obligation à l’hétérosexualité et à la sociabilité hétéro-normée, c’est-à-dire à se comporter comme de vrais hommes et de vraies femmes ** (hétérosexuel·les). L’hétérosexisme implique donc le sexisme, l’homophobie, la lesbophobie et la transphobie, conscientes ou pas. C’est ce qui fait par exemple qu’on doit « annoncer » à son entourage qu’on est trans, gouine, pédé, alors qu’on n’aura pas à le faire si on est hétérosexuel·le.

Iel : Pronom personnel désignant à la fois « elle » et « il ». « Iel » sert à ne pas genrer la personne désignée ainsi ou à la genrer d’une manière neutre, ce qui conviendra à une personne ne se reconnaissant pas dans une ou l’autre des identités binaires de genre (homme ou femme) ainsi qu’à certaines personnes trans’ qui souhaitent ne pas être genrées.

Afin d’ouvrir nos imaginaires en terme de genre, nous avons choisi d’utiliser « iel » tout au long de cette brochure. « Iel » donne par déclinaison, « iels » au pluriel et « cellui », « celleux », « ellui », « elleux »…

Intersectionnalité : L’intersectionnalité est un outil issu du Black Feminism un mouvement féministe africain-américain caractérisé par la volonté d’associer la critique du sexisme, du racisme et des rapports de classe. Selon le Combahee River Collective, le concept d’intersectionnalité comprend “l’idée de la simultanéité des oppressions et le refus de les hiérarchiser ; l’impossibilité pour les personnes aux prises avec l’imbrication des multiples formes d’oppressions de les séparer ; l’importance accordée à la connaissance située et aux formes de luttes politiques identitaires tenant compte de l’imbrication des oppressions ; la critique des mouvements identitaires monistes [qui pensent une domination fondamentale] qui occultent la situation des personnes faisant face aux dominations multiples.”

L’intersectionnalité permet de penser et de rendre compte du phénomène d’oppressions multiples. En effet, les personnes opprimées de manière multiples vont vivre des effets singuliers : une femme noire ne vivra pas du racisme d’un côté et du sexisme de l’autre. Elle aura un vécu spécifique qui se trouvera à l’intersection de ces deux oppressions.

Justice réparatrice (ou restaurative) : Approche de la justice qui met le focus, non sur les transgressions commises, c’est-à-dire l’infraction d’une loi (justice punitive), ni sur les besoins des auteur·e·s de ces transgressions (justice réhabilitative), mais sur les « dommages » causés. C’est une approche qui se concentre sur la réparation de ces dommages. Cette réparation peut prendre des formes multiples : restitution, réconciliation, excuses, financement, travail… et peut s’adresser à une personne, un groupe ou une communauté entière. Cette approche n’est pas claire sur le rôle de l’État et des pouvoirs de pression, de coercition (justice et police) mais elle part de l’idée que la définition de la réparation implique des négociations, des concertations libres, entre « victimes » et « délinquant·e·s ».

Justice transformative : Forme de justice alternative, pensée dans un cadre communautaire et anti-autoritaire, dans le but d’éviter les mécanismes de punition et d’exclusion, par un travail d’accompagnement qui vise à « transformer » toutes les personnes concernées (agresseur·euse·s et agressé·e·s), dans le sens de favoriser qu’elles se sentent mieux, qu’elles se sentent plus fortes.

Meufs : Identité politique. Verlan de « femme », parfois employé pour signifier « féministe hétéra ». Ce terme est utilisé dans une démarche d’auto-définition, par des personnes qui se sentent femmes/infemmes/non-femmes/super-femme…

Personnes cibles de violences : Nous avons choisi de nommer ainsi les personnes qui ont subi des violences afin de ne pas les enfermer dans une identité de victimes, pour laisser de la place à la rage, la colère, la force de garder la tête haute et de se reconstruire.

Personnes auteures de violences : Nous avons choisi de nommer ainsi les personnes ayant commis des violences afin de ne pas les enfermer dans une identité d’agresseur·euse·s, pour laisser de la place à la possibilité d’un changement.

Personnes soutien (de personnes cibles de violences) : Le mot « soutien » définit la posture de celleux qui s’impliquent auprès de personnes cibles de violences. Pour nous, il s’agit de partir de leurs besoins, pour contribuer à ce que les violences s’arrêtent, panser les blessures, les aider à regagner en place, en confiance et en considération sur la durée. Cette notion de soutien implique d’une certaine manière de prendre partie pour la personne, de décider qu’on la croit, qu’on ne remet pas en cause sa parole (ce qui est le plus souvent la réaction de tout l’entourage).

Personnes accompagnantes (de personnes auteures de violence) : Le mot « accompagnement » concerne les personnes auteures de violences pour bien signifier qu’il s’agit de les aider dans un processus de reconnaissance de leurs actes et de leurs impacts sur les personnes cibles. Il s’agit également de favoriser des prises de conscience, d’éventuelles réparations et un changement de leur comportement. Cela va de paire avec soutenir un travail sur elles-mêmes, éventuellement pour aller « mieux ». Mais cela ne signifie en aucune manière consolider ces personnes dans la conviction qu’elles n’auraient rien fait de mal ou qu’elles seraient victimes des circonstances.

Personnes médiatrices (de conflits) ou pourquoi nous n’utilisons pas ce terme dans cette brochure : Ce rôle n’apparaît presque pas dans la brochure car c’est pour nous un autre sujet. Nous associons le terme de médiation aux situations de conflits, plutôt qu’aux situations de violences. Pour nous, les médiateur·rice·s ont pour rôle de faciliter le dialogue entre personnes qui se reprochent respectivement des choses et qui désirent s’entendre, trouver à moyen terme, un compromis pour pouvoir composer ensemble. Dans ces situations, il s’agit de travailler à une reconnaissance des torts réciproques, en considérant les individu·e·s à égalité, en capacité de se parler et de s’entendre. Au contraire, lorsque nous nous penchons sur les situations de violence, nous concevons des cibles de violences et des auteur·e·s de violence bien distinctes, dans un rapport de dissymétrie et avec l’enjeu d’une reconnaissance à sens unique des violences des un·e·s sur les autres.

Bien sûr, les violences peuvent générer du conflit et le conflit peut générer de la violence… Et les violences peuvent être réciproques… Et lorsqu’on a subi des violences, on peut vouloir du soutien et/ou une médiation…. Bref, oui, tout est imbriqué ! Cependant, nous voulons dissocier les violences des conflits, ainsi que la pratique de soutien/accompagnement de la pratique de médiation, car cela nous aide à clarifier les positions et les intentions des personnes : désirent-elle se mettre à distance et se protéger ? Ou plutôt trouver un accord, une forme de résolution ou de réparation avec les autres personnes impliquées ? Ou encore autre chose ? Ces distinctions nous paraissent particulièrement utiles en matière de violences sexuelles, car il existe plus souvent une dissymétrie entre auteur·e·s et cibles de violences, qui font écho aux logiques de système (le sexisme, l’hétérosexisme, le racisme, le mépris de classe, les normes physiques et psychologiques, etc). Dans toutes ces situations, il serait réducteur de considérer les individu·e·s comme à égalité dans un conflit. Pour nous, les privilèges dont iels jouissent, les violences qu’iels subissent, ne sont pas comparables, ni réductibles à leur seule dimension individuelle. C’est pour cela que nous défendons l’idée d’un soutien ou d’un accompagnement très différenciés (dans les intentions, les méthodes et les personnes impliquées), selon les positions de cibles ou d’agresseur·euse·s.

Trans’ : Identité politique. Terme utilisé dans une démarche d’autodéfinition par des personnes ayant rejeté l’identité de genre (homme ou femme) qui leur a été assignée à la naissance. Ce rejet peut se traduire par l’affirmation, le travail de l’apparence, le choix d’un nouveau prénom et/ou pronom, parfois l’intervention chirurgicale et/ou hormonale. Les personnes trans’ subissent une oppression spécifique qui est la transphobie, en imbrication avec toutes les autres formes d’oppression qu’elles sont susceptibles de subir en fonction de leur situation sociale (racisme, sexisme, homophobie, lesbophobie, validisme, etc.). Trans’ est le contraire de cisgenre.

Victimisation : Stratégie consciente ou inconsciente d’une personne auteure pour se défendre d’accusations de violence, pour ne pas se confronter, pour se déresponsabiliser. C’est l’inverse de la responsabilisation.

Pour les personnes cibles, se reconnaître victime est complètement autre chose : c’est au contraire arrêter de se sentir coupable et pouvoir se reconstruire.

Violence potentielle : Violence ressentie lors d’une agression, prenant non seulement en compte les faits (en termes d’actes et d’atteinte physique) et leur portée symbolique (sur des critères politiques et éthiques), mais aussi le vécu personnel de la personne cible et son ressenti. En effet, de nombreuses choses qu’elle a intériorisées et subies dans le passé peuvent lui faire associer l’acte de violence concret à des peurs, au sentiment d’une mise en danger, au resurgissement d’un vécu traumatique, d’une assignation à un rôle dégradant, etc. Cette définition permet de mettre en valeur qu’un même acte de violence peut être reçu très différemment selon les personnes et notamment qu’une agression considérée comme minime par certain·e·s peut être extrême pour d’autres.

LDTP